Contes et Nouvelles – Tome II

IX

La conversation s’étant engagée entre les deuxfemmes, la mère d’adoption fit le récit suivant :

– « Il y a six ans, jour pour jour,que l’événement eut lieu.

« Ces deux pauvres petites perdirent leurpère et leur mère dans la même semaine. J’habitais alors au villageavec mon mari, et nous connaissions beaucoup les parents de cesfillettes. Leur père était un peu misanthrope ; il travaillaitdans, les bois ; un jour, un arbre qu’il abattait tomba à fauxet lui brisa la tête. Il expira pendant qu’on le rapportait chezlui. Trois jours après, sa femme mettait ces deux petites au monde.Elle était seule chez elle avec son chagrin et sa misère. Nepouvant faire chercher de secours, elle accoucha seule et enmourut. Quand, le lendemain, j’allai la voir, elle était déjà roideet glacée. Dans les convulsions de l’agonie, la pauvre mère s’étaitabattue sur l’une des pauvres petites, et lui avait écrasé lepied ; l’enfant en resta estropiée.

« Je courus appeler les voisins ; ons’empressa autour de la morte, on lui lava le corps, on l’habilla,puis on commanda le cercueil ; les voisins étaient tous debraves gens, on y pourvut à frais communs.

« Mais que faire des nouveau-nés ?Comme j’étais la seule qui eût un nourrisson, – mon unique, ilavait huit semaines, – c’était à moi d’en prendre soin. Lesvoisins, après s’être consultés, me dirent :

– « Maria, garde les deux petitsêtres en attendant qu’on voie ce qu’il faudra faire. »

« Je soignai premièrement l’enfant bienportant ; l’autre semblait devoir mourir aussi, et je voulaisl’abandonner. Pourtant mon cœur médisait en silence : Pourquoice petit ange ne vivrait-il pas aussi ? La pitié me saisit, jemis l’enfant chétif au sein ; il vécut, et j’eus ainsi troisenfants à nourrir. J’étais jeune et robuste, je ne manquais derien, et le bon Dieu fit abonder le lait dans ma poitrine. Pendantque j’en allaitais deux, le troisième attendait son tour. AlorsDieu m’envoya une terrible épreuve. Pendant que j’élevais lesenfants d’une autre, il jugea bon de me reprendre le mien. Il avaitdeux ans, et je n’en ai pas eu d’autre depuis. Sauf ce chagrin,tout prospérait à la maison. Nous sommes venus depuis nous établirprès d’ici, nous dirigeons un moulin pour le compte d’un autre,nous gagnons un bon salaire et nous menons une vie aisée. N’ayantplus d’enfant à nous, quelle existence serait la nôtre, sans cesdeux petits chérubins ! Dieu ! comment ne les aimerais-jepas, ces amours ? C’est toute ma vie. »

Et la bonne femme, que l’émotion gagnait,pressa avec passion la petite infirme contre son cœur, en essuyant,de la main restée libre, les larmes qui perlaient à ses yeux.

Matréma soupira, toute pensive, etajouta :

– Le proverbe dit vrai : « Pèreet mère ne sont rien, quand c’est la volonté deDieu ! »

Les deux femmes causaient encore, lorsquesoudain la petite chambre s’emplit d’une brillante clarté. Elles seregardèrent surprises. Le rayonnement venait du côté de Michel.Lui-même était comme transfiguré ; les mains jointes sur lesgenoux, il regardait le ciel et souriait.

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