Contes et Nouvelles – Tome II

X

De toute la journée, personne ne vitPolikei.

Madame envoya plusieurs fois demander de sesnouvelles.

Akoulina répondit qu’il n’était pas encore deretour, que probablement le marchand l’avait retenu, ou bien que lecheval s’était mis à boiter.

Akoulina parlait d’une voix calme mais soninquiétude allait toujours croissant.

Occupée des préparatifs de la fête dulendemain, elle cherchait à ne pas penser à son mari. C’était envain, son ouvrage n’avançait pas. Une tristesse immense s’emparad’elle. Elle se tourmentait d’autant plus que la femme ducharpentier prétendait avoir rencontré sur la grande route unecharrette et un homme qui ressemblait singulièrement à Polikei.

Les enfants attendaient aussi leur père avecimpatience, mais pour des raisons toutes différentes. Il avaitemporté tous les vêtements chauds et les petits se voyaient obligésde garder la chambre ou de faire quelques pas devant la maison. Lefroid était si vif qu’ils n’osaient se hasarder bien loin.

Seules, la maîtresse et Akoulina pensaient àPolikei.

Les enfants n’attendaient que les vêtementschauds.

Lorsque Madame demanda à Iégor Ivanovitch desnouvelles de Polikei, il répondit avec un souriremalicieux :

– Il n’est pas encore de retour, Madame,et pourtant, il y a bien longtemps qu’il devrait être à lamaison.

Plus tard seulement, on apprit que des paysansd’un village voisin avaient aperçu Polikei courant sans chapeau, lelong du chemin et demandant à tous les passants s’ils n’avaient pastrouvé une lettre.

Un autre homme l’avait vu dormant au bord duchemin, le cheval et la charrette attachés à un arbre.

– J’ai même pensé, dit le paysan, qu’ilétait ivre, et que le cheval n’avait ni bu ni mangé, tellementqu’il avait maigri.

Akoulina ne put fermer l’œil de toute lanuit ; elle attendait toujours anxieusement le retour de sonmari. Si elle n’avait été seule, si elle avait eu un cuisinier, unefemme de chambre, elle aurait été bien plus malheureuse, mais elleavait une famille sur les bras et de la besogne pour deux. Aupremier chant du coq, elle se levait pour mettre les pains au four,préparer le dîner, traire la vache, repasser le linge des enfants,les laver, les nettoyer, apporter de l’eau, etc.…

Il faisait déjà grand jour. Les clochesannonçaient le service du matin, et Polikei ne revenait toujourspas. La veille au soir, une neige épaisse était tombée, et commepour célébrer le jour de fête, un soleil radieux éclairait laterre.

Akoulina occupée près du four, n’entendit pasle bruit des roues de la charrette.

– Papa est arrivé, dit la petite Machkaen s’élançant à la rencontre de son père.

En passant devant Akoulina qui avait déjà missa robe des dimanches, elle la saisit de ses petites mains sales etreçut une claque.

– Voulez-vous cesser, cria Akoulina quine pouvait quitter son fourneau.

Illitch entra avec ses paquets et s’assit surle bord du lit. Il sembla à Akoulina qu’il était bien pâle, qu’ilavait une drôle de figure comme s’il avait beaucoup pleuré, maisoccupée de ses pains elle n’y fit pas grande attention.

– Eh bien, Illitch, tout s’est-il bienpassé heureusement ?

Illitch murmura quelque chosed’inintelligible.

– Qu’est-ce que tu dis ? luicria-t-elle ; as-tu été chez Madame ?

Illitch, assis sur le lit, souriait de sonsourire triste et profondément malheureux, sans répondre auxquestions de sa femme.

– Eh ! Illitch, pourquoi as-tu étési longtemps absent ? continua Akoulina.

– Moi ! Akoulina, j’ai rendul’argent à Madame ; si tu savais comme elle m’aremercié ! dit-il en jetant un regard inquiet autour delui.

Deux objets attiraient tout particulièrementson attention : l’enfant dans le berceau, et les cordes quiretenaient le berceau… il s’approcha et de ses doigts fins, se mità défaire les nœuds de la corde… puis ses yeux s’arrêtèrent sur lebébé qui dormait paisiblement.

À ce moment, Akoulina arriva avec un plat degalettes.

Illitch cacha la corde dans sa poitrine ets’assit sur le lit.

– Qu’as-tu, Illitch ? tu n’es pas àton aise ? lui demanda Akoulina.

– Je n’ai pas dormi.

On vit une ombre devant la fenêtre, c’étaitAksioutka la femme de chambre de Madame.

– Madame ordonne à Polikei Illitch devenir immédiatement, dit-elle, essoufflée comme toujours,immédiatement, n’est-ce pas ?

Polikei regarda Akoulina, puis Aksioutka.

– Je viens ! Que me veut-elle ?dit-il d’un ton si calme, qu’Akoulina se tranquillisaimmédiatement ; elle veut me donner une gratificationprobablement. Tu diras que je viens tout de suite.

Il se leva et sortit.

Akoulina prit un baquet, le remplit d’eautiède :

– Viens, Machka, dit-elle, que je telave. Machka se mit à hurler.

– Viens, galeuse, que je te mette unechemise propre. Dépêche-toi, je dois encore laver ta sœur.

Pendant ce temps, Polikei, au lieu de suivrela femme de chambre, se dirigea d’un côté tout opposé.

Dans l’antichambre se trouvait un escalierrapide qui menait au grenier. Il jeta un regard autour de lui etvoyant qu’il était seul monta rapidement jusqu’en haut…

– Qu’est-ce que cela veut dire quePolikei ne vienne pas, dit la maîtresse avec impatience ens’adressant à Douniacha qui la coiffait… Où est Polikei ?Pourquoi ne vient-il pas ?

Aksioutka retourna de nouveau chercherPolikei.

– Mais il y a longtemps qu’il est parti,répondit Akoulina, qui, après avoir lavé Machoutka, se préparait ànettoyer le bébé. Il criait, se débattait, pendant que sa mère,soutenant son petit corps d’une main, le frottait de l’autre avecun morceau de savon.

– Regarde s’il ne s’est pas endormi enchemin, dit-elle avec inquiétude.

La femme du charpentier, décoiffée, soutenantses jupons, montait au grenier pour y prendre une robe.

Un cri d’horreur retentit, et, les yeuxfermés, la figure bouleversée, elle descendit l’escalier quatre àquatre.

– Illitch ! cria-t-ellesuffoquée.

Akoulina laissa tomber l’enfant…

– Il s’est étranglé ! hurla la femmedu charpentier.

Sans voir que l’enfant était tombé à larenverse dans le baquet d’eau, Akoulina accourut dansl’antichambre.

– Il s’est… pendu… à… la… poutre, dit lafemme du charpentier en apercevant Akoulina.

Akoulina s’élança sur l’escalier, et avantqu’on ait pu l’en empêcher, elle grimpa les marches.

À la vue du spectacle qui s’offrait à sesyeux, elle tomba à la renverse comme une masse inerte dans les brasdes voisins accourus à la hâte.

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