813

3.

La cassette était vide !

Ce fut un coup de théâtre, énorme, imprévu. Après le succès descalculs effectués par Lupin, après la découverte si ingénieuse dusecret de l’horloge, l’Empereur, pour qui la réussite finale nefaisait plus de doute, semblait confondu.

En face de lui. Lupin, blême, les mâchoires contractées, l’œilinjecté de sang, grinçait de rage et de haine impuissante. Ilessuya son front couvert de sueur, puis saisit vivement lacassette, la retourna, l’examina, comme s’il espérait trouver undouble fond. Enfin, pour plus de certitude, dans un accès defureur, il l’écrasa, d’une étreinte irrésistible.

Cela le soulagea. Il respira plus à l’aise.

L’Empereur lui dit :

– Qui a fait cela ?

– Toujours le même. Sire, celui qui poursuit la même route quemoi et qui marche vers le même but, l’assassin de M.Kesselbach.

– Quand ?

– Cette nuit. Ah ! Sire, que ne m’avez-vous laissé libre ausortir de prison ! Libre, j’arrivais ici sans perdre uneheure. J’arrivais avant lui ! Avant lui je donnais de l’or àIsilda ! Avant lui je lisais le journal de Malreich, le vieuxdomestique français !

– Vous croyez donc que c’est par les révélations de cejournal ?

– Eh ! oui, Sire, il a eu le temps de les lire, lui. Et,dans l’ombre, je ne sais où, renseigné sur tous nos gestes, je nesais par qui ! il m’a fait endormir, afin de se débarrasser demoi, cette nuit.

– Mais le palais était gardé.

– Gardé par vos soldats, Sire. Est-ce que ça compte pour deshommes comme lui ? Je ne doute pas d’ailleurs que Waldemar aitconcentré ses recherches sur les communs, dégarnissant ainsi lesportes du palais.

– Mais le bruit de l’horloge ? ces douze coups dans lanuit ?

– Un jeu, Sire ! un jeu d’empêcher une horloge desonner !

– Tout cela me paraît bien invraisemblable.

– Tout cela me paraît rudement clair, à moi, Sire. S’il étaitpossible de fouiller dès maintenant les poches de tous vos hommes,ou de connaître toutes les dépenses qu’ils feront pendant l’annéequi va suivre, on en trouverait bien deux ou trois qui sont, àl’heure actuelle, possesseurs de quelques billets de banque,billets de banque français, bien entendu.

– Oh ! protesta Waldemar.

– Mais oui, mon cher comte, c’est une question de prix, etcelui-là n’y regarde pas. S’il le voulait, je suis sûr quevous-même…

L’Empereur n’écoutait pas, absorbé dans ses réflexions. Il sepromena de droite et de gauche à travers la chambre, puis fit unsigne à l’un des officiers qui se tenaient dans la galerie.

– Mon auto et qu’on s’apprête, nous partons.

Il s’arrêta, observa Lupin un instant, et, s’approchant du comte:

– Toi aussi, Waldemar, en route… Droit sur Paris, d’uneétape…

Lupin dressa l’oreille. Il entendit Waldemar qui répondait :

– J’aimerais mieux une douzaine de gardes en plus, avec cediable d’homme !

– Prends-les. Et fais vite, il faut que tu arrives cettenuit.

Lupin haussa les épaules et murmura :

– Absurde !

L’Empereur se retourna vers lui, et Lupin reprit :

– Eh ! oui, Sire, car Waldemar est incapable de me garder.Mon évasion est certaine, et alors…

Il frappa du pied violemment.

– Et alors, croyez-vous, Sire, que je vais perdre encore unefois mon temps ? Si vous renoncez à la lutte, je n’y renoncepas, moi. J’ai commencé, je finirai.

L’Empereur objecta :

– Je ne renonce pas, mais ma police se mettra en campagne.

Lupin éclata de rire.

– Que Votre Majesté m’excuse ! C’est si drôle ! lapolice de Sa Majesté ! mais elle vaut ce que valent toutes lespolices du monde, c’est-à-dire rien, rien du tout ! Non, Sire,je ne retournerai pas à la Santé. La prison, je m’en moque. Maisj’ai besoin de ma liberté contre cet homme, je la garde.

L’Empereur s’impatienta.

– Cet homme, vous ne savez même pas qui il est.

– Je le saurai, Sire. Et moi seul peux le savoir. Et il sait,lui, que je suis le seul qui peut le savoir. Je suis son seulennemi. C’est moi seul qu’il attaque. C’est moi qu’il voulaitatteindre, l’autre jour, avec la balle de son revolver. C’est moiqu’il lui suffisait d’endormir, cette nuit, pour être libre d’agirà sa guise. Le duel est entre nous. Le monde n’a rien à y voir.Personne ne peut m’aider, et personne ne peut l’aider. Nous sommesdeux, et c’est tout. Jusqu’ici la chance l’a favorisé. Mais en finde compte, il est inévitable, il est fatal que je remporte.

– Pourquoi ?

– Parce que je suis le plus fort.

– S’il vous tue ?

– Il ne me tuera pas. Je lui arracherai ses griffes, je leréduirai à l’impuissance. Et j’aurai les lettres. Il n’est pas depouvoir humain qui puisse m’empêcher de les reprendre.

Il parlait avec une conviction violente et un ton de certitudequi donnait, aux choses qu’il prédisait, l’apparence réelle dechoses déjà accomplies.

L’Empereur ne pouvait se défendre de subir un sentiment confus,inexplicable, où il y avait une sorte d’admiration et beaucoupaussi de cette confiance que Lupin exigeait d’une façon siautoritaire. Au fond il n’hésitait que par scrupule d’employer cethomme et d’en faire pour ainsi dire son allié. Et soucieux, nesachant quel parti prendre, il marchait de la galerie aux fenêtres,sans prononcer une parole.

À la fin il dit :

– Et qui nous assure que les lettres ont été volées cettenuit ?

– Le vol est daté. Sire.

– Qu’est-ce que vous dites ?

– Examinez la partie interne du fronton, qui dissimulait lacachette. La date y est inscrite à la craie blanche : minuit, 24août.

– En effet… en effet, murmura l’Empereur interdit… Commentn’ai-je pas vu ?

Et il ajouta, laissant percevoir sa curiosité :

– C’est comme pour ces deux N peints sur la muraille je nem’explique pas. C’est ici la salle de Minerve.

– C’est ici la salle où coucha Napoléon, Empereur des Français,déclara Lupin.

– Qu’en savez-vous ?

– Demandez à Waldemar, Sire. Pour moi, quand je parcourus lejournal du vieux domestique, ce fut un éclair. Je compris queSholmès et moi, nous avions fait fausse route. Apoon, le motincomplet que traça le grand-duc Hermann à son lit de mort, n’estpas une contraction du mot Apollon, mais du mot Napoléon.

– C’est juste vous avez raison, dit l’Empereur les mêmes lettresse retrouvent dans les deux mots, et suivant le même ordre. Il estévident que le grand-duc a voulu écrire Napoléon. Mais ce chiffre813 ?

– Ah ! c’est là le point qui me donna le plus de mal àéclaircir. J’ai toujours eu l’idée qu’il fallait additionner lestrois chiffres 8, 1 et 3, et le nombre 12 ainsi obtenu me parutaussitôt s’appliquer à cette salle qui est la douzième de lagalerie. Mais cela ne suffisait pas. Il devait y avoir autre chose,autre chose que mon cerveau affaibli ne pouvait parvenir àformuler. La vue de l’horloge, de cette horloge située justementdans la salle Napoléon, me fut une révélation. Le nombre 12signifiait évidemment la douzième heure. Midi ! minuit !N’est-ce pas un instant plus solennel et que l’on choisit plusvolontiers ? Mais pourquoi ces trois chiffres 8, 1 et 3,plutôt que d’autres qui auraient fourni le même total ?

« C’est alors que je pensai à faire sonner l’horloge unepremière fois, à titre d’essai. Et c’est en la faisant sonner queje vis que les pointes de la première, de la troisième et de lahuitième heure, étaient mobiles. J’obtenais donc trois chiffres, 1,3 et 8, qui, placés dans un ordre fatidique, donnaient le nombre813. Waldemar poussa les trois pointes. Le déclenchement seproduisit. Votre Majesté connaît le résultat…

« Voilà, Sire, l’explication de ce mot mystérieux, et de cestrois chiffres 813 que le grand-duc écrivit de sa main d’agonisant,et grâce auxquels il avait l’espoir que son fils retrouverait unjour le secret de Veldenz, et deviendrait possesseur des fameuseslettres qu’il y avait cachées. »

L’Empereur avait écouté avec une attention passionnée, de plusen plus surpris par tout ce qu’il observait en cet hommed’ingéniosité, de clairvoyance, de finesse, de volontéintelligente.

– Waldemar ? dit-il.

– Sire ?

Mais au moment où il allait parler, des exclamations s’élevèrentdans la galerie. Waldemar sortit et rentra.

– C’est la folle, Sire, que l’on veut empêcher de passer.

– Qu’elle vienne, s’écria Lupin vivement, il faut qu’ellevienne, Sire.

Sur un geste de l’Empereur, Waldemar alla chercher Isilda. Àl’entrée de la jeune fille, ce fut de la stupeur. Sa figure, sipâle, était couverte de taches noires. Ses traits convulsésmarquaient la plus vive souffrance. Elle haletait, les deux mainscrispées contre sa poitrine.

– Oh ! fit Lupin avec épouvante.

– Qu’y a-t-il ? demanda l’Empereur.

– Votre médecin. Sire ! qu’on ne perde pas uneminute !

Et s’avançant :

– Parle, Isilda Tu as vu quelque chose ? Tu as quelquechose à dire ?

La jeune fille s’était arrêtée, les yeux moins vagues, commeilluminés par la douleur. Elle articula des sons, aucuneparole.

– Ecoute, dit Lupin, réponds oui ou non… un mouvement de tête…Tu l’as vu ? Tu sais où il est ? Tu sais qui ilest ? Ecoute, si tu ne réponds pas…

Il réprima un geste de colère. Mais, soudain, se rappelantl’épreuve de la veille, et qu’elle semblait plutôt avoir gardéquelque mémoire visuelle du temps où elle avait toute sa raison, ilinscrivit sur le mur blanc un L et un M majuscules.

Elle tendit les bras vers les lettres et hocha la tête comme sielle approuvait.

– Et après ? fit Lupin.Après ! Ecris à ton tour.

Mais elle poussa un cri affreux et se jeta par terre avec deshurlements.

Puis, tout d’un coup, le silence, l’immobilité. Un soubresautencore. Et elle ne bougea plus.

– Morte ? dit l’Empereur.

– Empoisonnée, Sire.

– Ah ! la malheureuse… Et par qui ?

– Par lui, Sire. Elle le connaissait sans doute. Il aura eu peurde ses révélations.

Le médecin arrivait. L’Empereur lui montra Isilda. Puis,s’adressant à Waldemar :

– Tous tes hommes en campagne… Qu’on fouille la maison… Untélégramme aux gares de la frontière…

Il s’approcha de Lupin :

– Combien de temps vous faut-il pour reprendre leslettres ?

– Un mois, Sire…

– Bien, Waldemar vous attendra ici. Il aura mes ordres et pleinspouvoirs pour vous accorder ce que vous désirez.

– Ce que je veux, Sire, c’est la liberté.

– Vous êtes libre…

Lupin le regarda s’éloigner et dit entre ses dents :

– La liberté, d’abord… Et puis, quand je t’aurai rendu teslettres, ô Majesté, une petite poignée de mains, parfaitement, unepoignée de mains d’Empereur à cambrioleur pour te prouver que tu astort de faire le dégoûté avec moi. Car enfin, c’est un peuraide ! Voilà un monsieur pour qui j’abandonne mesappartements de Santé-Palace, à qui je rends service, et qui sepermet de petits airs… Si jamais je le repince, ceclient-là !

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