Triboulet

Chapitre 5LA MÈRE

François Ier était demeuré un instant immobile, les yeux fixéssur le groupe formé par Manfred et Gillette…

Bientôt ils disparurent…

Alors, sans jeter un regard sur ses courtisans évanouis, mortspeut-être, sans une hésitation, il se mit en marche.

Cette besogne d’espion nocturne dont Manfred l’avait jugéincapable, le roi l’accomplissait !… De loin, il assista al’entrée de Gillette dans la maison de Dolet… puis il vit la portese refermer… il entrevit Manfred qui s’éloignait…

Alors il s’approcha, s’arrêta devant la maison.

Soudain, angoissé, il prêta l’oreille.

La rumeur que Manfred avait entendue s’approchait rapidement…François Ier s’enfonça derrière une borne cavalière etattendit, frémissant.

L’instant d’après, une troupe d’hommes apparut.

Ils marchaient en rangs serrés, s’éclairant de lanternes…

Le roi eut un tressaillement profond. Ce n’était pas unerévolte ! C’était le guet de Paris !…

Il s’élança, avec un rauque soupir de joie, et posa sa main surl’épaule de l’homme qui marchait en tête.

– Le roi ! exclama le chef qui se découvrit et, d’ungeste, arrêta sa troupe. Sire, quelle imprudence !…

– Silence, Monclar !… Écoutez… ce truand… ceManfred…

– Je suis sur sa piste, sire… J’ai fait barrer les rues… ledrôle ne peut m’échapper…

– Il est la, dit le roi d’une voix où toute sa hainecomprimée fit explosion, devant vous… à cinq cents pas à peine…Monclar, prenez cet homme !… qu’il meure !… Dès cettenuit… qu’il meure supplicié… Je veux un horrible supplice… Vite.Monclar, courez !…

Le grand prévôt fit un signe. Son lieutenant vint se rangerderrière François Ier avec douze hommes d’escorte.

Puis, le comte de Monclar partit au pas de course, suivi dureste de sa troupe – une quarantaine de soldats – dans la directionindiquée par François Ier.

Le roi eut un sourire, terrible de cruauté froide.

Alors il se tourna vers le lieutenant du grand prévôt.

– Monsieur, ordonna-t-il, frappez à cette porte… L’officierobéit… le marteau résonna.

La porte demeura fermée…

Un nouveau coup de marteau plus violent…

Encore le silence !…

L’officier interrogea le roi d’un regard.

– Qu’on défonce cette porte ! dit FrançoisIer.

Les soldats s’avancèrent…

En cet instant, un cri lugubre déchira la nuit :

– François ! François ! Qu’as-tu fait de notrefille ?…

Le roi frissonna… blêmit…

– Oh ! murmura-t-il. La folle !…Margentine !…

Oui ! C’était la folle ! C’était Margentine laBlonde !… Elle errait dans les rues noires, la pauvremère !… Et elle criait son éternelle douleur. Elle demandaitsa fille.

Elle la revoyait en imagination, cette fille, perdue depuis prèsde douze longues années !…

Elle apparut, les cheveux dénoués, à demi-nue, et s’arrêtadevant François Ier. Elle hésita une seconde.

– Monsieur… peut-être l’avez-vous rencontrée… dites… unetoute petite fillette, monsieur… six ans… blonde… frêle… sidélicate… dehors… par un temps pareil… Oh ! dites,monsieur !… Voulez-vous que je vous dise son nom… un joli nom…Elle s’appelle Gillette… Gillette, vous dis-je !…

Ces derniers mots produisirent sur François Ier unprodigieux effet… ! Il oublia ce qui l’entourait, ne vit plusque Margentine… sa maîtresse !…

– Gillette !… bégaya-t-il. Ta fille !…Dieu ! Dieu ! Ces choses sont possibles !…

La mère, sans doute, ne l’entendit pas, toute à sa démence. Desa voix infiniment douce, pareille à une caresse, ellecontinuait :

– Gillette… un joli nom… n’est-ce pas ?… Voilà dutemps que je la cherche… C’est à Blois que je l’ai perdue…Connaissez-vous Blois’?… Elle a six ans, la pauvre mignonne… ÀBlois, je vous dis… Là, j’ai aimé…

Et soudain, violente, farouche :

– François !… Où est ta fille ?…

– Oh ! murmurait François anéanti. Ceci est affreux…C’est ma fille que j’aime… C’est sur ma fille que j’ai porté lesmains… C’est ma fille qui est là !…

Il regarda avidement la folle… Il allait lui parler,peut-être !…

Peut-être une flamme jaillie des lointaines amours de sajeunesse allait-elle éclairer les ténèbres de sa pensée !

À ce moment, un roulement sourd. Quelque chose passa dans ungrand tumulte, une voiture lancée au galop, courant avec on nesavait quoi de mystérieux et de sinistre, comme si elle eût emportéle secret d’un drame abominable…

Margentine vit la voilure. Une idée nouvelle frappa sa pauvrecervelle, et elle, s’élança, avec une clameur :

– On m’enlève ma fille !…

Un instant plus tard, elle avait disparu.

Pétrifié, François Ier regardait…

Les soldats n’osaient faire un geste.

Il paraît que l’officier a écrit plus tard qu’il avait vu le roifaire un mouvement comme pour s’élancer à son tour, puis, qu’ils’était arrêté, passant ses deux mains sur son front, poussant dessoupirs semblables à des sanglots, murmurant des chosesinintelligibles où on ne distinguait que ces mots prononcés dans untremblement :

– Oh !… mais c’est monstrueux… je sens que je l’aimeencore… malheureux !

Que se passait-il donc dans ce cœur ?… Quelle émouvantelutte s’y livraient l’amour sensuel et l’amour paternel ?…

Quand le roi parut revenir à lui-même, l’officier se hasarda àlui demander :

– Sire, que faut-il faire ?

– Monsieur, répondit le roi d’une voix étrange, effrayante,je vous ai dit de faire enfoncer cette porte !…

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