Au temps de la comète

5.

Longtemps je craignis d’être obligé de m’en retourner à Claytonsans plus échanger un mot avec Nettie ; elle semblaitindifférente au désir que j’avais d’une conversation particulièreet j’étais sur le point de lui demander devant tout le monde unmoment d’entretien. Je ne dus qu’à une manœuvre visible de sa mère,qui avait étudié ma figure, de sortir avec Nettie pour aller faireje ne sais plus quoi dans l’une des serres. Notre mission, – uneporte à fermer, ou une fenêtre à ouvrir, – n’était qu’un prétexte,et ne fut pas remplie, que je sache.

Nettie, après avoir hésité, obéit. Elle me précéda à travers lesserres. Dans une atmosphère chaude et moite, une longue allée audallage de briques suivait une claire-voie supportant, des deuxcôtés, des pots de fougères et des plantes grimpantes quitapissaient la route de leur feuillage, et, dans cette pénombreverte, Nettie se retourna vers moi, comme une créature auxabois.

– Cette fougère est charmante, n’est-ce pas ? – medit-elle, et le regard de ses yeux interrogeait : – Ehbien ?

– Nettie, – débutai-je, – j’ai été un sot en t’écrivant comme jel’ai fait.

Elle m’étonna par le geste d’assentiment qui lui échappa. Safigure s’empourpra, mais, sans proférer un mot, elle attendit.

– Nettie, – bafouillai-je, – je ne puis me passer de toi, jet’aime.

– Si vous m’aimiez, – fit-elle de sa voix nette, suivant desyeux le jeu de ses doigts blancs dans les feuilles d’unesélaginelle, – pourriez-vous m’écrire de pareilleschoses ?

– Ce n’était pas ce que je voulais dire, – répliquai-je, – dumoins, pas toujours.

À part moi, je les trouvais très bien, ces lettres, et jepensais que Nettie était bien sotte de ne pas les apprécier. Maisje sentais l’impossibilité, en ce moment-là, de lui exprimer cetteopinion.

– Toujours est-il que vous les avez écrites.

– Oui, et j’ai fait aussi dix-sept milles à pied pour te direqu’elles traduisent mal…

– Vous le dites, mais peut-être qu’elles traduisent bien…

J’étais décontenancé, puis je bredouillai :

– Elles traduisent mal mes sentiments.

– Vous vous imaginez que vous m’aimez, Willie, mais, en réalité,vous ne m’aimez pas.

– Si, je t’aime, Nettie, tu le sais bien.

Pour toute réponse, elle secoua la tête.

J’eus alors un mouvement que je crus héroïque.

– Nettie, je te préfère… à mes opinions.

Elle effeuillait toujours la sélaginelle et articula, sans leverles yeux.

– Vous le croyez à présent.

J’éclatai en protestations.

– Non, non, – interrompit-elle, – ce n’est plus commeautrefois.

– Mais pourquoi deux lettres changeraient-elles tout… ?

– Ce n’est pas seulement les deux lettres, mais tout a changéentre nous… et pour de bon.

Elle avait hésité, cherchant ses expressions ; puis, levantbrusquement les yeux, elle fit un pas, comme pour me notifier quela conversation avait assez duré.

Mais je n’entendais pas que l’entretien se terminât sibrusquement.

– Pour de bon ? – répétai-je. – Ah ! Non !Nettie, tu ne penses pas ce que tu dis.

– Si fait, – répondit-elle fermement, l’attitude résolue et meregardant bien en face.

Elle semblait prête à affronter l’éclat qui devait suivre sadécision.

Vous ne doutez pas que mon éloquence me revint. Mais je nesubmergeai pas la récalcitrante sous le flot de mes paroles. Elletint bon, opposant une digue de contradictions à mes arguments.Nous en arrivâmes absurdement à discuter si j’étais capable ou nonde l’aimer. Ma détresse s’augmentait de la voir là, devant moi,plus jolie et plus ravissante que jadis, mais hostile, et, pourquelque cause mystérieuse, désormais inaccessible pour moi.

Jamais nous ne nous étions trouvés seuls, auparavant, sanséchanger quelques caresses innocentes, sans éprouver une petiteexaltation, comme coupable, mais délicieuse.

Je plaidai ma cause, j’abondai en arguments. J’en tirai de labrutalité même de mes lettres, pour prouver la force de l’amour quime poussait vers elle. J’exagérai avec éloquence la longueur desheures passées loin d’elle, et le crève-cœur que j’avais éprouvé àla trouver changée et indifférente. Elle me regardait, comprenantle sentiment de mes discours, bien qu’elle perçût difficilement lesens des mots. Bref, mon éloquence fut réelle, j’y avais mis moncœur et mon âme.

Lentement, une autre expression envahit sa physionomie, commel’aurore, imperceptiblement, éclaire l’aube : j’eus l’espoir que jeparviendrais à l’attendrir, que sa dureté mollirait, que la fermetécéderait à l’indécision. Notre vieille familiarité était un atoutpour moi, mais Nettie se raidit de nouveau, ne me permettant pas del’approcher.

– Non, – dit-elle, faisant un pas encore pour fuir.

Elle posa la main sur mon bras. Une bienveillance imprévue etdélicieuse sonnait dans sa voix.

– Ce n’est pas possible, Willie. Tout a changé… tout… Nous noussommes leurrés. Jeunes sots que nous étions, nous nous sommestrompés. Ce n’est plus la même chose, aujourd’hui, tout cela estfini.

Et elle s’en fut.

– Nettie ! – appelai-je, la poursuivant, dans l’étroiteallée, de mes protestations d’amour qui l’accompagnaient comme uneaccusation ; elle fuyait, comme honteuse d’une faute, je m’enrends bien compte aujourd’hui.

Elle refusa tout nouveau tête-à-tête.

Mais je vis que mes paroles avaient modifié du tout au toutl’attitude tranchante qu’elle avait eue. À plusieurs reprises,j’avais senti sur moi le regard de ses yeux noisette, empreintd’une expression toute nouvelle, faite d’étonnement et de pitiésympathique, comme si elle eût convenu à part elle qu’un lien nousunissait. Et pourtant, elle gardait une réserve défensive.

En rentrant dans la salle du cottage, je me pris à causer pluslibrement, avec son père, de la nationalisation des chemins de fer.De savoir que je pouvais encore exercer quelque action sur Nettiem’éclaira l’esprit et m’allégea le cœur, au point que j’émis desplaisanteries à l’intention de « Mimi ». Mme Stuart en conclut quemes affaires de cœur allaient mieux, hélas ! et sa bonnefigure en fut tout illuminée.

Quant à Nettie, elle demeura pensive, et parla peu. Elle étaittiraillée par des forces contradictoires que je ne pouvaisdeviner ; soudain, elle sortit furtivement de la pièce etmonta l’escalier.

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