813

2.

Le lendemain même. Me Quimbel, tout joyeux, demandait Lupin auparloir des avocats.

C’était un homme âgé, qui portait des lunettes dont les verrestrès grossissants lui faisaient des yeux énormes. Il posa sonchapeau sur la table, étala sa serviette et adressa tout de suiteune série de questions qu’il avait préparées soigneusement.

Lupin y répondit avec une extrême complaisance, se perdant mêmeen une infinité de détails que Me Quimbel notait aussitôt sur desfiches épinglées les unes au-dessus des autres.

– Et alors, reprenait l’avocat, la tête penchée sur le papier,vous dites qu’à cette époque…

– Je dis qu’à cette époque, répliquait Lupin…

Insensiblement, par petits gestes, tout naturels, il s’étaitaccoudé à la table. Il baissa le bras peu à peu, glissa la mainsous le chapeau de M. Quimbel, introduisit son doigt à l’intérieurdu cuir, et saisit une de ces bandes de papier pliées en long quel’on insère entre le cuir et la doublure quand le chapeau est tropgrand.

Il déplia le papier. C’était un message de Doudeville, rédigé ensignes convenus.

« Je suis engagé comme valet de chambre chez Me Quimbel. Vouspouvez sans crainte me répondre par la même voie.

« C’est L.M. l’assassin, qui a dénoncé le truc des enveloppes.Heureusement que vous aviez prévu le coup ! »

Suivait un compte-rendu minutieux de tous les faits etcommentaires suscités par les divulgations de Lupin.

Lupin sortit de sa poche une bande de papier analogue contenantses instructions, la substitua doucement à l’autre, et ramena samain vers lui. Le tour était joué.

Et la correspondance de Lupin avec le Grand Journal reprit sansplus tarder.

« Je m’excuse auprès du public d’avoir manqué à ma promesse. Leservice postal de Santé-Palace est déplorable.

« D’ailleurs, nous touchons au terme. J’ai en main tous lesdocuments qui établissent la vérité sur des bases indiscutables.J’attendrai pour les publier. Qu’on sache néanmoins ceci : parmiles lettres il en est qui furent adressées au Chancelier par celuiqui se déclarait alors son élève et son admirateur, et qui devait,plusieurs années après, se débarrasser de ce tuteur gênant etgouverner par lui-même.

« Me fais-je suffisamment comprendre ? »

Et le lendemain :

« Ces lettres furent écrites pendant la maladie du dernierEmpereur. Est-ce assez dire toute leur importance ? »

Quatre jours de silence, et puis cette dernière note dont on n’apas oublié le retentissement :

« Mon enquête est finie. Maintenant je connais tout. À force deréfléchir, j’ai deviné le secret de la cachette.

« Mes amis vont se rendre à Veldenz, et, malgré tous lesobstacles, pénétreront dans le château par une issue que je leurindique.

« Les journaux publieront alors la photographie de ces lettres,dont je connais déjà la teneur, mais que je veux reproduire dansleur texte intégral.

« Cette publication certaine, inéluctable, aura lieu dans deuxsemaines, jour pour jour, le 22 août prochain.

« D’ici là, je me tais et j’attends. »

Les communications au Grand Journal furent, en effet,interrompues, mais Lupin ne cessa point de correspondre avec sesamis, par la voie « du chapeau », comme ils disaient entre eux.C’était si simple ! Aucun danger. Qui pourrait jamaispressentir que le chapeau de Me Quimbel servait à Lupin de boîteaux lettres ?

Tous les deux ou trois matins, à chaque visite, le célèbreavocat apportait fidèlement le courrier de son client, lettres deParis, lettres de province, lettres d’Allemagne, tout cela réduit,condensé par Doudeville, en formules brèves et en langagechiffré.

Et une heure après, Me Quimbel remportait gravement les ordresde Lupin.

Or, un jour, le directeur de la Santé reçut un messagetéléphonique signé L.M., l’avisant que Me Quimbel devait, selontoutes probabilités, servir à Lupin de facteur inconscient, etqu’il y aurait intérêt à surveiller les visites du bonhomme.

Le directeur avertit Me Quimbel, qui résolut alors de se faireaccompagner par son secrétaire.

Ainsi cette fois encore, malgré tous les efforts de Lupin,malgré sa fécondité d’invention, malgré les miracles d’ingéniositéqu’il renouvelait après chaque défaite, une fois encore Lupin setrouvait séparé du monde extérieur par le génie infernal de sonformidable adversaire.

Et il s’en trouvait séparé à l’instant le plus critique, à laminute solennelle où, du fond de sa cellule, il jouait son dernieratout contre les forces coalisées qui l’accablaient siterriblement.

Le 13 août, comme il était assis en face des deux avocats, sonattention fut attirée par un journal qui enveloppait certainspapiers de Me Quimbel. Comme titre, en gros caractères : « 813».

Comme sous-titre : Un nouvel assassinat. L’agitation enAllemagne. Le secret d’Apoon serait-il découvert ?

Lupin pâlit d’angoisse. En dessous il avait lu ces mots :

« Deux dépêches sensationnelles nous arrivent en dernièreheure.

« On a retrouvé près d’Augsbourg le cadavre d’un vieillardégorgé d’un coup de couteau. Son identité a pu être établie : c’estle sieur Steinweg, dont il a été question dans l’affaireKesselbach.

« D’autre part, on nous télégraphie que le fameux détectiveanglais, Herlock Sholmès, a été mandé en toute hâte, à Cologne. Ils’y rencontrera avec l’Empereur, et, de là, ils se rendront tousdeux au château de Veldenz.

« Herlock Sholmès aurait pris l’engagement de découvrir lesecret de l’Apoon.

« S’il réussit, ce sera l’avortement impitoyable del’incompré-hensible campagne qu’Arsène Lupin mène depuis un mois desi étrange façon. »

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