Les Désenchantées

Chapitre 7

 

Ces deux semaines de fin octobre, que dura l’agonie de Mélek,furent de beau temps presque inaltérable et de mélancolique soleil.André, chaque soir, à la manière des écoliers, effaçait maintenantle jour révolu, sur un calendrier où la date du 30 novembre étaitmarquée d’une croix. Il vivait le plus possible à Stamboul, decette vie turque si près de finir pour lui. Mais, ici comme auBosphore, la tristesse de l’automne s’ajoutait à celle du départ siprochain, et il faisait déjà presque froid, pour les rêveries, pourles narguilés de plein air, devant les saintes mosquées, sous lesarbres qui s’effeuillaient.

Naturellement, il ne voyait plus jamais ses amies, car Djénaneet Zeyneb ne s’éloignaient pas de celle qui allait mourir. Sur lafin, elles mettaient pour lui, aux grillages d’une fenêtre, unimperceptible signal blanc qui signifiait : elle vittoujours ; et il était convenu qu’un signal bleusignifierait : tout est fini. Dès le matin donc, et ensuitedeux fois dans la journée, lui-même, ou son ami Jean Renaud, ou sonvalet de chambre, passaient par le cimetière de Khassim-Pacha, pourregarder anxieusement à cette fenêtre.

Pendant ce temps-là, dans la maison de la petite mourante, oùrégnait un attentif silence, des Imams, sur la requête des aïeules,étaient constamment en prière ; l’Islam, le vieil Islamdivinement berceur des agonies, enveloppait de plus en plusl’enfant révoltée, qui cédait par degrés à son influence, ets’endormait sans terreur ; du reste le doute chez elle n’étaitqu’un mal encore curable, une greffe encore récente sur de longueshérédités de calme et de foi. Et voici que peu à peu, même lesobservances naïves, qui sont au Coran ce que chez nous lespratiques de Lourdes sont à l’Évangile, même les superstitions desdeux vénérables aïeules, ne choquaient plus cette petite incréduled’hier, qui acceptait qu’on lui mît des amulettes, et que sesvêtements fussent exorcisés par les derviches ; on faisaitbénir dans la mosquée d’Eyoub ses chemises d’élégante, qui venaientde chez le bon faiseur parisien, ou bien on les envoyait plus loinencore, à Scutari, chez les saints Hurleurs dont le souffle a ledon de guérir, tant qu’ils sont dans l’extase, après leurs longscris vers Allah.

Quand finit le mois d’octobre elle était depuis deux jours sansparoles, et probablement sans connaissance, plongée dans une sortede brûlant et lourd sommeil que les médecins disaient tout prochede la mort.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer