Triboulet

Chapitre 7LE SERMENT D’ÉTIENNE DOLET

Maître Dolet, le célèbre imprimeur, avait ses ateliers dansl’enceinte de l’Université, sur la montagne Sainte-Geneviève, àl’enseigne de la Dolouère d’Or. Mais il habitaitrue Saint-Denis, avec sa femme, Julie, et sa fille, Avette.

Mme Dolet était une femme de trente-cinq ans, d’unebelle intelligence, d’une haute bonté. Elle secondait son mari dansses travaux, et était pour lui la compagne idéale, l’ange du foyer,la consolatrice dans les heures de trouble et de désespérance,comme le savant traducteur en avait eu déjà de si douloureuses danssa vie.

Avette était une jeune fille de dix-huit ans. Elle était svelteet gracieuse. Mais elle avait un caractère ferme et droit, unenature vibrante, un cœur délicat et tendre…

Telle était la famille où un hasard de la vie agitée de cettesombre époque avait jeté Gillette Chantelys.

Après le départ précipité de Manfred, Etienne Dolet avaitsoigneusement refermé sa porte, l’avait barrée d’une chaîne et, setournant vers Gillette toute tremblante :

– Ici, mon enfant, vous êtes en sûreté… Ne tremblez doncpas ainsi… Julie ! Avette ! appela-t-il à haute voix.

Les deux femmes, réveillées déjà par le bruit, s’étaienthabillées en toute hâte. Elles apparurent en haut d’un bel escalierde bois qui conduisait à l’étage supérieur.

– Avette, dit gravement Dolet, mon ami Manfred est presquele frère de ton fiancé Lanthenay… Il nous fait l’honneur de nousconfier cette jeune fille… Aime-la donc comme si elle était tasœur.

En quelques mots, il mit sa femme au courant de ce qui venait dese passer. Et déjà les deux femmes comblaient Gillette de leurscaresses…

– Comme vous êtes belle ! disait Avette. Savez-vousque nous vous connaissons bien ?…

– Vous aussi, vous êtes belle ! dit Gillette avec unesincère et naïve admiration.

– Manfred est donc votre ami ?… Quel bonheur !…Il est si brave… et si bon… Lanthenay l’aime tant !…

– Je ne le connais que depuis tout à l’heure !répondit Gillette en rougissant… mais je l’avais vuquelquefois…

– Je crois en effet qu’il est bien brave… Il m’a sauvé d’ungrand péril… Jamais je ne l’oublierai !

Elle joignit les mains avec force, par un geste nerveux.

– Oh ! ajouta Gillette, dans un mouvement de réactionde son effroi, ces inconnus qui sont entrés soudainement… et cethomme qui m’insulte, qui me saisit… qui m’emporte !… Oh !cet homme surtout ! J’en ai peur !…

– Chère enfant !… Ne craignez plus rien !…

– Oh ! non, n’est-ce pas, madame… je n’ai plus rien àredouter ?…

– Vous êtes en parfaite sûreté ici, reprit Etienne Dolet. Àce moment, le marteau de la porte résonna impérieusement. Gillettedevint blanche comme une morte.

Julie et Avette se tournèrent vers Etienne Dolet avec un regardd’interrogation angoissée.

Très calme, le maître imprimeur fit un geste pour recommander lesilence aux trois femmes.

Puis il souleva une tenture, ouvrit une porte… une sorte deréduit apparut… C’est là que Dolet mettait sur des rayons leslivres précieux qu’il imprimait.

On frappa une deuxième fois plus violemment.

Avette entraîna Gillette dans le réduit… Dolet laissa retomberla tenture. Julie était demeurée près de lui. Il alla écouter à laporte et il entendit une voix qui le fit tressaillir… une voixqu’il reconnut !…

Des chocs terribles ébranlèrent alors la porte.

Etienne Dolet s’était retourné vers une étincelante panoplied’armes qui ornait l’un des panneaux de bois.

Mais après un instant de méditation, il secoua la tête. Alors ilpoussa un fauteuil au milieu de la salle. Il le tourna vers laporte de la rue, il s’assit, et la figure empreinte d’un calmemajestueux, il attendit !

Soudain, dans un bruit de bois qui se déchire, la porte céda.Plusieurs hommes firent irruption dans la salle…

Dolet était demeuré assis…

– Qu’est-ce à dire, messieurs ! dit-il de sa voiximposante et digne. Comment, en pleine ville, on assiège unpaisible logis ! On défonce une porte ! Prenez garde,messieurs, je me plaindrai au roi, qui dans sa hautejustice…

– Maître Dolet ! interrompit soudain la voixmême que l’imprimeur avait reconnue au dehors, c’est par mon ordreque mes gens sont entrés ici…

– Le roi ! fit Dolet avec le même calmeimpassible.

Il se leva et s’inclina profondément.

– Votre Majesté est la bienvenue dans ma demeure. Cettevisite en dépit des circonstances où elle se fait, demeurera unéternel honneur pour le logis et le fidèle sujet qui l’habite…Daigne Votre Majesté prendre sa place en ce fauteuil… Julie, prendsla coupe d’or vermeil, prends ce vieux vin de Bourgogne qui date dela naissance de notre fille. Hâte-toi d’offrir à notre sire lesmarques de l’hospitalité auxquelles il a droit…

– C’est bien, c’est bien, maître ! dit le roi.

– Ah ! sire ! reprit l’imprimeur, jamais je ne meconsolerai d’avoir fait attendre Votre Majesté… Si j’avais su quelauguste visiteur frappait à ma porte ! Si, tout au moins,Monsieur avait crié la parole devant laquelle tout bon sujets’incline : « Au nom du roi ! »

– C’est vrai, balbutia le lieutenant, j’ai omis de crier« Au nom du roi ! » mais…

– Silence ! commanda François Ier. MaîtreDolet, je ne vous incrimine pas. Venons donc au fait. Vous avezreçu tout à l’heure la courte visite d’un homme… une espèce… ungueux… nommé Manfred…

– Oui, sire, dit Dolet : c’est mon ami…

– Votre ami ! Vous avez de singulièresamitiés !

– Ah ! sire, on aura fait, sans doute, quelque méchantrapport à Votre Majesté sur ce jeune homme ! Jamais cœur plusloyal ne battit dans poitrine plus chevaleresque ! J’avouequ’il a la tête un peu chaude… Mais il possède par-dessus tout unequalité qui le ferait certainement priser du roi qui s’yconnaît : c’est le courage !

– Assez maître !… Ce… noble chevalier s’arrangera avecmon grand prévôt… Il a amené ici une jeune fille’?…

– Oui, sire.

– Cette jeune fille est encore dans votremaison ?…

– Oui, sire.

– Maître Dolet, amenez-la-moi à l’instant…

– Non, sire.

– De la rébellion ! gronda le roi.

– De l’honneur, sire. J’aime mieux encourir votre colèreque votre mépris. J’ai fait serment, sire, que cette enfant nesortirait pas d’ici. Que penserait Votre Majesté de celui de sessujets qui parjurerait la parole donnée ?

Le roi garda un instant le silence.

– Maître, fit-il avec colère, vos paroles me prouvent unedernière fois ce que je savais déjà : que vous êtes animé d’unmauvais esprit et que l’autorité sacrée du roi n’a pas plus deprise sur votre obéissance que l’autorité vénérée de l’Église…Cependant, je comprends le sentiment qui vous a poussé, – je veuxbien oublier ce que je viens d’entendre… Cette jeune fille,maître !

Le lieutenant et les soldats écoutaient cette conversation avecune stupéfaction grandissante.

Et ils frémirent d’indignation lorsque Dolet répondit :

– Sire, à ce que Votre Majesté vient d’entendre, je n’airien à ajouter, rien à retrancher.

– Qu’on fouille cette maison ! tonna FrançoisIer. Qu’on, saisisse cet homme ! Qu’on le traîne àla Bastille !…

Julie poussa un cri de terreur et voulut se jeter au cou de sonmari. Mais déjà celui-ci était entouré de gardes… La malheureusefemme, violemment repoussée, alla retomber sur le fauteuil.

À ce moment, la tenture du réduit se souleva.

Gillette parut, très pâle, mais très ferme, et s’avança vers leroi qui, bouleversé, en proie à une foule de sentimentscontradictoires, la regardait avec une avide curiosité.

– Ma fille ! murmura-t-il d’une voix si basse quepersonne ne l’entendit.

– Sire ! dit alors Gillette d’une voix qui tremblait àpeine, j’ignore la cause de la persécution dont je suis victime…J’attends que vous me l’appreniez !

Un silence de mort s’établit dans la salle. Dolet, entouré desoldats, jeta un regard d’admiration sur Gillette… Quant au roi, ilpâlissait et rougissait coup sur coup…

– Mon enfant, balbutia-t-il enfin… je vous donne ma parolede gentilhomme et de roi que vous serez respectée… que pas un mot,pas un geste offensant… Gillette, il faut que vous veniez auLouvre !…

Une idée perverse traversa tout à coup son cerveau.

– Vous viendrez au Louvre, ou maître Dolet ira à laBastille… Choisissez !

– Sire ! sire ! s’écria Dolet, vous abusez del’innocence de cette enfant ! Ceci est odieux !

– Silence ! ou par le ciel, maître Dolet, votredernière heure est venue ! Ma patience est à bout !…

– Sire, un mot ! cria Gillette en s’élançant au-devantdes soldats. Je vous suis si vous faites grâce à l’homme de couragequi veut bien, en cette minute mortelle, servir de père à celle quin’a point de père !…

À ces mots, François Ier, qui pas un instant n’avaitperdu Gillette des yeux, et qui manifestait d’incompréhensiblesrevirements de physionomie, de geste et de voix, FrançoisIer tressaillit et pâlit.

– Celle qui n’a point de père !balbutia-t-il.

Il fit un signe : les soldats s’écartèrent d’Etienne Dolet.Puis il s’avança et prit la main de Gillette. La jeune fillefrissonna. Elle eut un brusque mouvement d’effroi.

– Mon enfant, dit le roi – et il appuya sur cemot, et sa parole trembla étrangement – mon enfant, je vous inspiredonc de l’horreur ?… Ne redoutez rien, je vous en prie… Maparole royale vous est un garant dont nul au monde, jusqu’ici, n’adouté !…

– Sire, je vous suis ! répondit-elle avec fermeté.

Le maître imprimeur voulut intervenir une dernière fois… maisdéjà le roi, conduisant Gillette par la main, franchissait le seuilde la porte.

– Infamie ! gronda Dolet, les poings serrés.

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