Au temps de la comète

3.

Ce fut trois jours après – c’est-à-dire le mercredi – que seproduisit la première des sinistres échauffourées qui finirent parla sanglante affaire de Peacock Grove et la totale inondation deshouillères de Swathinglea. De ces troubles, c’était le seul que jedevais voir, et ce fut seulement un des conflits préliminaires dela lutte.

Les comptes rendus qui en ont été publiés varient à l’infini. Àles lire, on conçoit l’extraordinaire mépris de la vérité qui adéshonoré la presse d’alors. J’ai, dans mon bureau, plusieurs desjournaux de cette époque, – à vrai dire, j’en ai réuni toute unecollection, – et je viens d’en relire trois ou quatre de cettedate-là, pour me rafraîchir la mémoire au moment de relater mesimpressions.

Ils sont là devant moi, sous la forme d’étranges feuilleseffrangées ; le papier bon marché est devenu brun et cassant,et s’est coupé dans les plis ; l’encre est effacée oudéteinte, et il me faut un soin extrême pour les manier, pourrelire leurs articles fulminants. À les feuilleter ainsi dans cecalme, leur caractère général, leur disposition, leur ton, leursarguments et leurs exhortations semblent provenir de lacollaboration incohérente d’hommes ivres et fous. Ils font l’effetde ces rauques hurlements, de ces clameurs de foule que l’onentend, affaiblis, à travers un phonographe…

C’est seulement le lundi que, casées après les nouvelles de laguerre, parurent quelques dépêches relatant que des choses gravesse passaient à Clayton et à Swathinglea.

Vers le soir se déroulèrent les événements dont je fus letémoin. Après le déjeuner, désirant m’exercer à tirer le revolver,j’avais gagné, à quatre ou cinq milles de distance, par-delà unelande déserte, un petit bois retiré, plein de jacinthes bleues, àmi-chemin de la grande route, entre Leet et Stafford. Toutel’après-midi, je m’habituai au maniement de l’arme et, avec uneâpre persistance, m’entraînai à perfectionner mon tir. J’avaisapporté, pour me servir de cible, un vieux cadre de cerf-volant,garni de papier épais, sur lequel je notai et numérotai chacun destrous percés par mes balles, de façon à m’assurer des progrès queje ferais. À la fin, je constatai avec plaisir qu’à trente pas jepouvais, neuf fois sur dix, atteindre une carte à jouer ; aujour tombant, je finis par ne plus distinguer les cercles et lepoint de mire que j’avais tracés au crayon, et je retournai chezmoi par Swathinglea, dans cette humeur chagrine qui souventaccompagne la faim chez l’homme en proie à la révolte.

La route que je suivais s’encaissait entre deux rangées depauvres habitations ouvrières, entassées les unes sur lesautres ; à partir du réverbère et de la boîte aux lettres, quimarquaient le point de départ du tramway à vapeur, elle s’arrogeaitle titre de Grande Rue de Swathinglea. Jusqu’à cet endroit, laroute sale, dans une atmosphère étouffante, avait été d’un rarecalme et d’un vide inaccoutumé ; mais, après le coin où segroupaient les cabarets, elle devenait très animée et populeuse.Tout était encore paisible ; les enfants eux-mêmes restaienttranquilles ; mais on voyait de nombreux groupes quisemblaient tous regarder dans la direction des grilles quifermaient l’entrée du puits de mine, dénommé Bantock Burden.

Des piquets de grévistes surveillaient les approches, bien queles mineurs n’eussent pas encore officiellement quitté le travailet que les conférences entre patrons et ouvriers se poursuivissentà l’Hôtel de Ville de Clayton. Mais un des ouvriers employés à lamine de Bantock Burden, Jack Briscoe, un socialiste, s’était faitremarquer par une lettre violente publiée dans le principal journalsocialiste anglais, le Clairon, lettre dans laquelle il osaitcritiquer l’attitude de lord Redcar. Cette publication avait étésuivie d’un renvoi immédiat. Ainsi que lord Redcar l’écrivit, unjour ou deux plus tard, au Times, – j’ai ce numéro du Times, avecla collection complète des journaux de Londres d’un mois avant leChangement, – « l’homme fut payé et mis à la porte : tout patronqui se respecte doit faire de même ». Le renvoi avait eu lieu laveille, et les ouvriers, dans cette conjoncture qui était aprèstout embarrassante et bien discutable, ne surent pas tout de suiteadopter une ligne de conduite précise. Presque aussitôt les mineursdes houillères de lord Redcar, au-delà du canal qui diviseSwathinglea, se mirent en grève sans avertissement préalable,commettant ainsi, par cette brusque cessation du travail, unerupture de contrat. Mais, dans ces sortes de conflits, les ouvriersde ces temps-là se plaçaient constamment en fâcheuse posture, àcause de cet irrésistible désir, si naturel aux esprits sanséducation, d’agir avec une promptitude dramatique. Pourtant tousles ouvriers n’étaient pas sortis du puits de Bantock Burden. Lamésintelligence régnait, ou l’indécision pour le moins ; lamine continuait à fonctionner, on y travaillait encore, et le bruitcourait que lord Redcar, prévoyant la grève, avait fait venir deDurham des équipes qui étaient déjà descendues dans le puits. Maisil est absolument impossible de démêler avec certitude ce qui sepassa alors. Les journaux affirment bien des choses, mais rien quisoit digne de confiance.

Je crois que j’eusse assisté fort placidement, somme toute, àcette crise stagnante du drame industriel, si, en même temps quej’y pénétrais moi-même, lord Redcar n’était apparu sur la scène etn’en eût incontinent troublé la sérénité.

Il avait déclaré que si les ouvriers voulaient la lutte il étaitprêt à leur livrer la plus belle bataille qu’ils eussent jamaisrêvée, et, toute l’après-midi, il s’était activement employé àprovoquer les hostilités et à embaucher avec le plus d’ostentationpossible les « jambes noires » qui, disait-il, – et on le croyait,– devaient remplacer les grévistes dans ses mines.

Je fus témoin oculaire de toute l’affaire et… je ne sais pas cequi s’est passé.

Imaginez-vous comment la chose se présenta à moi.

Je descendais une route raide et pavée, creusée entre deuxtrottoirs surélevés de peut-être six pieds, sur lesquelss’ouvraient, en séries monotones, les portes des petits cottagesbas et noircis. La perspective des toits d’ardoises trapus et descheminées pelotonnées allait à la dérive vers les terrainsirréguliers qui précédaient la mine, – terrains couverts d’une bouenoire, sillonnée par les roues des chariots, avec un coin d’herbedesséchée vers la gauche et les grilles du carreau de la mine surla droite. De là partait la Grand-rue, avec ses boutiques et lesrails des tramways à vapeur, tantôt brillant sous l’éclat deslumières, tantôt se perdant dans l’ombre, pour scintiller à nouveausous les rayons jaunâtres d’un réverbère qu’on venaitd’allumer.

Plus loin, s’étendait un marécage ténébreux de maisonnettes auxtoits fumants, d’où émergeaient çà et là de pauvres églises, descabarets, des écoles, jusqu’aux cheminées gigantesques des usinesde Swathinglea. À droite, s’érigeant par-dessus les alentours, unegrande claire-voie, portant une roue énorme, marquait les puits deBantock Burden, et d’autres structures semblables se profilaient,selon une perspective irrégulière, au long du filon. C’était, sousla voûte immense et harmonieuse du soir, une vision de vieconcentrée et sombre, que dominaient ces grandes roues, et là-haut,merveilleuse souveraine des profondeurs célestes, glissait lagrande Comète livide et éblouissante.

La lueur pâlissante du couchant projetait toutes les silhouettescontre l’ouest ; la Comète s’élevait dans l’est, au-dessus duvacarme et de la fumée des forges. La lune ne paraissait pasencore.

La Comète commençait à prendre cette forme nuageuse que desmilliers de dessins et de photographies nous ont rendue familière.D’abord, elle n’avait été visible qu’au télescope ; puis, elleavait grandi et était devenue peu à peu l’étoile la plus belle etla plus brillante des cieux ; maintenant, ses dimensionsdépassaient celles de la lune, et notre firmament n’a jamaiscontenu d’astre plus éclatant. Aucune photographie n’a jamais rendusa beauté ; jamais, à aucun moment, on ne lui vit cette sortede chevelure que l’on prête aux comètes. Les astronomes parlaientde sa double queue dont l’une, selon eux, la précédait et l’autretraînait derrière elle : mais, en réalité, elle avait la forme d’unovoïde lumineux dont le centre était plus opaque et plusresplendissant. Elle se leva, ce soir-là, dans une brume teintéejaune, et ce ne fut que plus tard, dans la soirée, qu’elles’affirma d’un blanc livide.

L’attention se trouvait forcément attirée vers elle ;malgré mes préoccupations terrestres, je ne pus m’empêcher de lacontempler un moment et de m’imaginer qu’après tout cet étrange etglorieux astre devait avoir sa signification, et je prévoyais qu’ilinfluencerait ma vie d’une façon quelconque. Maiscomment ?

Je pensais à Parload ; je songeais à la frayeur et àl’inquiétude que produisait la Comète et à l’assurance quedonnaient des savants qu’elle ne pesait au plus que quelquescentaines de tonnes et qu’alors même qu’elle viendrait à heurter laTerre rien de bien grave ne s’ensuivrait. Quoi qu’on prétende, medis-je enfin, quelle influence réelle les astres ont-ils jamais euesur les choses humaines et terrestres ?

Mais, à mesure qu’on descendait la côte, à travers la masse plusdense des maisons, au milieu des groupes de gens, la situationcritique faisait oublier la Comète.

Préoccupé de moi-même, de mes noirs projets concernant Nettie etmon honneur, je me faufilais au travers de cette foule compacte,réunie là on ne sait pourquoi, lorsque, soudain, toute la scène sechangea en drame…

Un irrésistible magnétisme, qui s’empara de moi aussi, comme lesflots attrapent un brin de paille, attira l’attention de tous versla Rue Haute. Tout à coup la foule fit entendre un mugissementuniforme. Ce n’était pas un mot, mais un son où se mêlaient lamenace et la protestation ; quelque chose comme des «ah ! » et des « oh ! oh » ! prolongés quis’enflaient avec une rauque intensité. « Tou-ou tou-ou », soufflaitla trompe de lord Redcar en ridicule répartie : « tou-ou, tou-ou ».On entendait l’auto bourdonner et haleter, tandis que la foule leforçait de ralentir à la descente.

Tout le monde se dirigeait vers les grilles de la mine ; jesuivis les autres.

Soudain, un cri s’éleva et, entre les formes noires quis’agitaient devant moi, je vis l’automobile s’arrêter, puis seremettre en marche, et j’aperçus quelque chose qui se tordait surle sol…

On a certifié, plus tard, que lord Redcar avait volontairementrenversé un gamin qui ne se rangeait pas ; on affirma, avecautant d’acharnement, que le prétendu gamin était un homme qui,ayant voulu traverser la chaussée devant l’automobile, n’y parvintque tout juste à temps et que son pied glissa sur le rail dutramway. J’ai les deux comptes rendus sous des titres flamboyants,dans les journaux fanés du temps. On n’arriva jamais à savoir lavérité. Mais, dans ce tumulte aveugle de colère, pouvait-il existermême une vérité ?

Il y eut une ruée en avant ; la trompe de la voiture lançases appels ; en une poussée violente, la foule s’écarta de dixmètres vers la droite, et on entendit une détonation comme celled’un revolver.

Au premier moment, tout le monde voulut fuir ; une femmeportant un enfant enveloppé d’un châle se jeta sur moi, dans sonégarement, et m’envoya rouler en arrière. On avait cru à unedétonation d’arme à feu, mais en réalité le bruit provenait des gazmal carburés qui avaient fait explosion dans le tuyaud’échappement, produisant une fumée légère et bleuâtre. La foule,dans son recul, avait laissé libre un large espace autour del’auto.

L’homme ou le gamin était resté seul à terre, bras et jambesétendus. La voiture était arrêtée, et six ou sept formes noiresl’entouraient et s’y cramponnaient comme pour l’empêcher derepartir ; l’une d’elles, Mitchell, un meneur bien connu,discutait, sur un ton bas mais enflammé, avec lord Redcar. J’étaistrop loin pour entendre ce qu’ils se disaient. Derrière moi, lesgrilles du puits s’ouvraient, et de cette direction allaitpeut-être venir du secours pour l’automobile. Entre la voiture etla grille s’étendaient environ cinquante mètres d’espace libre,tout boueux, et les roues et la tête du puits s’élevaient noirescontre le ciel. J’étais là, avec plusieurs autres qui, rangés endemi-cercle, regardaient, sans avoir encore pris parti dans ladiscussion.

Il était naturel, je suppose, que ma main serrât mon revolverdans ma poche.

Je m’avançai avec les plus vagues intentions, bousculé parquelques hommes qui me dépassaient, dans leur hâte de grossir legroupe entourant la voiture.

Lord Redcar, dans sa pelisse de fourrure, dominaitl’attroupement ; ses gestes étaient menaçants et sa voixtonnait. Il faisait grand effet, je dois l’avouer, ce superbe jeunehomme, avec sa tête énergique et le beau timbre de sa voix, prenantd’instinct l’attitude impressionnante. Mes yeux ne le quittaientpas. Il était comme le symbole triomphant des privilègesaristocratiques, de tout ce qui remplissait mon âme de haine et deressentiment. Le chauffeur, ramassé sur son siège, épiait la foulepar-dessous le bras de son maître. Mais Mitchell, lui aussi,apparaissait en puissant relief, et sa voix était ferme et vibrante:

– Vous avez renversé ce gamin, – répétait inlassablementl’ouvrier, – et vous ne partirez pas sans qu’on sache s’il estblessé.

– Je partirai ou je resterai, si ça me plaît, – répondaitRedcar.

Puis, s’adressant au chauffeur :

– Descendez, vous, et allez-y voir.

– Vous ferez mieux de ne pas bouger, – dit Mitchell.

Et le chauffeur demeura courbé et hésitant sur lemarchepied.

L’homme assis à l’arrière de la voiture se dressa, et, sepenchant, murmura quelque chose à Redcar. Je le remarquai pour lapremière fois. C’était le jeune Verrall. Sa belle figure sedessinait clairement à la lueur verte de la Comète.

Je cessai d’entendre la suite de la querelle qui s’envenimaitentre lord Redcar et Mitchell. Ils étaient rejetés à l’arrière-plande mon esprit par ce nouvel incident : le jeune Verrall étaitlà !

La vengeance que je projetais venait s’offrir à moi.

Une collision se produisait ici, qui certainement dégénéreraiten échauffourée ; et voilà que…

Qu’avais-je à faire ? Je réfléchis rapidement, et, si mamémoire ne me trompe pas, je dus agir sans perdre une seconde. Mamain serra plus violemment mon revolver, et je me souvins qu’ilétait déchargé. Ma décision fut prise aussitôt. Tournant lestalons, je me frayai un passage dans la foule irritée qui,maintenant, s’avançait en larges flots vers l’auto.

Là, de l’autre côté de la route, parmi les tas de gravats et demâchefer, je serais tranquille et hors de vue pour charger monarme…

Un grand gaillard me croisa, les poings crispés, et s’arrêta uninstant à ma vue.

– Quoi ! – s’écria-t-il. – Vous n’avez pas peur d’eux,j’espère ?

Je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule, puis, regardantl’homme en face, je lui montrai presque mon arme. Son expressionchangea. Il parut perplexe et s’en fut avec un grognement.

Derrière moi, les voix se faisaient de plus en plus âpres etcourroucées.

J’hésitai l’espace d’une seconde, attiré par la dispute, puis jecourus vers les talus. Quelque chose me disait de ne pas me laissersurprendre en train de charger. J’étais donc assez de sang-froidpour songer aux suites de ce que j’allais faire.

J’observai une fois encore la scène de l’altercation devenuebataille, peut-être, puis, sautant dans un creux, je m’agenouillaidans l’herbe et pris mon arme avec des doigts tremblants. Jeglissai une balle dans le barillet, me relevai, revins sur mes pas,songeai aux éventualités, restai un instant en suspens, et enfin jeretournai glisser les cinq autres balles. Je le fis lentement, carje me sentais un peu nerveux ; j’inspectai le tout : sij’avais oublié quelque chose ? Pendant quelques secondes, jem’affaissai sur mes talons, luttant contre une impulsion contraire.Je réagis, et le grand météore livide envahit momentanément toutema pensée. Pour la première fois, je rattachai son apparition à lacrise de violence féroce qui semblait fondre sur l’humanité ;j’unissais ce fait à celui que j’étais résolu d’accomplir. J’allaistirer sur le jeune Verrall sous la bénédiction, pour ainsi dire, decette lueur livide…

Mais, dans ce projet, que devenait Nettie ?

Il me fut impossible de résoudre cette évidente difficulté.

Je regrimpai le talus et me dirigeai lentement vers labagarre.

Pas de doute possible, je devais le tuer…

Je veux que vous soyez bien convaincu que, à ce momentparticulier, je n’avais nullement l’intention d’assassiner le jeuneVerrall. Je ne m’étais jamais représenté des circonstances commecelles-ci ; je n’avais jamais pensé qu’il pût avoir quelquerapport avec lord Redcar et notre noir monde de l’industrie. Ilfaisait partie de ce Checkshill si lointain, et si différent, d’unmonde de parcs et de jardins, de la contrée aux émotionschaleureuses et ensoleillées : il était à côté de Nettie.

Son apparition ici me déroutait… J’étais pris par surprise, tropépuisé de faim et de fatigue pour réfléchir bien clairement. Je nevoyais plus que le fait brutal de notre antagonisme. Dans letumulte de mes émotions passées, j’avais constamment songé à notrerencontre probable, à des agressions, à des voies de fait, et àprésent toutes ces pensées me revenaient comme d’irrévocablesrésolutions.

Un cri aigu de femme, et la foule se ferma de nouveau sur legroupe : la lutte avait commencé. D’un bond, lord Redcar avaitterrassé Mitchell et du secours lui arrivait de la mine ; jejouai des coudes et fus emporté jusqu’au centre de la bataille,entre deux grands ouvriers qui me soulevaient sans que je pussemouvoir les bras ; la poussée m’échoua contre l’angle del’auto, et je me trouvai face à face avec le jeune Verrall, quidescendait du tonneau ; ses traits, sous la lumière jaune duphare, semblaient contorsionnés, car les ombres s’y allongeaient dela lueur projetée par la Comète ; l’effet ne dura qu’uninstant, mais j’en fus décontenancé. Dès son premier pas, et bienqu’il ne m’eût pas reconnu, il devina mon intention del’attaquer ; son coup de poing, lancé au hasard de l’ombre,m’atteignit à la joue. Lâchant mon revolver, je sortis vivement mamain droite de ma poche, esquissai une parade, puis mon poingdétendu le frappa en pleine poitrine.

Il chancela, et, sous le reflet qui l’éclaira pendant uneseconde, je vis son expression d’étonnement quand il mereconnut.

– Tu me reconnais, pourceau ! – hurlai-je, en lui portantun second coup. Un poing énorme s’abattit sur ma mâchoire et me fittournoyer sur moi-même tout étourdi. J’entrevis, dominant leremous, la carrure poilue de lord Redcar, dressé comme un hérosd’Homère.

Ma chute me donna l’impression qu’il surgissait de terre commeun géant. Je perdis l’équilibre, et il m’ignora. De sa grande voixblanche, il criait des conseils au jeune Verrall.

– File, Teddy, ça se gâte !

Je fus foulé aux pieds ; les clous d’un soulier de mineurm’écorchèrent la cheville ; on trébuchait sur mon corps, et letourbillon de cris et de jurons passa au-dessus de moi ; dansl’intervalle d’une seconde, j’aperçus le chauffeur, le jeuneVerrall et lord Redcar, – celui-ci retroussant grotesquement leslongs pans de sa pelisse, – qui gagnaient à toute allure, sous lesrayons froids de la Comète, les grilles de la mine. Je me soulevaisur les poignets. Le jeune Verrall… J’avais complètement oublié monrevolver, je n’étais qu’une masse de boue noire… Accablé par unsentiment d’impuissance ridicule, je me remis péniblement sur mesjambes. J’eus un moment d’hésitation, mais, me détournant de lamine, je repris en boitant le chemin de la maison ; vaincu,endolori, confus et honteux, je n’eus pas même assez de couragepour prêter la main à la démolition et à l’incendie del’automobile.

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