Au temps de la comète

5.

Un incident heureux permit à M. Gabbitas d’esquiver le défi,mais il fut cause aussi que je fis un pas de plus vers maperte.

Le piaffement d’un équipage, qui s’arrêta dans un grondement deroues, attira mon attention.

– Tiens ! – s’exclama le Révérend, se précipitant vers lafenêtre. – Mais, c’est Mme Verrall ! Voilà Mme Verrall !Que peut-elle bien me vouloir ?

Se retournant vers moi, il me montra une figure où unrayonnement de satisfaction avait effacé les traces de lacontrariété. Ce n’est pas tous les jours, pensai-je, que MmeVerrall lui rend visite.

– Nous sommes si souvent interrompus ! – dit-il, avec unsourire bienveillant. – Vous m’excusez une minute ? Aprèsquoi… je… je vous dirai ce qu’il faut penser de ce… commentdonc ?… de cet écrivain. Ne partez pas… Je vous assure, c’esttrès intéressant… très intéressant.

Et il sortit en coup de vent, me repoussant du geste au fond dela pièce.

– Mais il faut que je parte ! – lui criai-je dans ledos.

– Non, non ! restez ! – répondit-il dans le corridor.– Je tiens une réfutation.

Et, de la fenêtre, je pus le voir dégringoler le perron ettomber en courbette devant la vieille dame. Mon exaspération sesoulagea en blasphèmes. Je fis trois pas et me trouvai à portée demain du maudit tiroir, que je reluquai involontairement ; mesregards se portèrent vers la vieille dame à qui sa richesse donnaitune puissance absurde, et, d’emblée, l’image de son fils et deNettie surgit dans mon cerveau. Les Stuart avaient sans douteaccepté le fait accompli, et moi aussi, apparemment.

Qu’est-ce que je faisais là ? Pourquoi m’attardais-je, aurisque de laisser échapper ma juste vengeance ? Je sortaiscomme d’un rêve ; mon énergie se réveilla, un regard encorejeté sur l’échine courbée du vicaire, sur le nez pointu de lavieille dame, sur sa main tremblante, et, avec la vivacité del’éclair, j’avais ouvert le tiroir, empoché quatre souverains,refermé le meuble… À travers la vitre, je les vis qui continuaientà causer.

Tout allait bien. Il ne vérifierait pas avant des heurespeut-être le contenu de son tiroir. Un coup d’œil à la pendule :j’avais vingt minutes pour le train de Birmingham, le temps dem’acheter une paire de chaussures et de filer… Mais comment arriverà la gare ?

Délibérément, je gagnai le corridor, pris ma canne et monchapeau. Allais-je sortir maintenant et passer auprès delui ?

Oui, le moyen était excellent. Il n’oserait insister longuementpendant qu’une personne aussi importante l’occupait.

Je descendis crânement le perron.

– Vous me dresserez une liste, mon cher monsieur Gabbitas, detous les cas vraiment méritoires, – disait la vieille MmeVerrall.

Chose singulière, il ne me vint pas un instant à l’idée quec’était là la femme dont je me proposais d’assassiner le fils. Jene la vis pas du tout sous cet aspect-là. Elle m’apparut comme lesymbole des injustices, de l’imbécillité sociale, qui accordait àcette vieille femme le pouvoir de dispenser ou de refuser, suivantses pauvres fantaisies, les nécessités vitales à des milliers decréatures, ses semblables.

– J’établirai une sorte de liste provisoire, – bredouillait M.Gabbitas, qui, en m’apercevant, me lança un regard inquiet.

– Il faut que je parte, – fis-je, en réponse à son évidenteinterrogation. – Je serai de retour dans vingt minutes, –ajoutai-je sans m’arrêter.

J’étais extraordinairement calme et résolu, autant qu’enchantéde ce vol si promptement et si aisément accompli. Somme toute, jeme trouvais en mesure à présent d’exécuter ma grande résolution. Lacrainte des obstacles ne m’oppressait plus… Je me sentais capabled’affronter toutes les difficultés et de les tourner à monavantage. Je pris la direction de Hacker Street, où, en dixminutes, je ferais l’emplette d’une paire de solidesbottines ; puis, en cinq minutes, je serais à la gare, et… enroute !

Je me croyais aussi énergique et amoral que si j’eusse été leSurhomme même de Nietzsche. Je n’oubliais qu’un détail : c’est quela pendule du vicaire pouvait retarder.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer