Contes et Nouvelles – Tome II

IX

Les Migourski avaient acheté une voiture sousle prétexte de renvoyer Louise dans son pays. On s’occupa ensuitede la construction d’une caisse où l’on pourrait rester couché dansune position supportable et d’où l’on pourrait sortir sans êtrevu.

Albine, Rossolowski et Migourski avaient donnéleur avis sur la confection de cette caisse. L’aide de Rossolowskidans cette affaire était précieuse, car il était bon menuisier. Lacaisse fut faite de telle façon que, placée sur les ressorts dederrière, elle adhérait parfaitement au coffre de la voiture. Laparoi de la caisse, proche du coffre, s’ouvrait assez pour quel’homme qui y était pût s’étendre en partie dans la caisse, enpartie dans le fond du coffre de la voiture. En outre, des trousavaient été vrillés dans le couvercle ; le tout était entouréde nattes et bouclé avec des cordes.

La voiture et la caisse une fois prêtes,Albine s’était arrangée pour prévenir les autorités. Elle étaitallée chez le commandant, lui avait fait savoir que son mari étaitatteint de mélancolie, qu’il avait tenté de se tuer et, craignantpour lui, elle avait demandé une permission. Son art de mimer luiavait beaucoup servi et son anxiété concernant son mari était sinaturelle que le bon vieil homme, attendri, promit de faire tout cequi était en son pouvoir. Après quoi, Migourski écrivit la lettrequ’on devrait retrouver dans sa capote et le soir du jour convenu,il alla vers l’Oural, attendit le crépuscule et ayant laissé sacapote sur la berge, il retourna furtivement chez lui. On lui avaitpréparé une place au grenier et la nuit Albine envoya Louise chezle commandant pour lui faire savoir que son mari, sorti depuisvingt heures, n’était pas encore rentré. Le matin, quand on lui eutapporté la lettre, elle courut avec une immense expression dedouleur et tout en larmes, la porta au commandant.

Huit jours après, Albine fit une demanded’autorisation de départ et, sa douleur ayant frappé tout le monde,une compassion générale entoura et la mère et l’épouse. Quand cettepermission fut accordée, elle demanda l’autorisation d’exhumer sesenfants et de les emporter avec elle. Les autorités, quoiqueétonnées par tant de sentimentalisme, ne refusèrent pourtantpoint.

Le lendemain, Rossolowski, Albine et Louisepartirent au cimetière avec la caisse dans laquelle devaient êtreplacées les bières des enfants. L’infortunée s’agenouilla devantles tombes, pria et, essuyant ses larmes, s’adressa àRossolowski.

– Faites ce qu’il faut, moi, je ne puispas le faire.

L’ami et Louise soulevèrent la pierre tombaleet remuèrent la terre avec une pelle, pour que le tombeau semblâtdésormais vide.

Quand ce fut fait, on appela Albine et lacaisse remplie de terre fut emmenée à la maison.

Enfin, le jour du départ arriva.

Rossolowski se réjouissait de la réussite deson plan. Louise, qui avait préparé pour la route des quantités depâtés et de gâteaux, disait à tout instant que son cœur se brisaitde joie et de crainte. Quant à Migourski, il était heureux dequitter son grenier où il était resté plus d’un mois, mais surtoutde voir l’animation et la joie de vivre d’Albine. On eut ditqu’elle avait oublié tous ses malheurs et comme au temps de sonadolescence, sa figure rayonnait de joie enthousiaste.

À trois heures du matin, le cosaque arrivaconduisant la voiture et les trois chevaux. Albine, Louise et lepetit chien s’assirent dans la voiture. Le cosaque et le cochers’assirent sur le siège et Migourski, habillé en paysan, étaitétendu dans sa caisse.

On sortit de la ville et la bonne Troïka[18] emporta la voiture sur la routeempierrée et plate au long de la steppe infinie et des regains detrèfle de l’an dernier.

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