Au temps de la comète

6.

Avec l’aube, ce réveil fit le tour de la Terre. Je vous ai ditcomment il me vint, et comment je marchai, émerveillé, à travers lechamp d’orge de Shaphambury. Il vint de même à tous. Non loin demoi, et pour quelque temps complètement oubliés, Verrall et Netties’éveillèrent, l’un auprès de l’autre, et chacun entendit, avanttout autre son, dans ce silence lumineux, la voix de l’autre. Etles locataires des maisonnettes, dispersés çà et là, s’éveillèrent.Les habitants endormis du village de Menton, sursautant, s’assirentdans leur lit, désorientés par cette nouveauté… Les ombrescontorsionnées du jardin, avec, sur leurs lèvres encore, l’hymneinterrompu, bougèrent parmi les fleurs, et se touchèrent timidementde la main, en pensant au Paradis… Ma mère se retrouva blottiecontre son lit, et se leva, forte de la conviction que sa prièreétait exaucée…

Nous nous éveillions à peine que déjà les soldats allemands,entassés entre les files de peupliers poudreux, sur la routed’Allarmont, bavardaient et partageaient leur café avec lestirailleurs français, qui leur avaient envoyé le salut, de leurstranchées bien dissimulées parmi les vignes. Une certaineperplexité avait envahi ces tireurs d’élite, qui s’étaient endormisdans l’attente anxieuse de la fusée-signal qui devait mettre enmouvement le mécanisme de leurs fusils à répétition. À la vue et aubruit de la foule sur la route, à leurs pieds, une même penséeétait venue à chacun d’eux, on ne pouvait tirer. Un conscrit, toutau moins, a raconté son réveil : combien bizarre lui avait paru lefusil qui reposait près de lui et comme il l’avait placé en traversde ses genoux pour le mieux examiner. Puis, à mesure que se faisaitplus clair le souvenir de l’usage auquel l’engin était destiné, ill’avait laissé tomber et s’était levé, pris d’une sorte d’horreurjoyeuse à l’idée du crime évité ; il considéra plusattentivement les hommes qu’il lui aurait fallu assassiner : «braves types », pensa-t-il, qui ne méritaient pas un pareil sort.La fusée-signal ne s’élança jamais vers le ciel. En bas, les hommesne reprirent pas leurs rangs, mais s’assirent sur le talus, ou segroupèrent en cercle pour bavarder, discutant, avec une incréduliténouvelle, les causes avouées de la guerre.

– L’Empereur ? – disaient-ils. – Quelle bêtise Nous sommesdes êtres civilisés. Qu’on trouve d’autres gens pour cette besogne.Buvons le café, maintenant.

Les officiers tenaient eux-mêmes leurs chevaux par la bride, etcausaient cordialement avec les hommes, insoucieux de ladiscipline. Quelques Français, sortant de leurs tranchées,descendirent le coteau, en flânant ; d’autres hésitaient, lefusil encore aux mains. Les troupes allemandes regardaientcurieusement ces derniers et l’on entendait :

– Eux, nous tirer dessus ? Allons donc. Ce sont derespectables citoyens français.

Un tableau de cette scène nous a été conservé, un tableau auxtons clairs et aux détails poussés, sous cette lumièrematinale ; il se trouve dans la Galerie des Batailles, parmiles ruines du vieux Nancy. On y voit l’uniforme du « troupier »d’autrefois, l’étrange képi, le ceinturon, les bottes, lacartouchière, la gourde, et l’espèce de sac de touriste que lessoldats portaient sur les épaules, tout un équipement étrange etcompliqué. Les soldats s’étaient éveillés un à un, et je me demandeparfois, au cas où l’éveil eût été simultané, si, par un effetd’habitude et de routine, la bataille ne se serait pas engagée.Mais les premiers à s’éveiller se mirent sur leur séant, et, jetantleurs regards autour d’eux avec étonnement, ils eurent le temps deréfléchir.

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