Au temps de la comète

Chapitre 1LE CHANGEMENT

1.

Je crus sortir d’un sommeil bienfaisant.

Je ne m’éveillai pas en sursaut : mes paupières s’entrouvrirentet je restai étendu, considérant une rangée de coquelicots d’unextraordinaire rouge écarlate qui semblait flamber contre un cield’incendie. C’était un ciel d’aurore magnifique où, dans une merd’or vert, s’éparpillait un archipel d’îles violettes aux plagesvermeilles. Les coquelicots, avec leurs cous de cygne, leursboutons, leurs corolles enflammées, leurs pistils translucides etfièrement dressés, semblaient faits d’une substance lumineuse,façonnés même avec une sorte de lumière solide.

Je contemplai ces choses, longtemps et sans étonnement, maisbientôt mes regards distinguèrent, parmi les coquelicots, lehérissement des épis d’or vert des jeunes orges. Où pouvais-jeêtre ? Cette question se posait avec langueur dans mon esprit.Le silence régnait ; tout était silencieux comme la mort.

Je me sentais léger ; un doux bien-être s’infiltrait danstous mes membres. Je me trouvai couché sur le côté, dans un coinfoulé d’un champ d’orge, parsemé de fleurs et comme saturé delumière et de beauté. Assis maintenant sur mon séant, jeconsidérais, envahi de joie, le charme délicat d’un volubiliss’enroulant à une tige d’orge, et sur le sol l’entrelacement despimprenelles.

Où étais-je ? Quel était cet endroit ? Pourquoiavais-je dormi là ?… J’avais perdu toute mémoire. Mes membressemblaient nouveaux et ces orges et ces herbes si belles, cetteaube, si lente à s’éployer là-bas ! Tout était nouveau,insolite. Je faisais partie d’un vitrail aux nuanceséclatantes ; les rayons de l’ombre me traversaient, j’étaiscomme un personnage de quelque merveilleux tableau peint avec descouleurs de lumière et de joie.

Une brise caressante murmura parmi les épis d’orge, et vint enaide à ma pensée. Qui étais-je moi-même ? Levant ma maingauche, j’examinai ses callosités, la manchette effilochée, et toutcela était transfiguré comme par le pinceau de quelque Botticelliqui aurait peint un mendiant. Le bouton de nacre retint longtempsmon regard admirateur. Je me souvenais de Willie Leadford, lepropriétaire de ce bras et de cette main, comme s’il se fût agid’un autre.

Mais oui ! C’est bien ça ! Dans ses lignes générales,mon histoire, plus que le passé immédiat, commença à se dessinerdans ma mémoire, très réduite, brillante et lointaine, comme vue àtravers un microscope : Clayton, Swathinglea, ces bas-fonds, cesombres, tout cela reproduit avec la minutie d’un Dürer en couleurssombres et agréables… et au travers je revoyais ma destinée. Lesmains aux genoux, je me remémorai l’étrange période de passion quis’était conclue par des coups de feu, dans l’ombre croissante de laFin. Ces coups de feu m’émurent, et si grotesques me parurent-ilsque j’eus un sourire de pitié.

Pauvre petit être de colère et de misère ! Pauvre petitmonde coléreux et misérable !

J’eus un sourire de pitié, non seulement pour moi-même, maispour tous les cœurs embrasés, toutes les cervelles torturées,tendues, s’efforçant vers l’Espoir à travers la Douleur, et quidésormais avaient trouvé le repos sous la chute du brouillard et lasuffocation de la Comète. Parce qu’à coup sûr ce monde était bienfini… J’avais été si faible et si malheureux, et je me sentais àprésent si fort et si calme. J’étais indubitablement mort : aucunêtre vivant n’aurait pu jouir d’une si parfaite certitude du bien,de cette paix ferme et confiante. J’en avais terminé avec cettefièvre appelée la vie : j’étais mort, plus rien n’importait, ettoutes ces choses…

Une pensée m’arrêta.

Ce seraient donc ici les champs d’orge de Dieu, les calmes,silencieux champs de Dieu, semés de pavots immarcescibles,prodigues de paix à jamais ?

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer