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4.

– Un pneumatique pour vous, patron, lui dit Doudeville un soirvers huit heures, en le rejoignant rue Delaizement.

Lupin déchira. Mme Kesselbach le suppliait de venir à sonsecours. À la tombée du jour, deux hommes avaient stationné sousses fenêtres et l’un d’eux avait dit : « Veine, on n’y a vu que dufeu… Alors, c’est entendu, nous ferons le coup cette nuit » Elleétait descendue et avait constaté que le volet de l’office nefermait plus, ou du moins, qu’on pouvait l’ouvrir del’extérieur.

– Enfin, dit Lupin, c’est l’ennemi lui-même qui nous offre labataille. Tant mieux ! J’en ai assez de faire le pied de gruesous les fenêtres de Malreich.

– Est-ce qu’il est là, en ce moment ?

– Non, il m’a encore joué un tour de sa façon dans Paris.J’allais lui en jouer un de la mienne. Mais tout d’abord,écoute-moi bien, Doudeville. Tu vas réunir une dizaine de noshommes les plus solides… tiens, prends Marco et l’huissier Jérôme.Depuis l’histoire du Palace-Hôtel, je leur avais donné quelquesvacances… Qu’ils viennent pour cette fois. Nos hommes rassemblés,mène-les rue des Vignes. Le père Charolais et son fils doivent déjàmonter la faction. Tu t’entendras avec eux, et, à onze heures etdemie, tu viendras me rejoindre au coin de la rue des Vignes et dela rue Raynouard. De là, nous surveillerons la maison.

Doudeville s’éloigna. Lupin attendit encore une heure jusqu’à ceque la paisible rue Delaizement fût tout à fait déserte, puis,voyant que Léon Massier ne rentrait pas, il se décida et s’approchadu pavillon.

Personne autour de lui… Il prit son élan et bondit sur le rebordde pierre qui soutenait la grille du jardin. Quelques minutesaprès, il était dans la place.

Son projet consistait à forcer la porte de la maison et àfouiller les chambres, afin de trouver les fameuses lettres del’Empereur dérobées par Malreich à Veldenz. Mais il pensa qu’unevisite à la remise était plus urgente.

Il fut très surpris de voir qu’elle n’était point fermée et deconstater ensuite, à la lueur de sa lanterne électrique, qu’elleétait absolument vide et qu’aucune porte ne trouait le mur dufond.

Il chercha longtemps, sans plus de succès. Mais dehors, ilaperçut une échelle, dressée contre la remise, et qui servaitévidemment à monter dans une sorte de soupente pratiquée sous letoit d’ardoises.

De vieilles caisses, des bottes de paille, des châssis dejardinier encombraient cette soupente, ou plutôt semblaientl’encombrer, car il découvrit facilement un passage qui leconduisit au mur.

Là, il se heurta à un châssis, qu’il voulut déplacer.

Ne le pouvant pas, il l’examina de plus près et s’avisa, d’abordqu’il était fixé à la muraille, et, ensuite, qu’un des carreauxmanquait.

Il passa le bras : c’était le vide. Il projeta vivement la lueurde la lanterne et regarda : c’était un grand hangar, une remiseplus vaste que celle du pavillon et remplie de ferraille etd’objets de toute espèce.

« Nous y sommes, se dit Lupin, cette lucarne est pratiquée dansla remise du Brocanteur, tout en haut, et c’est de là que Louis deMalreich voit, entend et surveille ses complices, sans être vu nientendu par eux. Je m’explique maintenant qu’ils ne connaissent pasleur chef. »

Renseigné, il éteignit sa lumière, et il se disposait à partirquand une porte s’ouvrit en face de lui et tout en bas. Quelqu’unentra. Une lampe fut allumée. Il reconnut le Brocanteur.

Il résolut alors de rester, puisque aussi bien l’expédition nepouvait avoir lieu tant que cet homme serait là.

Le Brocanteur avait sorti deux revolvers de sa poche.

Il vérifia leur fonctionnement et changea les balles tout ensifflotant un refrain de café-concert.

Une heure s’écoula de la sorte. Lupin commençait à s’inquiéter,sans se résoudre pourtant à partir.

Des minutes encore passèrent, une demi-heure, une heure…

Enfin, l’homme dit à haute voix :

– Entre.

Un des bandits se glissa dans la remise, et, coup sur coup, ilen arriva un troisième, un quatrième…

– Nous sommes au complet, dit le Brocanteur. Dieudonné et leJoufflu nous rejoignent là-bas. Allons, pas de temps à perdre… Vousêtes armés ?

– Jusqu’à la gauche.

– Tant mieux. Ce sera chaud.

– Comment sais-tu ça, le Brocanteur ?

– J’ai vu le chef… Quand je dis que je l’ai vu… Non… Enfin, ilm’a parlé…

– Oui, fit un des hommes, dans l’ombre, comme toujours, au coind’une rue. Ah ! j’aimais mieux les façons d’Altenheim. Aumoins, on savait ce qu’on faisait.

– Ne le sais-tu pas ? riposta le Brocanteur… On cambriolele domicile de la Kesselbach.

– Et les deux gardiens ? les deux bonshommes qu’à postésLupin ?

– Tant pis pour eux. Nous sommes sept. Ils n’auront qu’à setaire.

– Et la Kesselbach ?

– Le bâillon d’abord, puis la corde, et on l’amène ici… Tiens,sur ce vieux canapé… Là, on attendra les ordres.

– C’est bien payé ?

– Les bijoux de la Kesselbach, d’abord.

– Oui, si ça réussit, mais je parle du certain.

– Trois billets de cent francs, d’avance, pour chacun de nous.Le double après.

– Tu as l’argent ?

– Oui.

– À la bonne heure. On peut dire ce qu’on voudra, n’empêche que,pour ce qui est du paiement, il n’y en a pas deux comme ce type-là.Et, d’une voix si basse que Lupin la perçut à peine :

– Dis donc, le Brocanteur, si on est forcé de jouer du couteau,il y a une prime ?

– Toujours la même. Deux mille.

– Si c’est Lupin ?

– Trois mille.

– Ah ! si nous pouvions l’avoir, celui-là.

Les uns après les autres ils quittèrent la remise.

Lupin entendit encore ces mots du Brocanteur :

– Voilà le plan d’attaque. On se sépare en trois groupes. Uncoup de sifflet, et chacun va de l’avant…

En hâte Lupin sortit de sa cachette, descendit l’échelle,contourna le pavillon sans y entrer, et repassa par-dessus lagrille.

– Le Brocanteur a raison, ça va chauffer Ah ! c’est à mapeau qu’ils en veulent ! Une prime pour Lupin ! Lescanailles ! Il franchit l’octroi et sauta dans untaxi-auto.

– Rue Raynouard.

Il se fit arrêter à trois cents pas de la rue des Vignes etmarcha jusqu’à l’angle des deux rues.

À sa grande stupeur, Doudeville n’était pas là.

« Bizarre, se dit Lupin, il est plus de minuit pourtant… Ça mesemble louche, cette affaire-là. »

Il patienta dix minutes, vingt minutes. À minuit et demi,personne. Un retard devenait dangereux. Après tout, si Doudevilleet ses amis n’avaient pu venir, Charolais, son fils, et lui, Lupin,suffiraient à repousser l’attaque, sans compter l’aide desdomestiques.

Il avança donc. Mais deux hommes lui apparurent qui cherchaientà se dissimuler dans l’ombre d’un renfoncement.

« Bigre, se dit-il, c’est l’avant-garde de la bande, Dieudonnéet le Joufflu. Je me suis laissé bêtement distancer. »

Là, il perdit encore du temps. Marcherait-il droit sur eux pourles mettre hors de combat et pour pénétrer ensuite dans la maisonpar la fenêtre de l’office, qu’il savait libre ? C’était leparti le plus prudent, qui lui permettait en outre d’emmenerimmédiatement Mme Kesselbach et de la mettre hors de cause.

Oui, mais c’était aussi l’échec de son plan, et c’était manquercette unique occasion de prendre au piège la bande entière, et,sans aucun doute aussi, Louis de Malreich.

Soudain un coup de sifflet vibra quelque part, de l’autre côtéde la maison.

Etaient-ce les autres, déjà ? Et une contre-attaqueallait-elle se produire par le jardin ?

Mais, au signal donné, les deux hommes avaient enjambé lafenêtre. Ils disparurent.

Lupin bondit, escalada le balcon et sauta dans l’office. Aubruit des pas, il jugea que les assaillants étaient passés dans lejardin, et ce bruit était si net qu’il fut tranquille. Charolais etson fils ne pouvaient pas ne pas avoir entendu.

Il monta donc. La chambre de Mme Kesselbach se trouvait sur lepalier. Vivement il entra.

À la clarté d’une veilleuse, il aperçut Dolorès, sur un divan,évanouie. Il se précipita sur elle, la souleva, et, d’une voiximpérieuse, l’obligeant de répondre :

– Ecoutez… Charolais ? Son fils ?… Oùsont-ils ?

Elle balbutia :

– Comment ? mais partis…

– Quoi ! partis !

– Vous m’avez écrit il y a une heure, un message téléphonique…Il ramassa près d’elle un papier bleu et lut :

« Renvoyez immédiatement les deux gardiens et tous mes hommes,je les attends au Grand-Hôtel. Soyez sans crainte.

– Tonnerre ! et vous avez cru ! Mais vosdomestiques ?

– Partis.

Il s’approcha de la fenêtre. Dehors, trois hommes venaient del’extrémité du jardin.

Par la fenêtre de la chambre voisine, qui donnait sur la rue, ilen vit deux autres, dehors.

Et il songea à Dieudonné, au Joufflu, à Louis de Malreichsurtout, qui devait rôder invisible et formidable.

– Bigre, murmura-t-il, je commence à croire que je suisfichu.

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