Au temps de la comète

2.

Je m’éveillai dans cet état d’apaisement qui suit si souvent lesviolentes secousses morales.

Il était tard ; ma mère se tenait à mon chevet,m’apportant, sur un plateau éraillé, mon déjeuner du matin.

– Ne te lève pas encore, chéri, – dit-elle doucement, en posantle plateau sur mes genoux. – Tu es rentré à trois heures cettenuit, et tu devais être bien fatigué, car tu as dormi comme unplomb. Ah ! Tu m’en as fait une peur, avec ta figure pâle ettes yeux luisants… et tu trébuchais en grimpant l’escalier.

– J’ai été à Checkshill, – répliquai-je, cependant qu’un regardjeté sur la poche de mon veston à la proéminence significative merassurait ; elle n’avait pas touché à mes vêtements… – Tusais, peut-être…

– Oui, j’ai reçu une lettre hier soir.

Et, s’inclinant doucement vers moi, elle effleura mes cheveuxd’un baiser. Pour un moment, nous restâmes là, sa joue contre matempe.

– Ne touche pas à mes frusques, maman, – dis-je vivement, augeste qu’elle fit de les ramasser. – Je suis encore capable de medonner un coup de brosse. – Et, comme elle s’en allait, jel’étonnai en murmurant doucement : – Pauvre vieille mère, va… Oui,je comprends… mais laisse-moi un peu…

Et avec la docilité d’une servante bien dressée, elle s’en fut.Pauvre cœur soumis, dont le vieux monde et moi nous avions si malusé.

Il me sembla, ce matin-là, que j’étais désormais incapable d’unaccès passionnel ; je me sentais l’esprit clair et la volontéferme ; il n’y avait plus ni amour ni haine en moi, et, dansl’inflexibilité de ma résolution, à peine restait-il une place pourla pitié, pitié de ma mère, de tout ce qui devait lui arriver. Jedéjeunai sans hâte, réfléchissant au moyen de me renseigner surShaphambury et de m’y rendre ; je possédais pour tout avoircinq shillings.

M’étant habillé avec soin, et rasé de plus près que d’habitude,ayant choisi le moins élimé de mes faux cols, j’allai à labibliothèque communale pour étudier la carte. Shaphambury setrouvait sur la côte d’Essex ; le voyage était long etcompliqué. Je montai à la gare consulter les indicateurs ; lesemployés ne purent guère me donner de renseignements exacts, maisle préposé aux billets m’aida à résoudre le problème : il mefallait au moins deux livres sterling. Je regagnai la bibliothèquepublique pour réfléchir sur ce que j’avais à faire ; quoiqueje fusse absorbé dans mon projet, je remarquai une certaineanimation de la foule, autour des journaux du matin, qu’oncommentait bruyamment ; étonné un instant, je me renseignaivite : c’était la guerre avec l’Allemagne, naturellement. Unebataille navale se préparait, dans la mer du Nord. Quem’importait ! Je repris mes méditations.

Il y avait bien Parload. Irais-je me réconcilier avec lui et luiemprunter la somme ? Je supputai les chances de ce plan.Ensuite, l’idée me vint de vendre ou de mettre en gage quelquechose… Mais quoi ? C’était là le difficile. Je pensai à monpardessus d’hiver, mais battant neuf il n’avait pas coûté unelivre ; et puis à ma montre, mais on ne m’en donnerait quequelques shillings. En additionnant les deux, c’était uncommencement. Non sans répugnance, mon esprit se porta sur lapetite somme que thésaurisait ma mère en vue du loyer… Elle étaittrès cachottière, à ce sujet ; je savais que les quelquespièces d’or étaient serrées au fond d’une boite à thé, dans sachambre à coucher. Je savais aussi qu’il me serait presqueimpossible d’obtenir d’elle, de son plein gré, une partie de cettesomme, et, tout en me répétant qu’en face de ma vengeance et de mamort aucun futile détail ne comptait, je n’arrivais pas à penser àla boite à thé sans être tourmenté de scrupules. Ne pourrais-jetrouver ailleurs ? Peut-être qu’après avoir accumulé ce quipouvait provenir de diverses sources, déciderais-je ma mère àparfaire la somme.

– Ah ! les autres ! – disais-je, sans haine pour lapremière fois, en pareil cas. – Ah ! ces fils des riches, ilsn’en sont pas à baser leurs romans d’amour sur les générosités dumont-de-piété !… Quoi qu’il en soit, il faut aboutir.

Les heures s’écoulaient, mais je ne m’en inquiétais pas outremesure. « Aller lentement, c’est aller vite », rabâchait en touteoccasion Parload. Je voulais préparer soigneusement mon plan etagir ensuite comme une bombe.

En rentrant, je m’attardai devant la boutique d’un prêteur, maisje jugeai préférable de n’engager ma montre qu’en même temps quemon pardessus. Je déjeunai en silence, tout à mes projets.

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