Les Blancs et les Bleus – Tome I

Chapitre 15La nuit du 12 au 13 vendémiaire

Delaunay (d’Angers), membre du gouvernement,monte à la tribune pour répondre en son nom.

– Citoyens, dit-il, on m’annonce àl’instant même que la section Le Peletier est cernée de toutesparts.

Les applaudissements retentissent.

Mais, au milieu des applaudissements, unevoix, qui les domine, crie.

– Cela n’est pas vrai !

– Et moi, continue Delaunay, j’affirmeque la section est investie.

– Cela n’est pas vrai ! répète lamême voix avec plus de force ; j’arrive de la section :nos troupes se sont retirées, et les sectionnaires sont maîtres deParis !

En ce moment, on entend un grand bruit dansles corridors, des pas, des cris, des vociférations. Un flot depeuple s’engouffre dans la salle, terrible et bruyant comme unemarée qui monte. Les tribunes sont envahies. Le flux arrivejusqu’au pied de la tribune. Les cent voix de cette foulecrient :

– Des armes ! des armes ! Noussommes trahis ! À la barre, le général Menou !

– Je demande, dit Chénier de sa place eten montant sur son banc, je demande qu’on arrête le général Menou,qu’on le juge séance tenante, et, s’il est reconnu coupable, qu’onle fusille dans la cour du château.

Les cris : « Le général Menou à labarre ! » redoublent.

Chénier continue :

– Je demande que des armes et descartouches soient distribuées de nouveau aux patriotes qui enréclameront. Je demande qu’il soit formé un bataillon de patriotes,qui prendra le titre de bataillon sacré de 89, et qui jurera de sefaire tuer sur les marches de la salle des séances.

Alors, comme s’ils n’eussent attendu que cettemotion, trois ou quatre cents patriotes envahissent la salle endemandant des armes. Ce sont les vétérans de la Révolution,l’histoire vivante des six années qui viennent de s’écouler ;ce sont les hommes qui se sont battus sous les murs de la Bastille,qui ont foudroyé, au 10 août, ce même château qu’ils demandent àdéfendre aujourd’hui, ce sont des officiers généraux couverts decicatrices ; ce sont les héros de Jemappes et de Valmy,proscrits parce que les actions éclatantes appartenaient à des nomsobscurs, parce qu’ils avaient vaincu les Prussiens sans méthode, etbattu les Autrichiens sans savoir les mathématiques etl’orthographe.

Tous accusent la faction aristocratique deleur renvoi de l’armée. C’est le réacteur Aubry qui leur a arrachéleur épée des mains et leurs épaulettes des épaules.

Ils baisent les fusils et les sabres qu’onleur distribue, et ils les pressent sur leur cœur encriant :

– Nous sommes donc libres, puisque nousallons mourir pour la patrie !

En ce moment, un huissier entra, annonçant unedéputation de la section Le Peletier.

– Voyez-vous, cria Delaunay (d’Angers),je savais bien ce que je disais ; ils viennent accepter lesconditions imposées par Menou et Laporte.

L’huissier sortit et rentra cinq minutesaprès.

– Le chef de la députation demande,dit-il, s’il y a sûreté pour lui et pour ceux qui l’accompagnent,quelque chose qu’il ait à dire à la Convention.

Boissy d’Anglas étendit la main :

– Sur l’honneur de la nation, dit-il,ceux qui entreront ici en sortiront sains et saufs, comme ils yseront entrés.

L’huissier alors retourna vers ceux quil’avaient envoyé. Il se fit un grand silence dans l’assemblée.

On espérait encore, grâce à cette nouvelledémarche, sortir du dédale où l’on se trouvait, par les voies de laconciliation.

Au milieu de ce silence, on entendit des pasqui s’approchaient ; tous les yeux se tournèrent vers laporte.

Un frémissement courut par toutel’assemblée.

Le chef de la députation était ce même jeunehomme qui, la veille, avait parlé à la Convention avec tant dehauteur.

On pouvait juger à sa mine qu’il ne venait pasfaire amende honorable.

– Citoyen président, dit Boissy d’Anglas,vous avez demandé à être entendu, nous vous écoutons ; vousavez demandé garantie de la vie et de la liberté, nous vousl’accordons. Parlez !

– Citoyens, articula le jeune homme, mondésir est que vous refusiez les dernières offres que la section LePeletier vous adresse, car mon désir est que nous combattions.L’heure la plus heureuse de ma vie sera celle où j’entrerai danscette enceinte les pieds dans le sang, le fer et le feu à lamain.

Un murmure menaçant partit des bancs desconventionnels, une espèce de frisson d’étonnement sortit destribunes et des groupes de patriotes amoncelés dans les angles dela salle.

– Continuez, dit Boissy d’Anglas ;enflez vos menaces jusqu’à l’insolence ; vous savez que vousn’avez rien à craindre, et que nous vous avons garanti la vie et laliberté.

– C’est pour cela, reprit le jeune homme,que je serai simple et vous dirai simplement ce qui m’amène. Ce quim’amène, c’est le sacrifice de ma vengeance personnelle au biengénéral et même au vôtre. Je ne me suis pas cru le droit de vouslaisser faire par un autre cette dernière sommation que je vousapporte. Si demain, au point du jour, les murs de Paris ne sont pascouverts d’affiches dans lesquelles vous annoncerez que laConvention en masse donne sa démission, que Paris et le reste de laFrance sont libres de choisir leurs représentants, sans conditionaucune, nous regarderons la guerre comme déclarée et nousmarcherons contre vous. Vous avez cinq mille hommes, nous en avonssoixante mille, et le bon droit en plus pour nous.

Il tira de son gousset une montre enrichie debrillants.

– Il est minuit moins un quart,poursuivit-il. Demain à midi, c’est-à-dire dans douze heures, siParis en se réveillant n’a pas eu satisfaction, la salle qui vousabrite dans ce moment-ci sera démolie pierre à pierre, et le feusera mis aux quatre coins des Tuileries pour purifier la demeureroyale du séjour que vous y avez fait. J’ai dit.

Un cri de vengeance et de menace s’élança detoutes les poitrines ; les patriotes, à qui on venait derendre leurs armes, voulaient se jeter sur cet insolentorateur ; mais Boissy d’Anglas étendit la main :

– J’ai engagé votre parole en même tempsque la mienne, citoyens, dit-il. Le président du club Le Peletierpeut se retirer comme il est entré, sain et sauf. Voilà commentnous tenons notre parole ; nous verrons comment il tiendra lasienne.

– Alors, c’est la guerre ! s’écriaMorgan avec un cri de joie.

– Oui, citoyen, et la guerre civile,c’est-à-dire la pire de toutes, répondit Boissy d’Anglas. Allez, etne vous représentez plus devant nous, car, cette fois, je nepourrais pas répondre de votre sûreté.

Morgan se retira le sourire sur leslèvres.

Il avait ce qu’il était venu chercher,c’est-à-dire la certitude d’un combat auquel rien ne pourrait pluss’opposer le lendemain.

Mais à peine fut-il sorti, qu’un tumulteeffroyable retentit à la fois sur les bancs des députés, dans lestribunes et dans les groupes des patriotes.

Minuit sonna.

On entrait dans la journée du 13vendémiaire.

Laissons la Convention aux prises avec lessections, puisque nous avons six ou huit heures avant que la lutteéclate, et entrons dans un de ces salons mixtes où les hommes desdeux partis étaient reçus, et où, par conséquent, les nouvellesarrivaient plus certaines qu’à la Convention ou chez lessectionnaires.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer