Triboulet

Chapitre 44LAISSEZ PASSER…

Il est ici nécessaire que nous revenions de quelques jours enarrière.

Le surlendemain de l’arrestation d’Étienne Dolet, le vénérableIgnace de Loyola avait demandé au roi de France une nouvelleaudience, qui lui avait été aussitôt accordée.

Le moine se présenta au Louvre, à l’heure qui lui avait étéindiquée, il fut introduit dans ce cabinet où nous avons vuFrançois Ier se courber sous la menaçante bénédiction dufondateur de l’ordre de Jésus.

– Eh bien, êtes-vous content, messire ? demanda leroi ; votre Dolet est en prison…

– Votre Majesté doit être plus contente que moi, réponditLoyola.

– Pourquoi cela, monsieur ?

– Les livres trouvés chez Dolet ne laissent aucun doute surles faits et gestes de cet homme. Je frémis en songeant au nombred’infortunés qu’il a dû pervertir en les détournant de notre saintereligion. Or, somme toute, Votre Majesté est plus intéressée quemoi à ce que ses sujets demeurent fidèles à la vraie tradition…

– Vous avez raison, dit gravement François. Quoi qu’il ensoit, l’imprimeur est hors d’état de nuire.

– J’en rends grâce au ciel, et aussi à la fermeté du roi…Mais ce n’est pas tout…

– Qu’est-ce encore ? dit le roi avec une inquiétudenon dissimulée.

– Que Votre Majesté se rassure, je ne viens pas luidemander une autre arrestation, bien que…

– Bien que ? Achevez, messire… Par Notre-Dame, je suisdécidé à tout pour arracher de mon royaume les ferments de révolteet d’impiété qui s’y sont glissés…

– En ce cas, sire, il est un homme que vous devriez, dès cesoir, faire coucher à la Conciergerie ou à la Bastille… c’estRabelais.

– Rabelais ! Ce digne docteur dont les livres m’onttant amusé !

– Lui-même, sire. Mais je vous en causerai plus tard, siVotre Majesté daigne le permettre. Je travaille au bien del’Église, sire… C’est donc que je travaille au bien des rois qui,sans l’Église, seraient peu de chose.

– Vous parlez là comme un homme de robe.

– Sire, dit Loyola en s’inclinant, je parle comme un hommeconvaincu par l’étude et l’expérience que l’autorité des rois nes’appuie sur rien de stable si elle ne s’appuie sur l’autorité del’Église. Mais je passe, et j’arrive à la demande que je voulaisvous adresser… Sire, je désire un sauf-conduit ou laissez-passerpour que je puisse visiter à toute heure, et autant de fois que jele jugerai convenable, notre prisonnier de laConciergerie…

– Notre ! s’écria le roi avec dépit, et furieux encorede la leçon que le terrible moine venait de lui faire ; ditesdonc votre prisonnier…

– Sire, dit Loyola avec une sombre expression de menace, jevois que nous nous entendons mal. Donnez donc l’ordre de relâcherM. Dolet, et tout sera dit…

– Eh ! jour de Dieu ! Je le relâcherai si tel estmon bon plaisir ! Ces livres, après tout, est-il bien certainqu’il les ait imprimés ?… Je connais Dolet. C’est un espritindomptable, et s’il eût imprimé les livres maudits qu’on a trouvéschez lui, il l’eût proclamé !

À ce moment-là, si Loyola eût hésité un instant, c’en étaitfait : François Ier faisait relâcher Dolet. Lemoine comprit la révolte qui bouillonnait dans l’esprit du roi.

– Sire ! dit-il lentement, je jure que les livresmaudits ont été imprimés par Dolet. Faut-il aller dire à Rome quela parole sacrée de l’envoyé du pape a été mise en balance avec laparole d’un hérétique impur ? Le Saint-Père se verra-t-ilexposé à cet affront incroyable que son autorité soit méconnue à cepoint ?…

François Ier, frémissant, courba la tête.

La guerre avec la papauté, c’était la guerre avec l’empereurCharles-Quint, avec l’Espagne, l’Italie, l’Autriche, avec toutel’Europe ameutée contre lui.

– Je vous crois, monsieur, répondit-il. Mais il ne mefallait pas moins que votre parole pour me convaincre… Que medemandiez-vous donc ?

– La permission de visiter notre prisonnier, ditLoyola, implacable.

– Pourquoi ces visites ?

– Pour convertir ce malheureux. Songer, sire, à l’éclatantevictoire que remporterait l’Église, et par conséquent la royauté,si l’imprimeur abjurait son impiété, s’il se déclarait publiquementcoupable, s’il mourait enfin en acceptant les secours spirituels denos prêtres ! Ce serait un magnifique résultat,sire !

– Mais l’obtiendrez-vous ? Dolet est têtu…

– Je réponds du succès, sire, surtout si l’ordre est donnéau gouverneur de la Conciergerie de se conformer en tous points àmes prescriptions.

– En somme, vous voulez pleins pouvoirs pour torturerDolet ? Eh bien, soit ! finit-il par dire. Je donnerai àMonclar les ordres nécessaires.

– Sire, à quoi bon faire savoir à des tiers ce que je veuxentreprendre ? J’ai préparé un ordre sur lequel Votre Majestén’a qu’à mettre sa signature et son sceau.

Loyola tendit au roi un papier qui contenait ces mots :

« Ordre au bailli de la Conciergerie, concierge des prisonsdu palais, de laisser entrer le porteur des présentes, de le fairecommuniquer avec tel prisonnier qu’il jugera bon, et de seconformer de tous points aux ordres qu’il donnera. »

François Ier signa et apposa le sceau particulierdont il se servait pour authentiquer les pièces secrètes.

Loyola serra le précieux papier, remercia le roi avec cettebonne grâce cavalière qu’il employait lorsqu’il était content, etse hâta de sortir du Louvre.

…  …  …  …  … … .

Loyola s’était logé dans une masure située au fond d’uncul-de-sac appelé le Trou-Punais.

Le Trou-Punais s’ouvrait à l’extrémité de la rue de la Huchette.Celle-ci aboutissait d’une part à la ruelle des Études, et del’autre au quai de Gloriette situé sur la rive gauche du petit brasde la Seine.

Loyola se trouvait ainsi parfaitement caché, à l’abri desimportuns, et, en même temps, il était au centre de ses opérations,près du Louvre, près de Notre-Dame, près du Châtelet.

Le Trou-Punais se composait d’une dizaine de sordides maisonshabitées par des mariniers, des débardeurs et de pauvres fillesqui, le soir, allaient rôder aux étalages des boutiques du pontSaint-Michel, dans l’espoir d’attirer l’attention de quelque gardeou de quelque étudiant.

C’est dans la dernière de ces maisons, celle qui formait le fonddu cul-de-sac, qu’habitait Loyola.

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