Contes et Nouvelles – Tome II

X

La dame s’était retirée, emmenant les deuxpetites filles. Michel, debout, avait posé son ouvrage. Il ôta sontablier, puis, s’inclinant profondément, il dit à seshôtes :

– Mes chers bienfaiteurs, maintenantlaissez-moi aller en paix. Dieu m’a pardonné, vous pardonnerezaussi.

Et toute sa personne rayonnait d’un éclat deplus en plus grand aux yeux de ses hôtes effrayés.

Sema répondit en s’inclinant, saisi d’unevénération profonde :

– Michel, je vois que tu es un être àpart, je ne puis donc pas te retenir. Je n’ose pas non plus tedemander de me révéler ce qui est un mystère. Mais ne pourrais-tupas m’expliquer une chose ? Pourquoi, lorsque je t’ai amenéici, ton visage si triste s’est-il éclairé soudain quand ma femme adressé la table du souper ? Pourquoi avais-tu un sourire sirayonnant quand le gentilhomme était assis à cette place ? Etpourquoi, enfin, ce troisième sourire et cet éclat merveilleux enprésence de la dame et des petites filles qui sortent d’ici ?Michel, dis-nous ce qu’est cette auréole qui t’environne etpourquoi tu as souri trois fois ?

– Dieu m’a pardonné, ma pénitence estfinie ; c’est pourquoi mon corps a repris sa splendeur. Chacunde mes sourires était un sourire de joie, parce que j’entendaischaque fois une parole de Dieu, et qu’à la troisième ma pénitencedevait finir. Quand la pitié s’éveilla dans le cœur de ta femme enprésence de ma détresse, ce fut la première parole, et tu vis monpremier sourire. Quand le gentilhomme commanda des bottes qu’il nedevait jamais porter, j’entendis la seconde parole et je sourisencore. Enfin les deux petites jumelles m’ont fait entendre latroisième et dernière parole, et j’ai souri pour la troisièmefois.

Sema reprit :

– Dis-nous, Michel, quelles sont cesparoles et pourquoi Dieu t’a-t-il puni ?

– Dieu m’a puni parce que je n’ai pasfait sa volonté. Il m’avait fait un ange du ciel et je me suisrévolté contre lui. Oui, j’étais un ange, et Dieu m’envoya sur laterre pour recueillir l’âme d’une femme. J’y trouvai unemalheureuse créature dans une détresse affreuse, donnant le jour àdeux enfants jumeaux, deux petites filles. Les deux pauvres petitsêtres cherchaient le sein de leur mère, et celle-ci n’avait plus laforce de les prendre dans ses bras. Alors elle me vit à ses côtéset tressaillit en pressentant pourquoi Dieu m’envoyait.

« – Ange de Dieu, me dit-elle en versantdes larmes amères, on vient de porter mon mari en terre, un arbrel’a tué dans sa chute, je n’ai ni mère, ni sœur, personne ;qui donc prendra soin de mes pauvres petits ? Aie pitié,laisse-moi, je t’en supplie, que je puisse du moins les nourrir.Que feraient-ils sans père ni mère ?… »

« J’eus pitié et laissai la mère à sesnouveau-nés ; je plaçai les enfants sur sa poitrine, et,remontant au ciel, je me présentai devant le trône de Dieu et luidis :

« – Je n’ai pu prendre l’âme de lanouvelle mère. Son mari est mort dans la forêt, elle reste seuleavec deux jumeaux, et m’a supplié de lui laisser le temps de lesélever et je n’ai pu me résoudre à lui enlever son âme. »

– Alors le Seigneur Dieu m’ordonna denouveau :

« – Va, te dis-je, prendre l’âme de cettemère, et quand tu entendras ces trois paroles : Ce qu’il y adans le cœur de l’homme ; – ce que l’homme ne peut pasconnaître ; – ce qui garde la vie de l’homme ; – quand tules auras entendues et que tu en comprendras le sens, tu pourrasrentrer au ciel. »

« Alors les petits enfants tombèrent desbras de leur mère, qui s’affaissa lourdement sur l’une d’elles etlui estropia le pied pour toujours. Je m’envolai avec l’âme de lamorte, mais un tourbillon me brisa les ailes, et je tombai près duvillage, pendant que l’esprit s’en allait seul à Dieu. »

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