Contes et Nouvelles – Tome II

XVI

« Je voulais vous demander quelque choseau sujet de mes garçons, Votre Excellence, dit le vieillard, nes’apercevant pas ou feignant de ne pas s’apercevoir de l’air fâchédu maître.

– Quoi ?

– Voilà, grâce à Dieu nous avons d’assezbons chevaux, et il y a un ouvrier, alors nous paieronsrégulièrement la corvée.

– Eh bien ! Quoi ?

– Mais si vous avez la bienveillance delaisser mes enfants sous la condition de vous payer une redevance,alors Ilia et Ignate, pour tout l’été, travailleraient commevoituriers avec trois troïkas, peut-être gagneraient-ils quelquechose.

– Mais où iront-ils ?

– Mais où il faudra, intervint dans laconversation Iluchka, qui, après avoir attaché les chevaux sousl’auvent à ce moment s’approchait du père.

– Les gens de Kadmino sont allés à Romniavec huit troïkas, et dit-on, ils se sont nourris ; pourchaque troïka ils ont rapporté trente roubles à la maison. On ditaussi qu’à Odessa le fourrage esttrès bon marché.

– Et précisément, je voulais te parler decela, dit le maître en s’adressant au vieillard, et désirant amenerle plus adroitement la conversation sur la ferme. Dis-moi, je teprie : est-ce plus avantageux de s’occuper de roulage, que derester à la maison et s’occuper de labour ?

– Comment, Votre Excellence, n’est-ce pasplus avantageux ? intervint de nouvel Ilia en secouant sachevelure. À la maison, il n’y a pas de quoi nourrir leschevaux.

– Eh bien ! Par exemple, combiengagneras-tu pendant l’été ?

– Mais voilà, depuis le printemps malgréla cherté du fourrage, nous avons transporté des marchandises àKiev ; en revenant à Koursk de nouveau nous avons chargé lesvoitures de gruau, à destination de Moscou, nous nous sommesnourris, les chevaux ont toujours été bien soignés et j’ai rapportéquinze roubles à la maison.

– Il n’y a pas de mal à s’occuper den’importe quel métier honnête, dit le maître s’adressant de nouveauau vieux, mais il me semble qu’on pourrait trouver une autreoccupation ; dans ce métier un garçon rencontre des gens detoutes sortes, il peut se corrompre, ajouta-t-il, répétant lesparoles de Karp.

– Et que peut faire notre frère moujik,sinon s’occuper de roulage ? rétorqua le vieillard avec sondoux sourire. On ira et on sera nourri, et les chevaux le serontaussi, et quant à la corruption, grâce à Dieu, ce n’est pas lapremière année qu’ils partent, moi-même, je me suis occupé de cela,et personne ne m’a fait de mal, rien que le bien.

– Oh ! il y a beaucoup de choses,dont on pourrait s’occuper à la maison, du labourage, desprairies.

– Comment est-ce possible, VotreExcellence ? l’interrompit Iluchka avec animation. Nous sommesnés dans ce milieu, nous connaissons bien cette affaire, êtrevoituriers, Votre Excellence, c’est ce qui nous convient lemieux…

– Eh bien ! Votre Excellence,faites-nous l’honneur d’entrer dans notre isba. Vous n’y êtes pasvenu depuis la nouvelle installation, dit le vieillard en saluantbas et en clignant des yeux à son fils. Iluchka courut rapidement àl’isba, et après lui, le vieillard y entra avec Nekhludov.

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