Au temps de la comète

2.

La conversation que nous eûmes, tous trois, à l’aube des tempsnouveaux, est gravée dans ma mémoire ; elle fut imprégnée, sije puis dire, de fraîcheur et de simplicité, et comme de jeunesseet d’exaltation. Nous abordions, nous discutions, avec une sorte detimidité naïve, les questions les plus délicates dont le Changementeût proposé la solution à l’humanité. Nous les réduisîmes à leursvéritables proportions. Où en étions-nous ? Tel est le sujetque nous débattions, nous, et des millions de nos semblables.

Le hasard voulut qu’à cette dernière rencontre avec Nettie setrouve associée, en quelque sorte, la femme de l’aubergiste deMenton.

Cette auberge de Menton était un des rares coins agréables duvieux monde : singulièrement prospère, l’établissement servaitsurtout des déjeuners et des thés à une nombreuse clientèle que luienvoyait Shaphambury. Un vaste boulingrin moussu et verdoyants’encadrait de bosquets recouverts de plantes grimpantes, au milieude plates-bandes où la rose trémière se mariait aux mufliers et auxdelphinia bleus ; un fond sombre de lauriers et de houxfaisait ressortir ces bouquets versicolores ; les pignons del’auberge s’abritaient sous les gigantesques hêtres pourpres, etson enseigne (saint Georges, sur un cheval blanc, terrassant ledragon) se balançait contre le ciel éclatant. pendant que, dans ceravissant lieu de rendez-vous, j’attendais Nettie et Verrall, je mepris de conversation avec la patronne, femme à la carrurepuissante, au visage affable plein de taches de rousseur ;nous causâmes du matin du Changement. Cette matrone corpulente,florissante, avec son abondante chevelure rousse, ne doutait pas uninstant que tout, de par le monde, allait être modifié au mieux.Cette confiance, et un je-ne-sais-quoi dans le son de sa voix, mela firent aimer.

– Nous voilà réveillés, – disait-elle. – Un tas de choses vontêtre redressées, qui n’avaient ni queue ni tête… Pourquoi ?Hé, parce que j’en suis sûre.

Son regard bleu rencontra le mien avec une expression d’infinieamitié ; ses lèvres, entre ses phrases, assumèrent un sourireléger et joli.

Les vieilles traditions étaient ancrées en nous : dans touteauberge anglaise de cette époque, on avait coutume de corserl’addition, et je me renseignai sur le prix du déjeuner.

– Payez ou non, – dit-elle, – et ce qu’il vous plaira. C’estfête, ces jours-ci. Il faudra bien, je suppose, que nous ayonstoujours des additions et des recettes, de quelque façon que nousnous arrangions, mais ce ne sera plus le souci d’autrefois, j’ensuis sûre. Voyez-vous, cette partie-là n’a jamais été mon fort.Bien des fois, je me suis prise à regarder entre les feuillages età me demander ce qu’il serait juste pour moi et les miens dedemander aux clients, et quelle somme ils paieraient sans se croireécorchés. L’argent, ça m’est égal ! Il y en aura duchangement, tenez-le-vous pour dit ; mais moi, je resteraiici, à contenter les gens de mon mieux, tous ceux qui passent surla route. C’est charmant ici, vous savez, quand on est gai ;ce n’est que quand il y a de la jalousie, de la malveillance, de lafatigue, ou de la gloutonnerie, à manger plus qu’on ne peut tenir,à boire trop… alors le diable est de la partie. J’en ai vu, allez,des figures joyeuses ; on nous revient comme des amis ;mais il n’y a jamais rien eu de pareil à ce qui va se passer, àprésent que tout sera remis en place.

Elle sourit, l’excellente femme, du sourire de la joie et del’espérance.

– Je vous ferai une omelette, – promit-elle. – Vous m’en direzdes nouvelles ; on n’en mange comme cela qu’au ciel. J’ai dela cuisine dans les doigts, ces jours-ci, comme je ne m’en suisjamais senti. Vous n’avez pas idée du plaisir que j’y prends.

Nettie et Verrall se montrèrent à ce moment, sous l’arceaurustique revêtu de roses écarlates. Nettie était toute en blanc,avec un chapeau de soleil ; lui portait un complet gris.

– Voilà mes amis ! – m’écriai-je.

Mais, malgré les merveilles du Changement, une légère angoisseattrista la radieuse joie de mon âme, comme un nuage atténue lesrayons du soleil.

– Un joli couple, – fit l’hôtesse, en les suivant du regardpendant qu’ils traversaient le tapis vert du boulingrin.

Ils formaient vraiment un beau couple, mais je n’éprouvais quepeu de joie à les admirer.

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