Triboulet

Chapitre 17MONCLAR PARLE DE LANTHENAY

L’irruption des truands avait été un coup de foudre. Leur départfut un évanouissement. Des ombres surgies on ne savait d’oùrentraient dans l’ombre. C’était tout.

…  …  …  …  … … .

De Bervieux, capitaine des gardes, s’arrachait les cheveux, etle désespoir de ce soldat était terrible. On l’entenditrépéter :

– Mon épée est déshonorée… je n’ai plus qu’àmourir !

Montgomery, son lieutenant, s’était constamment tenu près dudauphin Henri, l’épée nue.

Le dauphin avait regardé passer le torrent avec une sorte deflegme, un peu pâle seulement.

Et quand tout avait été fini, il avait dit àMontgomery :

– Monsieur, quand je serai roi, je vous ferai capitaine demes gardes.

– Et Bervieux, monseigneur ? avait répondu Montgomeryqui, en lui-même, songea : C’est ce que je voulais !

– Bervieux ! Regardez-le ! Il pleure comme unefemme !

– Monseigneur, avait, répondu Montgomery, la chose a été siimprévue ! Il n’y avait au Louvre que la garde d’honneur. Lerégiment des Suisses vient d’arriver et occupe toutes les ruesavoisinantes. Mais il est un peu tard.

Montgomery avait ajouté :

– Pour arrêter une pareille invasion, monseigneur, il eûtfallu l’épée de Roland !

Le dauphin sourit et s’approcha de la dauphine, MmeCatherine, qui n’avait pas bougé de sa place.

– Vous n’avez pas eu peur, madame ? luidemanda-t-il.

Catherine de Médicis leva un regard sur son mari.

– Peur ? dit-elle. Si fait, monsieur… pourvous !

– Mme la dauphine aime tant monseigneur !dit Diane de Poitiers qui, elle aussi, n’avait pas voulureculer.

– Je ne suis pas la seule, dit Catherine de Médicis.

Et elle lança à la maîtresse du dauphin un sourire mortel.

Dans un autre coin, la duchesse d’Étampes racontait qu’un truandl’avait rudoyée au moment où elle se levait pour se jeter au-devantdu roi et protéger Sa Majesté…

Un grand nombre de gentilshommes essuyaient leurs épées teintesde sang. Plusieurs étaient blessés. Quant aux truands qu’on avaitvu tomber blessés, et peut-être morts, ils avaient disparu :le flot humain les avait emportés…

Essé, Sansac et La Châtaigneraie, toujours ensemble, s’étaientbattus comme des lions, et ce fut certainement à eux que le roiavait dû de ne pas être balayé lui-même par la tourmente comme unfétu. Jarnac, Lézignan et Saint-Trailles racontaient à qui voulaitles entendre qu’ils avaient tué une vingtaine de ces argotiers.

Le roi s’était retiré dans son cabinet où il était en grandeconférence avec son grand prévôt.

François Ier se promenait avec agitation et il avaitdes éclats de voix qu’on entendait de loin malgré les tentures.

– Jour de Dieu ! grondait-il en martelant du poing unepetite table qui se disloquait sous les coups, voilà donc où nousen sommes, monsieur le grand prévôt !… Je vous charged’arrêter un misérable truand ; vous venez m’affirmer qu’ilest pris, et au moment où vous me dites qu’il agonise, il apparaîten plein Louvre et m’insulte ! J’ai une armée ! J’ai unepolice ! Et nul ne sait que le Louvre va être envahi !Nul n’est là pour s’opposer à l’invasion ! Dites-moi donc quele roi de France n’est pas plus en sûreté dans son Palais que ledernier des manants dans sa chaumine en pays conquis ! Oùsommes-nous ? Suis-je encore le roi ? Mais parlez donc,monsieur !

Monclar, plus livide, plus sinistre que jamais, regardait le roide ses yeux fixes et vitreux, sans courber la tête.

– Sire, dit-il froidement, je vous ai demandé de détruirede fond en comble la Cour des Miracles. J’ai été accueilli par dessourires. Peut-être le roi se décidera-t-il maintenant.

– Monsieur !…

– Sire ! Suis-je encore le grand prévôt de VotreMajesté ? Si je ne le suis plus, que Votre Majesté me fassearrêter ; mes explications seraient inutiles. Si je le suisencore, daigne Votre Majesté m’écouter avec calme…

– Avec calme ! Vraiment ! interrompit le roi avecune croissante violence. C’est à croire à une gageure ! Ainsil’autorité royale est ébranlée et on me demande d’être calme !Ah ! monsieur, je trouve que vous l’êtes par trop ! Mais,par Notre-Dame ! il faudra que cela change ! Et pourcommencer…

Le roi s’interrompit par un violent coup de poing qu’il assénasur la table ; le léger meuble s’effondra…

– Bassignac ! cria François Ier, oublianttoute étiquette.

Le valet de chambre apparut tout tremblant.

– Qu’on m’amène le capitaine des gardes !…

Bervieux entra aussitôt.

– J’attendais, sire, dit-il avec fermeté.

– Bervieux, qui était l’officier de garde à la grandeporte ?

– M. de Bervieux, sire, mon fils.

– Faites-vous remettre son épée. Dès demain, on commenceraà instruire son procès…

– Sire… le grand coupable… c’est moi… De grâce…

– Allez, monsieur.

De Bervieux sortit en chancelant.

– Que disiez-vous, monsieur de Monclar ? reprit leroi, calmé par cette exécution.

– Je disais, sire, répondit le grand prévôt, qu’il fautguérir Paris de cette pustule qui s’appelle la Cour des Miracles…Il faut détruire les masures ignobles de toute la truanderie, ilfaut prendre leurs habitants en masse, hommes, femmes et enfants,commencer un procès énorme qui frappera le monde de terreur, etfaire édifier dix mille potences afin qu’il ne reste plus rien desinfâmes qui ont commis le sacrilège de ce soir.

François Ier regarda Monclar avec admiration.

– Ainsi, dit-il, vous pendriez tout ? Même lesenfants ?

– L’exécution des pères et des mères ne servirait à rien,si on laissait vivre des enfants qui portent en eux le poisondiabolique… le poison qui tuera la royauté, sire ! je veuxdire l’esprit de révolte…

Avec son ordinaire mobilité d’esprit, François Ierqui l’instant d’avant était livide de fureur, devint tout à coupenjoué et plaisanta :

– Où mettrez-vous les dix mille potences ? Savez-vousque ce sera un beau spectacle… Ah ! monsieur de Monclar, vousêtes poète à vos heures, – un terrible poète…

– Sire, me donnez-vous carte blanche ?

– Allez, Monclar. Je vous livre Paris. Soyez sanspitié…

Monclar s’inclina ; un peu de rose fugitif monta à sesjoues livides : le rêve d’une monstrueuse extermination passadevant ses yeux. Comme il allait se retirer, il chancela et faillits’affaisser. Il se retint à un meuble.

– Qu’avez-vous, Monclar ? s’écria le roi.

– Peu de chose, sire. Pardon… cette faiblesse est indignede moi.

Il se redressa avec effort… Alors seulement le roi s’aperçut quele pourpoint du grand prévôt était ensanglanté.

– Mais vous êtes blessé !…

– Oui, sire…

– Et vous ne le disiez pas !…

– Nous avions à parler de choses plus urgentes, sire.

– C’est l’un de ces Égyptiens, n’est-ce pas ?

– Oui, sire… l’un des plus dangereux, celui dont j’ai parléà Votre Majesté. Il s’appelle Lanthenay…

Monclar sortit d’un pas raidi.

Le roi murmura avec un sourire :

– Je plains ce Lanthenay !

À ce moment, Bassignac entra vivement, tout agile.

– Qu’est-ce ? demanda François.

– Sire ! M. de Bervieux, votre capitaine, vient de setuer. Le roi demeura un instant silencieux.

– C’est bien, dit-il froidement. Allez dire à M. deMontgomery qu’il arrête M. de Bervieux, le fils, et qu’il vienneensuite me trouver…

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