Triboulet

Chapitre 12FILLE DE ROI !

Les caméristes agenouillées autour de Gillette achevaientd’arranger les plis de sa robe de brocart blanc.

Et, vêtu de ce somptueux costume dont le tableau du Titien nousdonne les détails, une chaîne d’or au cou, François Ierattendait que Gillette fût prête…

Il la regardait de ses yeux troublés où s’éveillait une flammeétrange, et un vague sourire arquait ses lèvres dédaigneuses,sensuelles…

– Remontez un peu les dentelles de la coiffe, ordonna-t-il…Là… C’est bien… Le collier de perles descend un peu trop bas… Bien…C’est parfait…

Gillette était prête. Le roi fit un geste : les caméristeset les dames d’honneur se retirèrent.

– Sire ! balbutia la jeune fille qui pâlit en sevoyant seule avec François Ier.

– Mon enfant, dit le roi sans bouger de sa place,aurez-vous donc toujours peur de moi ? Mon altitude n’est-elledonc pas assez respectueuse, assez paternelle ?N’oublierez-vous donc jamais cette nuit de folie où j’ai pu…Ah ! je ne savais pas alors qui vous étiez !

– Sire ! vos bontés me touchent, dit Gillette avec unesimplicité ferme. Mais je ne me sentirai tout à fait rassurée quelorsque vous m’aurez conduite auprès de mon père…

– Celui que vous appelez votre père n’a aucun droit à cetitre, fit durement François Ier.

– Encore cette affreuse parole ! Je sais bien, sire,que ce bon M. Fleurial n’est pas mon père… mais il mérite millefois que je l’appelle ainsi… c’est lui qui m’a sauvée des misèresde la vie… qui m’a aimée avec tant de délicatesse de cœur !Oh ! si vous le connaissiez, sire !

– Gillette ! fit le roi avec agitation, il faut doncque je vous révèle une chose que vous ignorez encore… votre père…votre vrai père est retrouvé.

Gillette n’eut pas une exclamation, pas un geste ému.

Elle répondit avec la même simplicité devant laquelle sebrisaient les menaces et les prières du roi depuis qu’elle étaitenfermée au Louvre :

– Sire, si mon vrai père est retrouvé, le mieux qui puisselui arriver, c’est de ne pas me voir… Car je ne saurais me résoudreà donner mon affection à l’homme qui…

– Taisez-vous, Gillette ! interrompit François. Neprononcez pas d’irrévocables paroles qui pourraient blesser au cœurvotre père… Car votre père est devant vous.

– Vous, sire !

Il y eut dans cette exclamation un étonnement violent, del’effroi, de la répulsion, et ces sentiments que n’adoucissaitaucune émotion attendrie étaient si apparents que ce fut avec unesorte de découragement que le roi acheva :

– Moi, Gillette. N’éprouvez-vous donc aucune joie à voirvotre père ?

– Sire, dit Gillette – et sa voix trembla –pardonnez-moi ! Habitué à penser librement, il m’estimpossible de simuler une affection qui est bien loin de moncœur…

– Vous êtes cruelle, Gillette. Quoi ! Je vous apprendsque je suis votre père, et vos bras ne se tendent pas versmoi !

Gillette recula de deux pas et secoua la tête, obstinée.

– Sire, rendez-moi mon père ! dit-elle.

– Votre père, malheureuse enfant !

Le roi serra les poings. Il se heurtait à une volonté qu’iln’eût jamais soupçonnée en cette frêle jeune fille. Il éprouvait unétonnement sans bornes de la froideur, – de l’indifférence quiaccueillait sa révélation… Et il eut ce mot :

– À défaut de tendresse, l’orgueil d’être la fille du roidevrait…

– L’orgueil ! Ah ! sire… l’orgueil d’apprendreque ma mère est sans doute quelque infortunée que le caprice royalbrisa un jour ! L’orgueil de savoir que je suis une enfant duhasard… fille de roi… fille de manant… ceci ou cela pouvait êtrevrai ! L’orgueil de savoir que mon père ne peut avouer sapaternité à la face de tous et qu’il est obligé de cacher le titrenaturel de sa fille sous un titre de duchesse ! Sire ! jesuis une pauvre fille… Je souffre en votre Louvre !Laissez-moi m’en aller…

Ces paroles, qui révélaient au roi les secrètes pensées de lajeune fille, lui prouvaient qu’elle avait dû longuement méditer sursa situation d’enfant perdue… Cette attitude imprévue de la jeunefille était si loin de ce qu’il avait imaginé qu’il restait là toutinterdit sous ce titre de père dont il avait espéré écraserGillette…

– Ainsi, balbutia-t-il en s’approchant, voilà comment vousaccueillez le secret que je viens de vous révéler !

– Sire ! s’écria Gillette avec force, Votre Majestén’oubliera jamais, j’espère, qu’elle m’a donné sa parole de roi etde gentilhomme de n’approcher de moi qu’autant que je ledésirerais !

Le roi s’arrêta. Il faut que nous le disions : ce ne futpas de l’humiliation qu’il éprouva à cette minute, ce fut unecontrariété perverse. Qui sait ? Peut-être FrançoisIer oubliait-il qu’il était le père !

Il eut un sourire amer.

– Ne parlons plus de tout cela… dit-il froidement.

– Sire ! reprit-elle avec la même douceur obstinée,quand me renverrez-vous à mon père ? Quand pourrai-je levoir ?

– Vous renvoyer à lui ? Jamais ! Le voir ?Tout à l’heure !

Il y avait une telle menace de méchanceté dans ces derniers motsque Gillette frémit…

Déjà le roi s’était retourné, avait posé sur sa tête sa toque àplume blanche et frappé sur un timbre. Les dames d’honneurapparurent. Alors François Ier s’avança vers la jeunefille :

– Votre main, duchesse, que je vous conduise en la salle dela fête…

Les doigts tremblants de Gillette s’appuyèrent légèrement sur lamain de François Ier

Tous deux s’avancèrent. La porte fut grande ouverte…

Une bouffée d’harmonies, de chuchotements, de rires parvintjusqu’à Gillette, très pâle.

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