Contes et Nouvelles – Tome II

IX

Aussitôt que tout rentra dans le silence,Polikei descendit sans bruit comme un coupable et se prépara à s’enaller. Il ne se sentait pas le courage de passer la nuit avec lesconscrits.

Les coqs avaient déjà chanté, Tambour avaitfini sa ration d’avoine et demandait à boire.

Illitch l’attela et le mena par la bride versla porte cochère.

Le chapeau et son contenu étaient sains etsaufs et Polikei s’installant sur sa charrette, partit le cœurléger.

Quand la ville fut derrière lui, il se sentitplus à son aise. Tant qu’il se trouvait avec les conscrits, il luisemblait qu’on allait le saisir et le mener à la place d’Ilia. Ilétait pris d’un frisson et fouettait Tambour pour s’éloigner auplus vite des conscrits.

La première personne qu’il rencontra, fut unprêtre. Une terreur superstitieuse s’empara de lui ; Illitchôta son chapeau et palpa l’enveloppe ; elle était toujours enplace.

– Si je la cachais dans ma poitrine, maispour cela il faudrait ôter ma ceinture ; je vais le faireaussitôt que je descendrai la montagne… Bah ! le chapeau estbien recousu, la lettre ne pourra pas tomber ; je ne medécouvrirai plus la tête jusqu’à la maison.

Tambour descendit la montagne au galop,Polikei qui avait tout autant de hâte de revenir au logis, ne s’yopposa pas. Tout allait pour le mieux, et notre homme se plongeadans des rêveries agréables, se représentant la reconnaissance desa maîtresse, la joie de sa famille et espérant une bonnegratification.

Il ôta encore une fois son chapeau, palpa labienheureuse enveloppe et enfonça davantage son couvre-chef.

L’étoffe du chapeau était usée, et commeAkoulina l’avait recousue avec soin d’un côté, le côté opposé sedéchira. L’enveloppe fut mise à découvert.

Le jour commençait à poindre. Polikei, quin’avait pas dormi toute la nuit, finit par s’assoupir. Sa têtesuivait les mouvements de la charrette et l’enveloppe sortait deplus en plus du trou qui s’était fait dans l’étoffe.

Il ne se réveilla que près de la maison.

Son premier mouvement fut de saisir sonchapeau, il était bien enfoncé sur la tête ; rassurécomplètement, il ne s’inquiéta pas de voir si l’enveloppe s’ytrouvait encore. Il s’arrangea et regardant fièrement autour delui, fouetta Tambour.

Voici la cuisine, le comptoir, voici la femmedu charpentier, qui porte de la toile, voici la maison demadame ! Polikei prouvera tout de suite qu’il s’est montrédigne de la confiance qu’on avait eue en lui. Déjà, il entendait lavoix de la maîtresse qui lui disait :

– Merci, Polikei ; Voici trois…cinq, peut-être même dix roubles.

Elle lui offrirait un verre de thé, del’eau-de-vie. Après ce voyage, un verre de thé serait le bienvenu…Avec dix roubles, on peut acheter une paire de bottes neuves etpayer sa dette à Nikita qui devient insupportable.

À cent pas devant la maison, il s’arrangeaencore une fois, ôta son chapeau, posa la main sous la doublure etse mit à fouiller fiévreusement… rien ! L’enveloppe avaitdisparu.

Polikei, pâle comme la mort, arrêta le chevalet se mit à chercher dans le foin, dans ses poches, autour de lui…toujours rien !

– Seigneur ! qu’est-ce donc, maisqu’est-ce donc ? hurla-t-il en se prenant la tête. Il sesouvint qu’on pouvait le voir ; tourna bride et rebroussachemin.

Je déteste voyager avec Polikei, se ditTambour mécontent : une seule fois dans la vie il m’a nourriet abreuvé à temps, et maintenant que me voilà près du logis, il mejoue le tour de me faire rebrousser chemin !

– Allons, sacré animal ! criaitPolikei en rouant le cheval de coups.

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