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2.

Durant quelques minutes, il demeura devant elle, anxieux, lecerveau en déroute.

Il se rappelait le silence de Steinweg, et la terreur duvieillard quand il lui avait demandé la révélation du secretterrible. Dolorès savait, elle aussi, et elle se taisait.

Sans un mot, il sortit.

Le grand air, l’espace, lui firent du bien. Il franchit les mursdu parc, et longtemps erra à travers la campagne. Et il parlait àhaute voix :

– Qu’y a-t-il ? Que se passe-t-il ? Voilà des mois etdes mois que, tout en bataillant et en agissant, je fais danser aubout de leurs cordes tous les personnages qui doivent concourir àl’exécution de mes projets ; et, pendant ce temps, j’aicomplètement oublié de me pencher sur eux et de regarder ce quis’agite dans leur cœur et dans leur cerveau. Je ne connais pasPierre Leduc, je ne connais pas Geneviève, je ne connais pasDolorès… Et je les ai traités en pantins, alors que ce sont despersonnages vivants. Et aujourd’hui, je me heurte à desobstacles

Il frappa du pied et s’écria :

– À des obstacles qui n’existent pas ! L’état d’âme deGeneviève et de Pierre, je m’en moque, j’étudierai cela plus tard,à Veldenz, quand j’aurai fait leur bonheur. Mais Dolorès Elleconnaît Malreich, et elle n’a rien dit ! Pourquoi ?Quelles relations les unissent ? A-t-elle peur de lui ?A-t-elle peur qu’il ne s’évade et ne vienne se venger d’uneindiscrétion ?

À la nuit, il gagna le chalet qu’il s’était réservé au fond duparc, et il y dîna de fort mauvaise humeur, pestant contre Octavequi le servait, ou trop lentement, ou trop vite.

– J’en ai assez, laisse-moi seul… Tu ne fais que des bêtisesaujourd’hui… Et ce café ? il est ignoble.

Il jeta la tasse à moitié pleine et, durant deux heures sepromena dans le parc, ressassant les mêmes idées. À la fin, unehypothèse se précisait en lui :

« Malreich s’est échappé de prison, il terrorise Mme Kesselbach,il sait déjà par elle l’incident du miroir. »

Lupin haussa les épaules :

« Et cette nuit, il va venir te tirer par les pieds. Allons, jeradote. Le mieux est de me coucher. »

Il rentra dans sa chambre et se mit au lit. Aussitôt, ils’assoupit, d’un lourd sommeil agité de cauchemars. Deux fois il seréveilla et voulut allumer les bougies, et deux fois il retomba,comme terrassé.

Il entendait sonner les heures cependant à l’horloge du village,ou plutôt il croyait les entendre, car il était plongé dans unesorte de torpeur où il lui semblait garder tout son esprit.

Et des songes le hantèrent, des songes d’angoisse etd’épouvante. Nettement, il perçut le bruit de sa fenêtre quis’ouvrait. Nettement, à travers ses paupières closes, à traversl’ombre épaisse, il vit une forme qui avançait.

Et cette forme se pencha sur lui.

Il eut l’énergie incroyable de soulever ses paupières et deregarder, ou du moins il se l’imagina. Rêvait-il ? Etait-iléveillé ? Il se le demandait désespérément.

Un bruit encore On prenait la boîte d’allumettes, à côté delui.

« Je vais donc y voir, se dit-il avec une grande joie. »

Une allumette craqua. La bougie fut allumée.

Des pieds à la tête. Lupin sentit la sueur qui coulait sur sapeau, en même temps que son cœur s’arrêtait de battre, suspendud’effroi. L’homme était là.

Etait-ce possible ? Non, non… Et pourtant, il voyait…Oh ! le terrifiant spectacle ! L’homme, le monstre, étaitlà.

– Je ne veux pas… je ne veux pas, balbutia Lupin, affolé.

L’homme, le monstre était là, vêtu de noir, un masque sur levisage, le chapeau mou rabattu sur ses cheveux blonds.

– Oh ! je rêve je rêve, dit Lupin en riant… c’est uncauchemar…

De toute sa force, de toute sa volonté, il voulut faire ungeste, un seul, qui chassât le fantôme.

Il ne le put pas.

Et tout à coup, il se souvint : la tasse de café ! le goûtde ce breuvage pareil au goût du café qu’il avait bu à Veldenz Ilpoussa un cri, fit un dernier effort, et retomba, épuisé.

Mais, dans son délire, il sentait que l’homme dégageait le hautde sa chemise, mettait sa gorge à nu et levait le bras, et il vitque sa main se crispait au manche d’un poignard, un petit poignardd’acier, semblable à celui qui avait frappé M. Kesselbach, Chapman,Altenheim, et tant d’autres…

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