Triboulet

Chapitre 3LE BOUFFON

– Où est-il, ton amant ? Que fait-il leRoi-Chevalier ?…

– Grâce ! Pitié ! crie-t-elle encore.

Cherchons la réponse à cette ironique et sinistre question dumari… Que faisait François Ier ?…

Vers dix heures, comme tout dormait au Louvre, le roi, retirédans sa chambre, attendait l’arrivée des trois courtisans favorisdont il avait coutume de dire :

– Essé, Sansac, La Châtaigneraie et moi, nous sommes quatregentilshommes.

Il était seul avec Triboulet. Celui-ci jouait un air de rebec,tandis que François Ier, tout joyeux de l’expéditionamoureuse qui se préparait, se promenait avec impatience.

– Gillette !… Elle s’appelle GilletteChantelys !… Jour de Dieu ! Le joli nom pour une si joliefille ! murmurait-il.

Et il ajoutait, dans le fond de sa pensée :

– Ah ! Je l’aime vraiment !… Jamais je n’éprouvaidésir aussi intense, et jamais sensation plus douce et plus ardentene caressa mon cœur !…

– Voici les trois quarts de roi ! s’écriaTriboulet.

Essé, La Châtaigneraie et Sansac faisaient leur entrée.

– Sommes-nous prêts, messieurs ?

– Nous sommes toujours prêts, Sire, pour le service deVotre Majesté, dit Sansac.

– Mais, ajouta La Châtaigneraie, le roi ne nous a pasencore dit où nous allons.

– Messieurs, nous allons à l’enclos du Trahoir, près la rueSaint-Denis. C’est là que gîte le bel oiseau qu’il s’agit dedénicher… L’oiseau s’appelle Gillette… et…

François Ier ne put achever, un cri d’angoisse,semblable au cri de détresse d’une bête blessée à mort, venait deretentir… Ce cri, Triboulet l’avait poussé…

– Qu’a donc le bouffon ? ricana Sansac.

– Rien, messieurs, rien… moins que rien… j’ai laissé tomberce rebec… et l’émotion…

Triboulet était blême. Il fit un effort qui eût paru sublime àquiconque eût pu lire dans ce cœur.

– Que disait donc le roi ? demanda-t-il.

– Le roi disait que nous allons à l’enclos du Trahoir,répondit François Ier.

– À l’enclos du Trahoir ! s’écria-t-il. Votre Majestén’y songe pas !…

– Qu’est-ce à dire, bouffon !

– Mais, Sire, rappelez-vous ce que disait M. de Monclar…les truands en révolte… l’enclos du Trahoir est si près de la Courdes Miracles !… Non, non, Sire, vous ne commettrez pas cettefolie…

– Çà ! perds-tu la tête ?

– Sire, attendez à demain !… Je vous le demande engrâce ! Demain le grand prévôt aura saisi les plus dangereuxde ces coquins… demain, Sire… pas ce soir !…

– Triboulet est fou, messieurs : il devientraisonnable.

– Raisonnable, oui, Sire. Mes paroles sont dictées par dejustes craintes… Sire !… Sire !… n’allez pas ce soir àl’enclos du Trahoir…

– Du danger ? Par Notre-Dame, voilà qui complète leplaisir de l’expédition ! Venez, messieurs ! Viens,Triboulet !

D’un bond. Triboulet se jeta devant lui :

– Sire ! Sire !… Daignez m’écouter… Songez à ceque vous allez faire, Sire !… Une enfant de dix-septans ! Votre Majesté aura, pitié… Quoi. Sire ! Vous avezles dames de la Cour, les bourgeoises… Cette pauvre petite… Tenez,Sire, je ne la connais pas, mais cela me fait une étrange peine…Tant de charme, de jeunesse et de pureté ! Vous l’avez ditvous-même… Oh ! Sire ! grâce pour cetteenfant ?…

Il y eut un éclat de rire général.

– Triboulet, que de vertu ! pouffa le roi.

Le malheureux fou tordait ses mains.

– Sire ! sire ! reprit-il, qui vous dit que cetteenfant n’a pas une mère !… Songez à l’affreux désespoir…

– Rassure-toi ! fit le roi en riant de plus belle.Elle n’a pas de mère !…

– Ou un père, peut-être ! continua Triboulet d’unevoix tremblante. Un père !… Oh ! Sire ! Pensez audeuil abominable qui eut atteint votre cœur paternel, si…

– Misérable ! rugit le roi, blanc de fureur,oserais-tu quelque sacrilège comparaison !

Sa main lourde s’abattit sur l’épaule du bouffon qui tomba surses genoux.

– Non ! non ! Sire, clama le malheureux. Loin demoi la pensée d’assimiler un cœur de roi à un cœur d’homme !…Mais, Sire, si pourtant cette enfant a un père !… Oh !songez à ce que va souffrir cet homme ! Songez que vous allezle tuer, Sire !

– Assez, bouffon !… Venez, messieurs !…

– Sire, je suis à vos genoux !

– Jour de Dieu !

– Le chien devient enragé, dit Sansac.

Triboulet se redressa péniblement. Le roi voulut l’écarter.

– Sire, dit Triboulet, tuez-moi. Moi vivant, vous n’irezpas au Trahoir.

– Sansac, appelez mon capitaine.

L’instant d’après, le capitaine des gardes apparut.

– Bervieux, commanda le roi, arrêtez mon bouffon !

– Sire ! sanglota Triboulet d’une voix brisée,Sire ! faites-moi jeter dans un cachot, mais écoutez-moi, parpitié !… Je vais vous dire… vous allez savoir…

Bervieux avait fait un signe. En une seconde, le bouffon futsaisi, entraîné… Deux minutes plus tard, il était enfermé dans unesalle basse du Louvre.

Pendant quelques instants, Triboulet demeura immobile, frappé destupeur. Puis, tout à coup, il se mit à tourner dans sa prison, enpoussant de lamentables clameurs.

Puis, enfin, il tomba tout de son long sur les dalles et ilpleura ! Il sanglota ! Il pria, supplia !…

Le capitaine de Bervieux qui, surpris de cette arrestation,avait écouté à la porte, raconta plus tard à son lieutenantMontgomery qu’il n’avait jamais entendu pareils accents delamentation, et qu’il avait dû s’en aller pour ne pas se mettre àpleurer.

– Sans pitié !… grondait Triboulet en labourant lesdalles de ses ongles saignants. Ce roi est sans pitié !…Pouvais-je lui dire ! Il se serait ri de moi !… ô maGillette !… ô mon ange candide et pur !… Pouvais-je luidire, à ce monstre, que tu es toute ma vie !… que nosdestinées sont indéliables… depuis le jour où, pauvre enfantperdue, tu apparus si pitoyable au bouffon enchaîné que raillaitune ville entière !… depuis l’heure bénie où ton regard depitié fut le rayon céleste qui éclaira mon enfer !… Mafille !… Je vous assure. Sire, qu’elle est devenue ma fille, àmoi, qui n’ai ni père, ni mère, ni femme, ni amante, ni enfant, nirien au monde !… Rendez-moi ma fille ! Pitié,Sire !

Au matin, on pénétra dans la salle basse. On trouva Tribouletévanoui. Chose affreuse : sur sa figure, insensible et raidie,coulaient lentement des larmes qui tombaient une à une et roulaientsur les dalles.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer