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2.

Le nom du célèbre aventurier sembla faire sur M. Kesselbach lameilleure impression. Lupin ne manqua pas de le remarquer ets’écria :

– Ah ! ah ! cher monsieur, vous respirez ! ArsèneLupin est un cambrioleur délicat, le sang lui répugne, il n’ajamais commis d’autre crime que de s’approprier le bien d’autruiune peccadille, quoi ! et vous vous dites qu’il ne va pas secharger la conscience d’un assassinat inutile. D’accord… Mais votresuppression sera-t-elle inutile ? Tout est là. En ce moment,je vous jure que je ne rigole pas. Allons-y, camarade.

Il rapprocha sa chaise du fauteuil, relâcha le bâillon de sonprisonnier, et, nettement :

– Monsieur Kesselbach, le jour même de ton arrivée à Paris, tuentrais en relation avec le nommé Barbareux, directeur d’une agencede renseignements confidentiels, et, comme tu agissais à l’insu deton secrétaire Chapman, le sieur Barbareux, quand il communiquaitavec toi, par lettre ou par téléphone, s’appelait « Le Colonel ».Je me hâte de te dire que Barbareux est le plus honnête homme dumonde. Mais j’ai la chance de compter un de ses employés parmi mesmeilleurs amis. C’est ainsi que j’ai su le motif de ta démarcheauprès de Barbareux, et c’est ainsi que j’ai été amené à m’occuperde toi, et à te rendre, grâce à de fausses clés, quelques visitesdomiciliaires au cours desquelles, hélas ! je n’ai pas trouvéce que je voulais.

Il baissa la voix, et, les yeux dans les yeux de son prisonnier,scrutant son regard, cherchant sa pensée obscure, il articula :

– Monsieur Kesselbach, tu as chargé Barbareux de découvrir dansles bas-fonds de Paris un homme qui porte, ou a porté, le nom dePierre Leduc, et dont voici le signalement sommaire : taille, unmètre soixante-quinze, blond, moustaches. Signe particulier : à lasuite d’une blessure, l’extrémité du petit doigt de la main gauchea été coupée. En outre, une cicatrice presque effacée à la jouedroite. Tu sembles attacher à la découverte de cet homme uneimportance énorme, comme s’il pouvait en résulter pour toi desavantages considérables. Qui est cet homme ?

– Je ne sais pas.

La réponse fut catégorique, absolue. Savait-il ou ne savait-ilpas ? Peu importait. L’essentiel, c’est qu’il était décidé àne point parler.

– Soit, fit son adversaire, mais tu as sur lui desrenseignements plus détaillés que ceux que tu as fournis àBarbareux ?

– Aucun.

– Tu mens, monsieur Kesselbach. Deux fois, devant Barbareux, tuas consulté des papiers enfermés dans l’enveloppe de maroquin.

– En effet.

– Alors, cette enveloppe ?

– Brûlée.

Lupin tressaillit de rage. Evidemment, l’idée de la torture etdes commodités qu’elle offrait traversa de nouveau son cerveau.

– Brûlée ? mais la cassette… avoue donc… avoue donc qu’elleest au Crédit Lyonnais ?

– Oui.

– Et qu’est-ce qu’elle contient ?

– Les deux cents plus beaux diamants de ma collectionparticulière.

Cette affirmation ne sembla pas déplaire à l’aventurier.

– Ah ! ah ! les deux cents plus beaux diamants !Mais dis donc, c’est une fortune… Oui, ça te fait sourire… Pourtoi, c’est une bagatelle. Et ton secret vaut mieux que ça… Pourtoi, oui, mais pour moi ?

Il prit un cigare, alluma une allumette qu’il laissa éteindremachinalement et resta quelque temps pensif, immobile.

Les minutes passaient.

Il se mit à rire.

– Tu espères bien que l’expédition ratera, et qu’on n’ouvrirapas le coffre ? Possible, mon vieux. Mais alors il faudra mepayer mon dérangement. Je ne suis pas venu ici pour voir la têteque tu fais sur un fauteuil… Les diamants, puisque diamants il y a…Sinon, l’enveloppe de maroquin… Le dilemme est posé…

Il consulta sa montre.

– Une demi-heure… Bigre ! Le destin se fait tirer l’oreilleMais ne rigole donc pas, monsieur Kesselbach. Foi d’honnête homme,je ne rentrerai pas bredouille… Enfin !

C’était la sonnerie du téléphone. Lupin s’empara vivement durécepteur, et changeant le timbre de sa voix, imitant lesintonations rudes de son prisonnier :

– Oui, c’est moi, Rudolf Kesselbach… Ah ! bien,mademoiselle, mettez-moi en communication… C’est toi, Marco ?Parfait… Ça s’est bien passé ? À la bonne heure… Pasd’accrocs ? Compliments, l’enfant… Alors, qu’est-ce qu’on aramassé ? La cassette d’ébène… Pas autre chose ? aucunpapier ? Tiens, tiens ! Et dans la cassette ?Sont-ils beaux, ces diamants ? Parfait, parfait… Une minute,Marco, que je réfléchisse… tout ça, vois-tu, si je te disais monopinion… Tiens, ne bouge pas reste à l’appareil…

Il se retourna :

– Monsieur Kesselbach, tu y tiens à tes diamants ?

– Oui.

– Tu me les rachèterais ?

– Peut-être.

– Combien ? Cinq cent mille ?

– Cinq cent mille oui…

– Seulement, voilà le hic… Comment se fera l’échange ? Unchèque ? Non, tu me roulerais ou bien je te roulerais… Ecoute,après-demain matin, passe au Lyonnais, prends tes cinq centsbillets et va te promener au Bois, près d’Auteuil… moi, j’aurai lesdiamants dans un sac, c’est plus commode, la cassette se voittrop…

– Non, non… la cassette… je veux tout…

– Ah ! fit Lupin, éclatant de rire, tu es tombé dans lepanneau… Les diamants, tu t’en fiches ça se remplace… Mais lacassette, tu y tiens comme à ta peau… Eh bien ! tu l’auras, tacassette, foi d’Arsène tu l’auras, demain matin par colispostal !

Il reprit le téléphone.

– Marco, tu as la boîte sous les yeux ? Qu’est-ce qu’elle ade particulier ? De l’ébène, incrusté d’ivoire oui, je connaisça… style japonais, faubourg Saint-Antoine… Pas de marque ?Ah ! une petite étiquette ronde, bordée de bleu, et portant unnuméro… oui, une indication commerciale… aucune importance. Et ledessous de la boîte, est-il épais ? Bigre ! pas de doublefond, alors… Dis donc, Marco, examine les incrustations d’ivoiresur le dessus ou plutôt, non, le couvercle.

Il exulta de joie.

– Le couvercle ! c’est ça, Marco ! Kesselbach a clignéde l’œil Nous brûlons ! Ah ! mon vieux Kesselbach, tu nevoyais donc pas que je te guignais. Fichu maladroit !

Et, revenant à Marco :

– Eh bien ! où en es-tu ? Une glace à l’intérieur ducouvercle ? Est-ce qu’elle glisse ? Y a-t-il desrainures ? Non… eh bien ! casse-la… Mais oui, je te disde la casser… Cette glace n’a aucune raison d’être elle a étérajoutée.

Il s’impatienta :

– Mais, imbécile, ne te mêle pas de ce qui ne te regarde pas…Obéis. Il dut entendre le bruit que Marco faisait, au bout du fil,pour briser le miroir, car il s’écria, triomphalement :

– Qu’est-ce que je te disais, monsieur Kesselbach, que la chasseserait bonne ? Allô ? Ça y est ? Eh bien ? Unelettre ? Victoire ! Tous les diamants du Cap et le secretdu bonhomme !

Il décrocha le second récepteur, appliqua soigneusement les deuxplaques sur ses oreilles, et reprit :

– Lis, Marco, lis doucement… L’enveloppe d’abord… Bon…Maintenant, répète.

Lui-même répéta :

– Copie de la lettre contenue dans la pochette de maroquinnoir.

– Et après ? Déchire l’enveloppe, Marco. Vous permettez,monsieur Kesselbach ? Ça n’est pas très correct, mais enfin…Vas-y, Marco, M. Kesselbach t’y autorise. Ça y est ? Ehbien ! lis.

Il écouta, puis ricanant :

– Fichtre ! ce n’est pas aveuglant. Voyons, je résume. Unesimple feuille de papier pliée en quatre et dont les plisparaissent tout neufs… Bien… En haut et à droite de cette feuille,ces mots : un mètre soixante-quinze, petit doigt gauche coupé, etc.Oui, c’est le signalement du sieur Pierre Leduc. De l’écriture deKesselbach, n’est-ce pas ? Bien… Et au milieu de la feuille cemot, en lettres capitales d’imprimerie : APOON…

« Marco, mon petit, tu vas laisser le papier tranquille, tu netoucheras pas à la cassette ni aux diamants. Dans dix minutes j’enaurai fini avec mon bonhomme. Dans vingt minutes je te rejoins…Ah ! à propos, tu m’as envoyé l’auto ? Parfait. À tout àl’heure.

Il remit l’appareil en place, passa dans le vestibule, puis dansla chambre, s’assura que le secrétaire et le domestique n’avaientpas desserré leurs liens et que, d’autre part, ils ne risquaientpas d’être étouffés par leurs bâillons, et il revint vers sonprisonnier.

Il avait une expression résolue, implacable.

– Fini de rire, Kesselbach. Si tu ne parles pas, tant pis pourtoi. Es-tu décidé ?

– À quoi ?

– Pas de bêtises. Dis ce que tu sais.

– Je ne sais rien.

– Tu mens. Que signifie ce mot Apoon ?

– Si je le savais, je ne l’aurais pas inscrit.

– Soit, mais à qui, à quoi se rapporte-t-il ? Où l’as-tucopié ? D’où cela te vient-il ?

M. Kesselbach ne répondit pas. Lupin reprit, plus nerveux, plussaccadé :

– Ecoute, Kesselbach, je vais te faire une proposition. Siriche, si gros monsieur que tu sois, il n’y a pas entre toi et moitant de différence. Le fils du chaudronnier d’Augsbourg et ArsèneLupin, prince des cambrioleurs, peuvent s’accorder sans honte nipour l’un ni pour l’autre. Moi, je vole en appartement ; toi,tu voles en Bourse. Tout ça, c’est kif-kif. Donc, voilà,Kesselbach. Associons-nous pour cette affaire. J’ai besoin de toipuisque je l’ignore. Tu as besoin de moi parce que, tout seul, tun’en sortiras pas. Barbareux est un niais. Moi, je suis Lupin. Çacolle ?

Un silence. Lupin insista, d’une voix qui tremblait :

– Réponds, Kesselbach, ça colle ? Si oui, en quarante-huitheures, je te le retrouve, ton Pierre Leduc. Car il s’agit bien delui, hein ? C’est ça, l’affaire ? Mais répondsdonc ! Qu’est-ce que c’est que cet individu ? Pourquoi lecherches-tu ? Que sais-tu de lui ? Je veux savoir.

Il se calma subitement, posa sa main sur l’épaule de l’Allemandet, d’un ton sec :

– Un mot seulement. Oui ou non ?

– Non.

Il tira du gousset de Kesselbach un magnifique chronomètre en oret le plaça sur les genoux du prisonnier.

Il déboutonna le gilet de Kesselbach, écarta la chemise,découvrit la poitrine, et, saisissant un stylet d’acier, à mancheniellé d’or, qui se trouvait près de lui, sur la table, il enappliqua la pointe à l’endroit où les battements du cœur faisaientpalpiter la chair nue.

– Une dernière fois ?

– Non.

– Monsieur Kesselbach, il est trois heures moins huit. Si danshuit minutes vous n’avez pas répondu, vous êtes mort.

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