Triboulet

Chapitre 48TENTATIVE

Le lendemain, Lanthenay, revêtu de la robe de Loyola, lecapuchon rabattu sur les yeux, se présentait à la porte de laConciergerie. Au respect et à l’empressement des gardes, il compritque Loyola avait dû faire des visites à la prison. Quelquesinstants plus tard, il se trouvait en présence de M. Gilles LeMahu.

– Je vois, s’écria celui-ci, que Votre Révérence vientseule… Elle a renoncé à se faire accompagner comme elle en avaitl’intention hier…

– Oui, dit Lanthenay.

– Mon révérend, désirez-vous voir le prisonnier ?

– Oui…

– Je vais vous accompagner…

– L’ordre que j’ai me donne pleins pouvoirs, dit alorsLanthenay en modifiant sa voix qu’il chercha à faire sourde le pluspossible.

– En effet, mon révérend, répondit Le Mahu en ouvrant uneporte. Pleins pouvoirs ! Excepté, toutefois, de faire sortirnotre homme !

Et Le Mahu se mit à rire aux éclats.

– Tout ce que vous voudrez, répéta-t-il, excepté del’emmener faire un tour sur les bords de la Seine…

Et comme la plaisanterie lui paraissait tout à faitréjouissante, il continua :

– D’ailleurs, mon révérend, vous tenez trop à sa santé. Lecher homme risquerait une fluxion de poitrine, par le froid qu’ilfait…

Ayant ri copieusement, M. Le Mahu passa dans un corridor endisant :

– Je montre le chemin à Votre Révérence.

Lanthenay répondit par un signe de tête. Tous deux s’avancèrent,escortés de gardes.

– Je tiens à être seul avec le prisonnier, fitLanthenay.

– Comme vous voudrez, mon révérend… mais c’est peut-êtredangereux.

– J’ai des choses graves à dire…

– C’est bien… Si toutefois vous aviez besoin de secours…vous appelleriez en frappant fortement contre la porte…

– C’est cela…

– Selon le désir de Votre Révérence, j’ai mis le prisonnierdans un cachot convenable. Le drôle ne pourra pas se plaindre…

Lanthenay, cependant, notait soigneusement le chemin parcouru,comptait les pas, et fixait dans sa tête la topographie exacte dela prison.

– Vous l’avez changé de cachot ? dit-il entressaillant.

– Oui, mon révérend.

– Eh bien, à dater d’aujourd’hui, il ne faut plus qu’ilsoit changé…

– Entendu, révérend père… Nous y sommes.

M. Le Mahu fit signe au porte-clefs. Celui-ci ouvrit une portemassive dont les verrous grincèrent.

– Entrez, mon révérend, dit Le Mahu à voix basse, et, aupremier geste de cet homme, appelez !…

Lanthenay entra. La porte se referma, sans toutefois qu’onrepoussât les verrous.

Le jeune homme écouta un instant, pour s’assurer que Le Mahus’éloignait réellement, puis, se tournant vers Étienne Dolet, illaissa tomber son capuchon et tendit ses bras. Il fallut à Dolettoute la puissance qu’il avait sur lui-même pour ne pas jeter uncri qui les eût perdus tous les deux. Les deux hommess’étreignirent silencieusement.

Puis Dolet entraîna Lanthenay dans l’angle de son cachot le pluséloigné de la porte.

Son premier mot, prononcé à voix basse, fut :

– Julie ?

– Désespérée, mais vaillante.

– Avette ?

– En bonne santé toutes deux !

– Comment as-tu fait ?

– J’ai tué Loyola.

Dolet eut un long frisson d’admiration pour l’homme qui, trèssimplement, continuait :

– Je l’ai tué, ou du moins mortellement blessé ; jelui ai pris un papier signé du roi et vous mettant à sa merci, jeme suis revêtu de sa robe, et je suis venu…

– Ô mon fils ! mon fils ! murmura Dolet enétreignant la main de Lanthenay.

– Mais vous ? demanda celui-ci.

– Ne parlons pas de moi. J’ai horriblement souffert.

– Oui, reprit fiévreusement Lanthenay ; ne perdons pasde temps en paroles inutiles… Père… je suis venu pour voussauver.

– Comment ?

Lanthenay se défit vivement de sa robe de moine et la présenta àDolet. Celui-ci eut un nouveau regard d’admiration pourLanthenay.

– Comme je suis fier de toi ! dit-il, et comme Je suissûr que mon Avette sera heureuse avec toi !

– Vite, père !

Dolet haussa les épaules.

– Vous refusez !

– Oui…

– Vous êtes utile… moi, non !

– Tu es une vie humaine, j’en suis une autre, voilàtout.

Cela avait été bref, poignant, sublime.

Lanthenay comprit que jamais Dolet ne consentirait.

Et, à ce moment, cette pensée lui traversa l’esprit :

– Comment ai-je pu croire qu’il consentirait !

Il reprit :

– Il faut donc chercher un autre moyen.

– Oui, mon fils : n’importe quoi ; tout ce que tuvoudras, excepté sauver ma vie en sacrifiant la tienne.

Lanthenay était livide.

– Père, il y a un moyen, finit-il par dire.

– Lequel ?

Lanthenay glissa un poignard dans la main de Dolet.

– Voici, dit-il rapidement. J’appelle. On vient ouvrir.Nous sortons ensemble en tuant tout ce qui s’oppose à notre fuite.Dehors, Manfred et vingt hommes résolus sont postés en face de lagrande porte et nous attendent. Nous crions. Ils nous entendront,et, alors, ils se ruent sur la porte… Nous avons convenu tout celacette nuit, pour le cas où vous n’accepteriez pas de sortirseul…

– Ce moyen me paraît assez raisonnable, dit froidementDolet. Embrasse-moi, mon fils.

Dolet et Lanthenay échangèrent la suprême accolade. Puis, Dolet,le poignard à la main, demanda :

– Tu es prêt, mon fils ?

– Je suis prêt, père !…

– Eh bien, appelle !

Lanthenay marcha résolument à la porte sur laquelle il frappa àgrands coups de poing.

– À moi ! à moi ! cria-t-il.

Aussitôt, des pas retentirent dans le corridor…

– Attention ! dit Lanthenay.

La porte fut violemment ouverte. Cinq ou six gardesapparurent.

– Place ! rugit Lanthenay qui s’élança, le poignard àla main.

Dolet bondit derrière lui.

– Arrête ! arrête ! vociférèrent les gardes.

Mais, profitant de la stupéfaction qui avait un instant paralyséles soldats, Dolet et Lanthenay s’étaient jetés dans le corridor enune course éperdue.

Lanthenay était un esprit méthodique. Ce qui s’était une foisgravé dans sa tête n’en sortait plus. L’itinéraire qu’il avaitsuivi avec Gilles Le Manu était rigoureusement présent à samémoire. Il n’eut pas une hésitation. Deux minutes plus tard, ilarrivait, toujours accompagné de Dolet et toujours poursuivi par lameute hurlante des gardes, à un grand vestibule où se trouvait laporte de la prison…

À gauche de la porte, il y avait un corps de garde, et dans cecorps de garde, vingt soldats en armes.

Dolet et Lanthenay s’élancèrent vers la porte.

Les soldats en masse se jetèrent entre eux et cette porte, lahallebarde croisée. Gilles Le Mahu apparut effaré, tremblant etblême, balbutiant :

– Mon révérend… mon révérend…

– À nous, Manfred ! hurla Lanthenay.

À ce cri, il se fit un étrange mouvement dans la rue. Des gensde mauvaise mine qui rôdaient autour de la prison se ruèrent sur laporte. Manfred, en tête, tira sa large épée et se précipita encriant :

– Tue ! tue ! pille !

À ce moment, une troupe nombreuse de cavaliers déboucha au grandtrot sur la rue.

À la tête de ces cavaliers galopait le grand prévôt.

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