Triboulet

Chapitre 13NUIT DE RÊVE

L’immense salle rutilait, flamboyait sous les feux de ses sixcents flambeaux de cire. Les orchestres de violes, de violons, demandolines et de hautbois donnaient la mesure aux couples qui setenaient par la main, évoluaient, se courbaient en de savantesrévérences…

La cohue des gentilshommes et des dames de la cour tournoyaitlentement, et parmi cette cohue étincelante, alanguie par lesparfums et la musique, chatoyante de soie et de velours éclatants,Triboulet, sa marotte à la main, allait de groupe en groupe,ricaneur et sombre…

À un bout de la salle, un fauteuil sous un dais : c’étaitla place du roi.

Un homme encore jeune, entouré de quelques seigneurs, promenaitsa mélancolie ennuyée. C’était le dauphin Henri.

Comme un officier passait auprès de lui, il l’appela :

– Monsieur de Montgomery…

– Monseigneur !

– Je lisais ce matin qu’Amadis de Gaule savait un coup delance qui tuait sûrement… On m’affirme que vous connaissez un coupsemblable…

– Quand monseigneur m’en donnera l’ordre, ma faible scienceest à sa disposition…

Le futur Henri II fit un geste d’ennui et congédia l’officier. Àgauche du trône royal, une femme d’une majestueuse beauté étaitvenue s’asseoir, jetant un regard altier à une autre femme déjàassise non loin de là…

C’était Diane de Poitiers, maîtresse en titre du dauphin.

Et celle qu’elle provoquait du regard, c’était Anne de Pisseleu,duchesse d’Étampes, maîtresse en titre du roi.

– C’est étonnant comme les fards vieillissent cette pauvreduchesse ! dit Diane de Poitiers aux gentilshommes quil’entouraient.

– Mme Diane engraisse, faisait observer laduchesse d’Étampes à ses fidèles ; c’était jadis une statue demarbre… c’est maintenant une statue de graisse !

– Voici la mûre, ricana Triboulet en désignant Diane dePoitiers à un gentilhomme.

La duchesse d’Étampes sourit.

– Et voici la blette ! acheva le bouffon en désignantla duchesse.

– Que chante cet insolent ? s’écria celle-ci qui avaitparfaitement entendu.

– Madame, dit Triboulet, je vous comparais à l’ablette, àla gentille ablette de Seine, jeune et frétillante.

Triboulet pirouetta, se perdit au loin…

En lui-même, il songeait :

– Dois-je fuir ? Dois-je sauter par l’une de cesfenêtres et me briser le crâne sur les pavés de la cour ? Elleva venir ! Elle va me voir !

– Mon cher Chabot, disait Diane de Poitiers, queraconte-t-on ?… qu’il est arrivé quelque mésaventure àcertains de vos amis ?

De l’œil, elle désignait La Châtaigneraie, Essé et Sansac qui,mal remis de leurs blessures et tout blêmes encore, avaientpourtant voulu paraître à la fête afin qu’on ne pût dire qu’ilsavaient été blessés.

Guy de Chabot de Jarnac, le gentilhomme interpellé, retroussa samoustache et répondit :

– On dit, madame, que Marot va composer une ballade quis’appellera la Ballade des Trois éclopés…

– Savez-vous, madame, dit La Châtaigneraie à haute voix ens’adressant à la duchesse d’Étampes, le dernier bruit quicourt ? On dit, madame, que le roi songe à se défaire de sonbouffon Triboulet.

– À se défaire de moi ! intervint Triboulet. Je plainsla cour, la ville et la France en ce cas. Plus de bouffon, plus deroi ! Plus de Triboulet, plus de Français !

– Hé ! fou, qui te dit qu’il n’y aura plus debouffon ? Tu seras remplacé, voilà tout !

– Par qui ? demanda la duchesse qui vit venir lecoup.

– Par M. de Jarnac en personne !

Il y eut des éclats de rire autour de Mme Anne,tandis que des « Jour de Dieu ! », des« Ventrebleu ! », des« Corbleu ! » éclataient autour de MmeDiane.

Les deux rivales se lancèrent un sourire plein de fiel.

– Je proteste ! glapit Triboulet. Je réclame le droitde désigner mon successeur moi-même !

Et le malheureux songeait :

– Oh ! fuir ! m’enfoncer dans les entrailles dela terre !

– Désigne-le donc ! fit le jeune Saint-Trailles qui,avec le vicomte de Lézignan et Jarnac, formait le trio de Diane dePoitiers, tandis que Sansac, d’Essé et La Châtaigneraie composaientcelui de la duchesse d’Étampes.

– Le roi en personne ! déclama Triboulet.

– Ce bouffon va trop loin, fit une jeune femme d’uneadmirable beauté qui prenait peu de part à ce tournoi et quis’appelait Catherine de Médicis, femme du dauphin Henri.

– Et puisque le roi devient mon successeur, je demande àprendre sa place. À lui la marotte, à moi la couronne !

– N’est-ce pas que ce bouffon est insupportable ? ditCatherine en adressant son plus doux sourire à Diane de Poitiers,la maîtresse de son mari.

– Mais, acheva Triboulet, si la couronne gagne au change,je plains ma pauvre marotte !

À ce moment, une voix éclata et cria :

– Messieurs, le roi !

Triboulet donna un coup d’œil désespéré vers l’entrée de lasalle immense où, en un instant, s’établit un grand silence…François Ier entrait, tenant Gillette par la main.

– Messieurs, dit le roi, saluez la duchesse deFontainebleau…

Il y a une longue ondulation des échines, parmi des froissementsde soie… et, dans le coin des deux maîtresses, des ricanementssourds.

– À vieux roi, jeune maîtresse ! murmura Diane dePoitiers.

Cependant, parmi les hommes, c’était une stupéfaction admirativeà voir tant de grâce et de charme.

Elle s’avançait très droite, sans répondre à aucun des saluts,comme si ces hommes se fussent adressés à une autre. Elle nebaissait pas les yeux… mais ces yeux ne voyaient personne danscette foule.

Cependant, le roi, qui de sa haute taille dominait la cohue,conduisait Gillette de groupe en groupe.

– Monsieur mon fils, dit-il au dauphin, voici la duchessede Fontainebleau. Aimez-la comme une sœur…

Ces paroles causèrent une stupéfaction qui se répercutajusqu’aux extrémités de la salle en un murmure d’étonnement. Ledauphin esquissa un salut ennuyé, puis, tournant le dos, il prit ledos d’un gentilhomme et s’éloigna.

Le roi venait de faire signe que la fête continuait. Il avaitconduit Gillette à un fauteuil près duquel prirent place ses troisdames d’honneur, et lui-même s’était assis non loin de là,dédaignant le trône qui lui avait été préparé.

François Ier ne la perdait pas de vue.

– Adorable nuit de joie et de fête ! dit-il assez hautpour être entendu d’elle. Comme le cœur se dilate à respirer cesparfums, à voir ces chatoiements de la soie sous les feux, àadmirer tant de beautés différentes… Mais qui dira jamais la fêtequi est au-dedans de moi-même ? Ô douceur d’un sentiment queje ne connaissais pas encore !…

La jeune fille ne fît pas un geste qui indiquât au roi qu’elleavait entendu et compris.

– N’est-ce pas que cette fête est charmante, monsieur deMonclar ?

– Charmante, sire ! répondit Monclar. Et il fit un paspour se retirer.

– Ne vous éloignez pas, Monclar, dit vivement le roi, jevais avoir besoin de vous. Au fait, mais il me semble qu’il nousmanque quelque chose ou quelqu’un.

– Sire, il ne doit rien nous manquer depuis que vous êteslà !

– Si fait, par Notre-Dame ! Il nous manquequelqu’un ! Où est mon bouffon ? Je veux voir monbouffon !

Une dizaine de gentilshommes se précipitèrent encriant :

– Triboulet ! Triboulet !… Au roi,Triboulet !

Indifférente à tout ce bruit qui se faisait autour d’elle, à cesmilliers de regards jaloux ou admirateurs qui demeuraient fixés surelle, Gillette semblait un corps sans âme, une statue qu’on eûtplacée là…

Le roi cria plus fort que les gentilshommes :

– Triboulet ! Bouffon ! Je vais te fairefouetter !…

Les danses furent suspendues. Dames et seigneurs se prêtèrent àcet incident qui créait un jeu dans la fête : chercherTriboulet pour l’amener au roi !

Et, soudain, il y eut une tempête de rires, une énorme etgrotesque acclamation…

– Le voilà ! Le voilà !

– En triomphe !

En un clin d’œil, Triboulet fut saisi, enlevé, portétriomphalement par cinquante gentilshommes ou dames qui sedisputaient à qui aurait un bras ou une jambe.

Livide, le bouffon se laissait faire sans opposer de résistance.Les rires, les vivats, les clameurs formèrent un tonnerre lorsqueTriboulet fut déposé devant le roi.

– Sire, nous l’avons trouvé à genoux…

– Tout seul dans une salle…

– Pleurant tout son saoul…

– C’est une farce !

– Ce Triboulet ! Il n’y a que lui !…

– Aller pleurer à genoux dans un coin, loin de la fête…

La voix de Triboulet retentit, terrible, presquesinistre :

– C’était pour vous faire rire, messeigneurs !

– Bravo ! Vivat ! Au fou ! ViveTriboulet !

– Silence ! commanda le roi. Écartez-vous, messieurs,que chacun puisse voir mon bouffon… Approchez, monsieurFleurial !

Gillette fut secouée d’un frisson. Elle se tourna versTriboulet. Elle le vit. Elle le reconnut.

En un instant, cette enfant douée d’une si exquise délicatessede cœur, d’une si belle et si noble intelligence, compritl’effroyable comédie qu’avait préparée le roi.

Il faut dire que Gillette ne s’était jamais inquiétée de ce quefaisait celui qu’elle appelait son père. Elle s’étonnait bien qu’ilne demeurât pas dans la maison de l’enclos du Trahoir, mais ellen’avait jamais interrogé ce bon M. Fleurial et avait gardé pourelle les suppositions par quoi elle avait cherché à expliquer cequ’il y avait d’anormal dans cette situation…

L’explication lui était enfin donnée, brutalement.

M. Fleurial n’était autre que le fameux Triboulet.

Son père adoptif était un bouffon de cour.

Elle avait attaché son regard sur Triboulet… Mais celui-ci ne laregardait pas. Héroïque, intrépide, il s’était dit :

– Elle ne me reconnaîtra pas ! Je ne veux pas qu’elleme reconnaisse !

Et maintenant, il était devant le roi, plus courbé, plus bossuque jamais, exagérant la torsion de ses jambes, faisant ce rêve dese transformer en bête, s’essayant au surhumain effort d’être sicomplètement Triboulet qu’il fût impossible à Gillette dereconnaître en lui Fleurial…

– Bouffon, s’écria le roi, comme s’il eût feint une grandecolère, que faisais-tu loin de la fête ? Pourquoi n’étais-tupas à ta charge qui est de nous faire rire ?

Triboulet voulut répondre… Mais sa voix ne produisit qu’un râle…Il eut un ricanement effrayant et agita à grand bruit ses grelotspour qu’on n’entendît pas son sanglot…

Ce sanglot, Gillette l’entendit, elle seule !

Sur le visage convulsé par la grimace du rire, elle fut seule àvoir les larmes… Elle eut une inspiration sublime…

Elle se leva tout à coup et s’avança vers Triboulet… Un silencede stupeur s’abattit soudain sur la foule…

Souriante, dans l’attitude même qu’elle avait eue jadis, àMantes, comme si vraiment un phénomène de mémoire lui eût remissous les yeux la scène qu’elle avait depuis longtemps oubliée, elles’avança vers Triboulet et essuya son visage ruisselant de sueur etde larmes.

Le roi s’était levé, furieux. Mais avant qu’il eût pu faire ungeste. Gillette s’était appuyée sur Triboulet chancelant de douleuret de joie, et tournée vers la cohue silencieuse, elle dit de savoix claire et ferme :

– Nobles dames et gentilshommes, tout à l’heure on m’aprésentée à vous… À mon tour de vous faire une présentation…

Pâle et résolue, elle saisit la main de Triboulet :

– Dames et seigneurs, je vous présente mon père…

Le front rayonnant, l’esprit perdu, les mains tremblantes,Triboulet balbutia :

– Ô ma fille adorée !

Et il s’affaissa évanoui aux pieds de Gillette… Un long murmureparcourut les rangs de l’immense assemblée. Murmure destupéfaction, murmure d’effroi aussi… Car le roi, blanc de colère,s’avançait à son tour. Gillette le regardait, résolue à mourir surplace.

– Qu’on emporte ce drôle ! gronda le roi.

Triboulet fut saisi et emporté sans que Gillette fît ungeste : son père était vengé maintenant !…

– Madame, dit alors le roi, quelle est cette étrangefolie ?

– Cette folie est une vérité, sire. Vous lesavez !

La fureur de François Ier parut sur le pointd’éclater.

Mais il se contint et, habitué à commander à sa physionomie, ileut soudain un sourire qui rassura la foule, mais qui fit tremblerceux qui le connaissaient.

– Je veux que l’on s’amuse ! cria-t-il d’un ton riant.Jour de Dieu, messieurs, que signifient ces figures decarême ! Allons, vite ! que les dansescontinuent !

Et tout aussitôt, il ajouta, pour être entendu de son entourageimmédiat :

– La duchesse de Fontainebleau a eu un éblouissement… Elley est sujette… bien que les médecins affirment que le cas n’est pasd’une gravité redoutable… Demain, il n’y paraîtra plus !

Un geste acheva de faire comprendre sa pensée…

Déjà, la fête reprenait à grand bruit, et déjà aussi le bruit serépandait que la nouvelle venue était sujette à des crises defolie. Ainsi s’expliquaient son altitude lors de son entrée dans lasalle, la fixité de son regard étrange.

– C’est bien fait ! pensèrent les femmes.

– Quel dommage ! chuchotèrent les hommes.

Et ce fut tout. Gillette avait parfaitement entendu ce qu’avaitdit le roi. Elle avait compris. Mais, dédaignant de répondre, elleavait regagné son siège et repris son indifférente attitude.

Le roi paraissait déjà avoir oublié l’incident, et riait avecses familiers… mais un orage grondait dans sa tête… Il songeait auxmoyens de briser le caractère indomptable de la jeune fille… de lafaçonner, de la plier à sa guise…

Elle était sa fille. Il l’aimait comme telle.

Son amour s’était transformé ; il se l’affirmait du moins.Ou Gillette oublierait Triboulet, ou il la briserait !

Tout à coup, il eut un sourire… D’un geste, il appela Sansac,Essé et La Châtaigneraie.

– Eh bien ! demanda-t-il aux trois favoris, où en sontces blessures ?

– Guéries, sire, répondirent-ils d’une seule voix.

– C’est que le truand n’y allait pas de main morte !Tudieu, quels coups ! Il faut que ce soit une finelame !

– Oh ! sire, dit La Châtaigneraie, le misérable nous asurpris !

– Je le sais. Et d’ailleurs, avec ces gens de sac et decorde, il faut s’attendre à tout…

– À propos, reprit le roi, qu’est donc devenu ce truand,Monclar ?

– Quel truand, sire ?

– Ce Manfred que vous vouliez pendre !

Gillette joignit les mains…

De la scène douloureuse, le roi la faisait entrer violemmentdans la scène tragique. Après l’avoir atteinte dans sa piétéfiliale, on cherchait à la frapper dans son amour.

– Mais, répondit Monclar, Votre Majesté le saitbien !

– Eh bien, comte, faites comme si je ne le savais pas.D’ailleurs, ces messieurs ne savent pas, eux… L’histoire estamusante et mérite d’être contée en pleine fête… Elle vous paraîtrad’autant plus drôle, messieurs, que le fier-à-bras, fanfaron commetous ses pareils, avait juré de me venir trouver en pleinLouvre ! Parlez, Monclar…

Et le roi jeta sur Gillette un coup d’œil empreint d’une froidecruauté.

– Eh bien, sire, j’ai donc poursuivi le truand. Il s’estmis à fuir, et un moment j’ai cru qu’il allait m’échapper… il aprofité d’un singulier incident, que je suis en train d’éclaircir,pour franchir la porte Saint-Denis… Mais je l’ai rattrapé… Or,messieurs, savez-vous où il s’était réfugié ?… Au gibet deMontfaucon !

Gillette étouffa un faible cri, qui fut couvert par l’éclat derire des courtisans. Le comte de Monclar continua :

– Se voyant cerné, pris ou sur le point de l’être, letruand n’a rien trouvé de mieux que de se cacher dans lecharnier !… Alors j’ai tout simplement fermé la porte defer.

– Bravo ! Bien trouvé ! s’écrièrent avecconviction Sansac, Essé et La Châtaigneraie.

– Il y a de cela combien de jours ? demanda leroi.

– C’est aujourd’hui le septième jour, sire. Le misérableest certainement mort à l’heure qu’il est.

– Et vous dites que cet homme s’appelle ? Rappelez-moidonc son nom…

– Manfred, sire.

À cette minute même, le roi vit Gillette qui se levait.

Elle avait fixé ses yeux vers un point de la foule ; sesbras esquissaient un mouvement vague comme pour se tendre versquelqu’un.

François Ier suivit la direction de ce regard. Ilsaisit le bras du grand prévôt.

– Morbleu, monsieur ! lui dit-il d’une voixconcentrée, les gens que vous tuez se portent assez bien… à moinsque ce ne soit là une ombre, un fantôme… Regardez !

Monclar regarda et devint pâle comme un mort.

Au milieu de la cohue des seigneurs, un homme vêtu de veloursnoir, la main appuyée sur la garde d’une longue rapière, s’avançaiten écartant les groupes, marchant droit vers le roi. Et cet homme,c’était Manfred !

Gillette l’aperçut la première. Elle le vit à l’instant même où,épouvantée par le récit de Monclar, elle allait crier au roi sondésespoir et son amour…

Le roi le vit venir à son tour, et, pétrifié, médusé,semblait-il, le regarda venir sans pouvoir proférer un cri.

Monclar, seul, gardait son sang-froid.

Il fit un signe à Bervieux, le capitaine des gardes, et luiglissa quelques mots à l’oreille.

À ce moment, celui que l’on croyait mort était arrivé près dufauteuil où le roi, muet de stupeur, demeurait sans geste. Manfreds’inclina avec une bonne grâce hautaine.

– Sire, dit-il à haute voix, je vous ai promis de venirvous dire en votre Louvre que tout homme est un lâche, qui violenteune femme… je tiens parole !…

Dépeindre la stupéfaction qui saisit les courtisans, et jusqu’àMonclar devant une si audacieuse provocation adressée au roilui-même serait œuvre vaine…

Il s’était fait un grand cercle autour de Manfred. Debout, lesyeux calmes, et même tristes, eût-on dit, il n’avait dans sonattitude ni insolence ni arrogance.

Le roi était blême. Monclar tonna :

– Bervieux ! qu’attendez-vous ?

Mais ces paroles semblèrent briser le lien de stupeur quienchaînait le roi.

Il étendit le bras vers les gardes accourus.

– Laissez ! ordonna-t-il.

Et, redevenu maître de lui, il ajouta avec majesté :

– Je veux voir jusqu’à quel point d’insolence et derébellion il est possible à un homme vivant de se hausser, dans monroyaume, dans mon Louvre, devant le roi.

Il darda sur Manfred un regard tel que les courtisans reculèrentde terreur.

– Est-ce tout ce que tu avais à dire ?Parle !

– Sire, j’avais à ajouter ceci : lorsque je vous aiparlé ainsi, près de l’enclos du Trahoir, je croyais bien faire… jeme suis trompé…

– Ah ! ah ! tu as peur, mon maître !

Manfred haussa les épaules :

– Serais-je là !… Allons donc, sire, vous le savezbien que je n’ai pas peur !… Je dis que je me suis trompé,parce que j’ai supposé à ce moment-là qu’on faisait violence à uneinnocente jeune fille !… Je m’étais trompé. Entendez-vous,vous tous ? Et vous aussi, madame ! J’ai cru que vousétiez une jeune fille… Je ne savais pas que vous n’attendiez quel’occasion de tomber dans les bras du premier venu ! Cepremier venu fut un roi ! Riche aubaine ! Maîtresse duroi, acheva-t-il dans un terrible éclat de rire, je vous salue, etvous, sire, je vous demande pardon d’avoir retardé de deux heuresvotre impatience légitime !

Ivre de fureur, François Ier avait fait un geste.

– Qu’on le prenne ! hurla-t-il. Je vous lelivre ! En chasse ! Sus à la bête ! Qu’elle soitlacérée en morceaux !

Gillette, écrasée de désespoir, était tombée à la renverse,comme morte… Deux cents gentilshommes se précipitèrent, l’épée à lamain, en criant :

– À mort ! À mort !

– Arrière, valets de bourreaux, laquais de rois, et decourtisanes !

La voix de Manfred tonna ces paroles. Sa flamboyante rapièredécrivit un foudroyant moulinet. Et il s’accula à un coin, décidé àmourir là.

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