Au temps de la comète

3.

L’aurore fut le signe du réveil universel ; nous nousréveillâmes dans la splendeur du matin, éblouis d’une lumière quiétait de la joie. Il en fut partout de même ce fut un matinprolongé. Les rayons directs du soleil modifièrent, enl’atteignant, l’azote de notre atmosphère, qui ne prit qu’alors saforme permanente ; jusque-là les dormeurs reposèrent là où ilsétaient tombés. Dans cette phase intermédiaire, l’atmosphèreinerte, incapable de produire des effets soit vivifiants soitstupéfiants, avait perdu sa couleur verte, mais n’était pas encoredevenue le gaz qui vit en nous désormais.

Chacun traversa, je crois, la crise que j’avais subie, cetémerveillement, ce sentiment de nouveauté joyeuse ; la mémoireavait des lacunes, on se retrouvait difficilement soi-même. Assissur la barrière du champ d’orge, j’en étais arrivé à doutersérieusement de mon identité.

– Si je suis moi-même, – me disais-je, – pourquoi ne suis-je pasà la poursuite de Nettie ? Nettie est maintenant le dernier demes soucis, et avec elle s’en sont allés mes griefs. Pourquoi cettepassion m’a-t-elle quitté ? Pourquoi la pensée de Verrall melaisse-t-elle indifférent ?

Des doutes de ce genre furent communs, ce matin-là, à desmillions d’êtres.

C’est grâce, sans doute, à la familiarité des sensationscorporelles qu’on retrouve sa personnalité au sortir du sommeil, oude l’insensibilité ; or, ce matin là, toutes ces sensationsétaient modifiées, le processus chimique de la vie nes’accomplissait plus de même, le fonctionnement des nerfs s’opéraitautrement. La pensée, naguère fluctuante, incertaine, obscurcie parla passion, résultait désormais d’un jeu normal, bien réglé, sainet complet ; les sensations aussi se percevaient plus netteset plus subtiles, et je crois que, sans notre nouvel équilibremental, ces altérations sensorielles eussent amené la folie chezdes multitudes d’hommes ; nous étions heureusement en état decomprendre.

On éprouvait une délivrance, une exaltation définitive, effets,semblait-il, d’une légèreté et d’une clarté de cerveau plusgrandes, et la modification de nos sensations physiques, bien loinde produire un trouble mental, – tel que, sous l’ancien régime deschoses, l’amnésie ou la perte de son identité, – ne fit que nousdétacher davantage de la passion violente et des entraves de la vieégoïste.

Dans cette précédente narration de ma jeunesse sidouloureusement entravée, j’ai cherché à vous faire comprendrel’étroitesse, l’intensité, la confusion, la poussiéreuse ardeur dece vieux monde. Une heure après mon réveil, j’avais la certitudeque tout cela était fini ; telle fut aussi l’impressiongénérale. Les hommes se levaient, aspirant à pleins poumons l’airnouveau, et tout le passé les quittait comme un vieuxvêtement ; désormais, ils pouvaient pardonner, oublier,s’efforcer vers autre chose.

Ce n’était pas un miracle qui abolissait ainsi le vieux régime :c’était un changement dans les conditions matérielles etatmosphériques, un lien rompu… et pour quelques-uns cettedélivrance fut la mort. L’homme restait le même. Avant leChangement, à des instants de vie plus noble, en soi ou chez lesautres, à travers les récits historiques, la musique, les œuvreshautes et belles, à travers les épisodes héroïques et les contesmerveilleux, nous savions, même les plus vils d’entre nous, combienl’homme pouvait s’élever, combien tout homme pouvait parfoisgrandir et devenir pour ainsi dire surhumain. Mais l’airempoisonné, manquant des éléments nobles capables de provoquer cheztous ces moments de paroxysme, tout cela s’était modifié. Dansl’atmosphère différente, l’esprit de l’homme, engourdi jusque-là,oubliait le lourd cauchemar du mal, s’éveillait enfin pourcontempler, à travers des yeux plus purs, une vie régénérée qu’ilétait prêt à vivre.

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