Les Désenchantées

Chapitre 8

 

Le lendemain, il passait par hasard à pied dans la grand-rue dePéra, en compagnie d’aimables gens de son ambassade, qui s’yétaient fourvoyés aussi, les Saint-Énogat, avec lesquels ilcommençait de se lier beaucoup. Un coupé noir vint à les croiser,dans lequel il aperçut distraitement la forme d’une Turque entcharchaf ; madame de Saint-Énogat fit un salut discret à ladame voilée, qui aussitôt ferma un peu nerveusement le store de savoiture, et, dans ce mouvement brusque, André aperçut, sous letcharchaf, une manche en une soie couleur citron à dessins vertsqu’il était sûr d’avoir vue la veille.

– Quoi, vous saluez une dame turque dans la rue ?dit-il.

– Bien incorrect, en effet, ce que je viens de faire,surtout étant avec vous et mon mari.

– Et qui est-ce ?…

– Djénane Tewfik-Pacha, une des fleurs d’élégance de lajeune Turquie.

– Ah !… Jolie ?

– Plus que jolie. Ravissante.

– Et riche, à en juger par l’équipage ?

– On dit qu’elle possède en Asie la valeur d’une province.Justement, une de vos admiratrices, cher maître. – (Elle appuyaitnarquoisement sur le « cher maître », sachant que cetitre l’horripilait.) – La semaine dernière, à la Légation de ***,on avait licencié pour l’après-midi tous les domestiques mâles,vous vous rappelez, afin de donner un thé sans hommes, où desTurques pourraient venir… Elle était venue… Et une femme vousbêchait, mais vous bêchait…

– Vous ?

– Oh ! Dieu, non : ça ne m’amuse que quand vousêtes là… C’était la comtesse d’A… Eh bien ! madameTewfik-Pacha a pris votre défense, mais avec un élan… Je trouved’ailleurs qu’elle a l’air de bien vous intéresser ?

– Moi ! Oh ! comment voulez-vous ? Une femmeturque, vous savez bien que, pour nous, ça n’existe pas ! Non,mais j’ai remarqué ce coupé, très comme il faut, que je rencontresouvent…

– Souvent ? Eh bien ! vous avez de lachance : elle ne sort jamais.

– Mais si, mais si ! Et généralement je vois deuxautres femmes, de tournure jeune, avec elle.

– Ah ! peut-être ses cousines, les petites Mehmed-Bey,les filles de l’ancien ministre.

– Et comment s’appellent-elles, ces petitesMehmed-Bey ?

– L’aînée, Zeyneb… L’autre… Mélek, je crois.

Madame de Saint-Énogat avait sans doute flairé quelquechose ; mais, beaucoup trop gentille et trop sûre pour êtredangereuse.

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