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3.

Ils se revirent.

Le soir même, le prince Sernine invitait le baron Altenheim auCabaret Vatel, et le faisait dîner avec un poète, un musicien, unfinancier et deux jolies comédiennes, sociétaires duThéâtre-Français.

Le lendemain, ils déjeunèrent ensemble au Bois, et le soir ilsse retrouvèrent à l’Opéra.

Et chaque jour, durant une semaine, ils se revirent.

On eût dit qu’ils ne pouvaient se passer l’un de l’autre, etqu’une grande amitié les unissait, faite de confiance, d’estime etde sympathie. Ils s’amusaient beaucoup, buvaient de bons vins,fumaient d’excellents cigares, et riaient comme des fous.

En réalité, ils s’épiaient férocement. Ennemis mortels, séparéspar une haine sauvage, chacun d’eux, sûr de vaincre et le voulantavec une volonté sans frein, ils attendaient la minute propice,Altenheim pour supprimer Sernine, et Sernine pour précipiterAltenheim dans le gouffre qu’il creusait devant lui. Tous deuxsavaient que le dénouement ne pouvait tarder. L’un ou l’autre ylaisserait sa peau, et c’était une question d’heures, de jours,tout au plus.

Drame passionnant, et dont un homme comme Sernine devait goûterl’étrange et puissante saveur. Connaître son adversaire et vivre àses côtés, savoir que, au moindre pas, à la moindre étourderie,c’est la mort qui vous guette, quelle volupté !

Un jour, dans le jardin du cercle de la rue Cambon, dontAltenheim faisait également partie, ils étaient seuls, à cetteheure de crépuscule où l’on commence à dîner au mois de juin, et oùles joueurs du soir ne sont pas encore là. Ils se promenaientautour d’une pelouse, le long de laquelle il y avait, bordé demassifs, un mur que perçait une petite porte. Et soudain, pendantqu’Altenheim parlait, Sernine eut l’impression que sa voix devenaitmoins assurée, presque tremblante. Du coin de l’œil il l’observa.La main d’Altenheim était engagée dans la poche de son veston, etSernine vit, à travers l’étoffe, cette main qui se crispait aumanche d’un poignard, hésitante, indécise, tour à tour résolue etsans force.

Moment délicieux ! Allait-il frapper ? Quiremporterait, de l’instinct peureux et qui n’ose pas, ou de lavolonté consciente, toute tendue vers l’acte de tuer ?

Le buste droit, les bras derrière le dos, Sernine attendait,avec des frissons d’angoisse et de plaisir. Le baron s’était tu, etdans le silence ils marchaient tous les deux côte à côte.

– Mais frappe donc ! s’écria le prince.

Il s’était arrêté, et, tourné vers son compagnon :

– Frappe donc, disait-il, c’est l’instant ou jamais !Personne ne peut te voir. Tu files par cette petite porte dont laclef se trouve par hasard accrochée au mur, et bonjour, baron, nivu ni connu… Mais j’y pense, tout cela était combiné… C’est toi quim’as amené ici… Et tu hésites ? Mais frappe donc !

Il le regardait au fond des yeux. L’autre était livide, toutfrémissant d’énergie impuissante.

– Poule mouillée ! ricana Sernine. Je ne ferai jamais riende toi. La vérité, veux-tu que je te la dise ? Eh bien, je tefais peur. Mais oui, tu n’es jamais très sûr de ce qui va t’arriverquand tu es en face de moi. C’est toi qui veux agir, et ce sont mesactes, mes actes possibles, qui dominent la situation. Non,décidément, tu n’es pas encore celui qui fera pâlir monétoile !

Il n’avait pas achevé ce mot qu’il se sentit pris au cou etattiré en arrière. Quelqu’un, qui se cachait dans le massif, prèsde la petite porte, l’avait happé par la tête. Il vit un bras quise levait, armé d’un couteau dont la lame était toute brillante. Lebras s’abattit, la pointe du couteau l’atteignit en pleinegorge.

Au même moment, Altenheim sauta sur lui pour l’achever, et ilsroulèrent dans les plates-bandes. Ce fut l’affaire de vingt àtrente secondes, tout au plus. Si fort qu’il fût, si entraîné auxexercices de lutte, Altenheim céda presque aussitôt, en poussant uncri de douleur. Sernine se releva et courut vers la petite portequi venait de se refermer sur une silhouette sombre. Troptard ! Il entendit le bruit de la clef dans la serrure. Il neput l’ouvrir.

– Ah ! bandit ! jura-t-il, le jour où je t’aurai, cesera le jour de mon premier crime ! Mais pour Dieu !

Il revint, se baissa, et recueillit les morceaux du poignard quis’était brisé en le frappant.

Altenheim commençait à bouger. Il lui dit :

– Eh bien, baron, ça va mieux ? Tu ne connaissais pas cecoup-là, hein ? C’est ce que j’appelle le coup direct auplexus solaire, c’est-à-dire que ça vous mouche votre soleil vital,comme une chandelle. C’est propre, rapide, sans douleur etinfaillible. Tandis qu’un coup de poignard ? Peuh ! iln’y a qu’à porter un petit gorgerin à mailles d’acier, comme j’enporte moi-même, et l’on se fiche de tout le monde, surtout de tonpetit camarade noir, puisqu’il frappe toujours à la gorge, lemonstre idiot ! Tiens, regarde son joujou favori Desmiettes !

Il lui tendit la main.

– Allons, relève-toi, baron. Je t’invite à dîner. Et veuillebien te rappeler le secret de ma supériorité : une âme intrépidedans un corps inattaquable.

Il rentra dans les salons du cercle, retint une table pour deuxpersonnes, s’assit sur un divan et attendit l’heure du dîner ensongeant :

« Evidemment la partie est amusante, mais ça devient dangereux.Il faut en finir… Sans quoi, ces animaux-là m’enverront au paradisplus tôt que je ne veux… L’embêtant, c’est que je ne peux rienfaire contre eux avant d’avoir retrouvé le vieux Steinweg Car, aufond, il n’y a que cela d’intéressant, le vieux Steinweg, et si jeme cramponne au baron, c’est que j’espère toujours recueillir unindice quelconque… Que diable en ont-ils fait ? Il est hors dedoute qu’Altenheim est en communication quotidienne avec lui, ilest hors de doute qu’il tente l’impossible pour lui arracher desinformations sur le projet Kesselbach. Mais où le voit-il ? Oùl’a-t-il fourré ? chez des amis ? chez lui, au 29 de lavilla Dupont ? »

Il réfléchit assez longtemps, puis alluma une cigarette dont iltira trois bouffées et qu’il jeta. Ce devait être un signal, cardeux jeunes gens vinrent s’asseoir à côté de lui, qu’il semblait nepoint connaître, mais avec lesquels il s’entretint furtivement.

C’étaient les frères Doudeville, en hommes du monde cejour-là.

– Qu’y a-t-il, patron ?

– Prenez six de nos hommes, allez au 29 de la villa Dupont, etentrez.

– Fichtre ! Comment ?

– Au nom de la loi. N’êtes-vous pas inspecteurs de laSûreté ? Une perquisition.

– Mais nous n’avons pas le droit

– Prenez-le.

– Et les domestiques ? S’ils résistent ?

– Ils ne sont que quatre.

– S’ils crient ?

– Ils ne crieront pas.

– Si Altenheim revient ?

– Il ne reviendra pas avant dix heures. Je m’en charge. Ça vousfait deux heures et demie. C’est plus qu’il ne vous en faut pourfouiller la maison de fond en comble. Si vous trouvez le vieuxSteinweg, venez m’avertir.

Le baron Altenheim s’approchait, il alla au-devant de lui.

– Nous dînons, n’est-ce pas ? Le petit incident du jardinm’a creusé l’estomac. À ce propos, mon cher baron, j’auraisquelques conseils à vous donner…

Ils se mirent à table.

Après le repas, Sernine proposa une partie de billard, qui futacceptée. Puis, la partie de billard terminée, ils passèrent dansla salle de baccara. Le croupier justement clamait :

– La banque est à cinquante louis, personne n’en veut ?

– Cent louis, dit Altenheim.

Sernine regarda sa montre. Dix heures. Les Doudeville n’étaientpas revenus. Donc les recherches demeuraient infructueuses.

– Banco, dit-il.

Altenheim s’assit et répartit les cartes.

– J’en donne.

– Non.

– Sept.

– Six.

– J’ai perdu, dit Sernine. Banco du double ?

– Soit, fit le baron.

Il distribua les cartes.

– Huit, dit Sernine.

– Neuf, abattit le baron.

Sernine tourna sur ses talons en murmurant :

« Ça me coûte trois cents louis, mais je suis tranquille, levoilà cloué sur place. »

Un instant après, son auto le déposait devant le 29 de la villaDupont, et, tout de suite, il trouva les Doudeville et leurs hommesréunis dans le vestibule.

– Vous avez déniché le vieux ?

– Non.

– Tonnerre ! Il est pourtant quelque part ! Où sontles domestiques ?

– Là, dans l’office, attachés.

– Bien. J’aime autant n’être pas vu. Partez tous. Jean, reste enbas et fais le guet. Jacques, fais-moi visiter la maison.

Rapidement, il parcourut la cave, le grenier. Il ne s’arrêtaitpour ainsi dire point, sachant bien qu’il ne découvrirait pas enquelques minutes ce que ses hommes n’avaient pu découvrir en troisheures. Mais il enregistrait fidèlement la forme et l’enchaînementdes pièces.

Quand il eut fini, il revint vers une chambre que Doudeville luiavait indiquée comme celle d’Altenheim, et l’examinaattentivement.

– Voilà qui fera mon affaire, dit-il en soulevant un rideau quimasquait un cabinet noir rempli de vêtements. D’ici, je vois toutela chambre.

– Et si le baron fouille sa maison ?

– Pourquoi ?

– Mais il saura que l’on est venu, par ses domestiques.

– Oui, mais il n’imaginera pas que l’un de nous s’est installéchez lui. Il se dira que la tentative a manqué, voilà tout. Parconséquent, je reste.

– Et comment sortirez-vous ?

– Ah ! tu m’en demandes trop. L’essentiel était d’entrer.Va, Doudeville, ferme les portes. Rejoins ton frère et filez… Àdemain ou plutôt…

– Ou plutôt…

– Ne vous occupez pas de moi. Je vous ferai signe en tempsvoulu.

Il s’assit sur une petite caisse placée au fond du placard. Unequadruple rangée de vêtements suspendus le protégeait. Sauf le casd’investigations, il était évidemment là en toute sûreté.

Dix minutes s’écoulèrent. Il entendit le trot sourd d’un cheval,du côté de la villa, et le bruit d’un grelot. Une voiture s’arrêta,la porte d’en bas claqua, et presque aussitôt il perçut des voix,des exclamations, toute une rumeur qui s’accentuait au fur et àmesure, probablement, qu’un des captifs était délivré de sonbâillon.

« On s’explique, pensa-t-il… La rage du baron doit être à soncomble… Il comprend maintenant la raison de ma conduite de ce soir,au cercle, et que je l’ai roulé proprement… Roulé, ça dépend, carenfin, Steinweg m’échappe toujours… Voilà la première chose dont ilva s’occuper : lui a-t-on repris Steinweg ? Pour le savoir, ilva courir à la cachette. S’il monte, c’est que la cachette est enhaut. S’il descend, c’est qu’elle est dans les sous-sols. »

Il écouta. Le bruit des voix continuait dans les pièces durez-de-chaussée, mais il ne semblait point que l’on bougeât.Altenheim devait interroger ses acolytes. Ce ne fut qu’après unedemi-heure que Sernine entendit des pas qui montaientl’escalier.

« Ce serait donc en haut, se dit-il, mais pourquoi ont-ils tanttardé ? »

– Que tout le monde se couche, dit la voix d’Altenheim.

Le baron entra dans la chambre avec un de ses hommes et refermala porte.

– Et moi aussi, Dominique, je me couche. Quand nous discuterionstoute la nuit, nous n’en serions pas plus avancés.

– Moi, mon avis, dit l’autre, c’est qu’il est venu pour chercherSteinweg.

– C’est mon avis, aussi, et c’est pourquoi je rigole, au fond,puisque Steinweg n’est pas là.

– Mais, enfin, où est-il ? Qu’est-ce que vous avez pu enfaire ?

– Ça, c’est mon secret, et tu sais que, mes secrets, je lesgarde pour moi. Tout ce que je peux te dire, c’est que la prisonest bonne et qu’il n’en sortira qu’après avoir parlé.

– Alors, bredouille, le prince ?

– Je te crois. Et encore, il a dû casquer pour arriver à ce beaurésultat. Non, vrai, ce que je rigole ! Infortunéprince !

– N’importe, reprit l’autre, il faudrait bien s’endébarrasser.

– Sois tranquille, mon vieux, ça ne tardera pas. Avant huitjours, je t’offrirai un portefeuille d’honneur, fabriqué avec de lapeau de Lupin. Laisse-moi me coucher, je tombe de sommeil.

Un bruit de porte qui se ferme. Puis Sernine entendit le baronqui mettait le verrou, puis qui vidait ses poches, qui remontait samontre et qui se déshabillait.

Il était joyeux, sifflotait et chantonnait, parlant même à hautevoix.

– Oui, en peau de Lupin et avant huit jours avant quatrejours ! sans quoi c’est lui qui nous boulottera, lesacripant ! Ça ne fait rien, il a raté son coup ce soir Lecalcul était juste, pourtant Steinweg ne peut être qu’ici…Seulement, voilà…

Il se mit au lit et tout de suite éteignit l’électricité.Sernine s’était avancé près du rideau, qu’il souleva légèrement, etil voyait la lumière vague de la nuit qui filtrait par lesfenêtres, laissant le lit dans une obscurité profonde.

« Décidément, c’est moi la poire, se dit-il. Je me suis blouséjusqu’à la gauche. Dès qu’il ronflera, je m’esquive »

Mais un bruit étouffé l’étonna, un bruit dont il n’aurait pupréciser la nature et qui venait du lit. C’était comme ungrincement, à peine perceptible d’ailleurs.

– Eh bien, Steinweg, où en sommes-nous ?

C’était le baron qui parlait ! Il n’y avait aucun doute quece fût lui qui parlât, mais comment se pouvait-il qu’il parlât àSteinweg, puisque Steinweg n’était pas dans la chambre ? EtAltenheim continua :

– Es-tu toujours intraitable ? Oui ? Imbécile !Il faudra pourtant bien que tu te décides à raconter ce que tusais… Non ? Bonsoir, alors, et à demain…

« Je rêve, je rêve, se disait Sernine. Ou bien c’est lui quirêve à haute voix. Voyons, Steinweg n’est pas à côté de lui, iln’est pas dans la chambre voisine, il n’est même pas dans lamaison. Altenheim l’a dit… Alors, qu’est-ce que c’est que cettehistoire ahurissante ? »

Il hésita. Allait-il sauter sur le baron, le prendre à la gorgeet obtenir de lui, par la force et la menace, ce qu’il n’avait puobtenir par la ruse ? Absurdité ! Jamais Altenheim ne selaisserait intimider.

« Allons, je pars, murmura-t-il, j’en serai quitte pour unesoirée perdue. »

Il ne partit point. Il sentit qu’il lui était impossible departir, qu’il devait attendre, que le hasard pouvait encore leservir.

Il décrocha avec des précautions infinies quatre ou cinqcostumes et paletots, les étendit par terre, s’installa, et, le dosappuyé au mur, s’endormit le plus tranquillement du monde.

Le baron ne fut pas matinal. Une horloge quelque part sonna neufcoups quand il sauta du lit et fit venir son domestique.

Il lut le courrier que celui-ci apportait, s’habilla sans direun mot, et se mit à écrire des lettres, pendant que le domestiquesuspendait soigneusement dans le placard les vêtements de laveille, et que Sernine, les poings en bataille, se disait :

« Voyons, faut-il que je défonce le plexus solaire de cetindividu ? »

À dix heures, le baron ordonna :

– Va-t’en !

– Voilà, encore ce gilet…

– Vas-t’en, je te dis. Tu reviendras quand je t’appellerai pasavant. Il poussa la porte lui-même sur le domestique, attendit, enhomme qui n’a guère confiance dans les autres, et, s’approchantd’une table où se trouvait un appareil téléphonique, il décrocha lerécepteur.

– Allô ! mademoiselle, je vous prie de me donner GarchesC’est cela, mademoiselle, vous me sonnerez…

Il resta près de l’appareil.

Sernine frémissait d’impatience. Le baron allait-il communiqueravec son mystérieux compagnon de crime ?

La sonnerie retentit.

– Allô, fit Altenheim… Ah ! c’est Garches… parfaitMademoiselle, je voudrais le numéro 38… Oui, 38, deux foisquatre…

Et au bout de quelques secondes, la voix plus basse, aussi basseet aussi nette que possible, il prononça :

– Le numéro 38 ? C’est moi, pas de mots inutiles…Hier ? Oui, tu l’as manqué dans le jardin… Une autre fois,évidemment, mais ça presse… il a fait fouiller la maison le soir,je te raconterai… Rien trouvé, bien entendu… Quoi ?allô ! Non, le vieux Steinweg refuse de parler… les menaces,les promesses, rien n’y a fait… Allô… Eh oui, parbleu, il sait quenous ne pouvons rien… Nous ne connaissons le projet de Kesselbachet l’histoire de Pierre Leduc qu’en partie… Lui seul a le mot del’énigme… Oh ! il parlera, ça j’en réponds, et cette nuit mêmesans quoi… Eh ! qu’est-ce que tu veux, tout plutôt que de lelaisser échapper ! Vois-tu que le prince nous le chipe !Oh ! celui-là, dans trois jours, il faut qu’il ait son compteTu as une idée ? En effet l’idée est bonne. Oh !oh ! excellente je vais m’en occuper Quand se voit-on ?mardi, veux-tu ? Ça va. Je viendrai mardi à deux heures…

Il remit l’appareil en place et sortit. Sernine l’entendit quidonnait des ordres.

– Attention, cette fois, hein ? ne vous laissez pas pincerbêtement comme hier, je ne rentrerai pas avant la nuit.

La lourde porte du vestibule se referma, puis ce fut leclaquement de la grille dans le jardin et le grelot d’un cheval quis’éloignait.

Après vingt minutes, deux domestiques survinrent, qui ouvrirentles fenêtres et firent la chambre.

Quand ils furent partis, Sernine attendit encore assezlongtemps, jusqu’à l’heure présumée de leur repas. Puis, lessupposant dans la cuisine, attablés, il se glissa hors du placardet se mit à inspecter le lit et la muraille à laquelle ce lit étaitadossé.

« Bizarre, dit-il, vraiment bizarre… Il n’y a rien là departiculier. Le lit n’a aucun double fond Dessous, pas de trappe.Voyons la chambre voisine. »

Doucement, il passa à côté. C’était une pièce vide, sans aucunmeuble.

« Ce n’est pas là que gîte le vieux Dans l’épaisseur de cemur ? Impossible, c’est plutôt une cloison, très mince.Sapristi ! Je n’y comprends rien, moi. » Pouce par pouce, ilinterrogea le plancher, le mur, le lit, perdant son temps à desexpériences inutiles. Décidément, il y avait là un truc, fortsimple peut-être, mais que, pour l’instant, il ne saisissaitpas.

« À moins que, se dit-il, Altenheim n’ait positivement déliré…C’est la seule supposition acceptable. Et, pour la vérifier, jen’ai qu’un moyen, c’est de rester. Et je reste. Advienne quepourra. ». De crainte d’être surpris, il réintégra son repaire etn’en bougea plus, rêvassant et sommeillant, tourmenté, d’ailleurs,par une faim violente.

Et le jour baissa. Et l’obscurité vint.

Altenheim ne rentra qu’après minuit. Il monta dans sa chambre,seul cette fois, se dévêtit, se coucha, et, aussitôt, comme laveille, éteignit l’électricité.

Même attente anxieuse. Même petit grincement inexplicable. Et,de sa même voix railleuse, Altenheim articula :

– Et alors, comment ça va, l’ami… Des injures ? Mais non,mais non, mon vieux, ce n’est pas du tout ce qu’on tedemande ! Tu fais fausse route. Ce qu’il me faut, ce sont debonnes confidences, bien complètes, bien détaillées, concernanttout ce que tu as révélé à Kesselbach… l’histoire de Pierre Leduc,etc. C’est clair ?

Sernine écoutait avec stupeur. Il n’y avait pas à se tromper,cette fois : le baron s’adressait réellement au vieux Steinweg.Colloque impressionnant ! Il lui semblait surprendre ledialogue mystérieux d’un vivant et d’un mort, une conversation avecun être innommable, respirant dans un autre monde, un êtreinvisible, impalpable, inexistant.

Le baron reprit, ironique et cruel :

– Tu as faim ? Mange donc, mon vieux. Seulement,rappelle-loi que je t’ai donné d’un coup toute ta provision depain, et que, en la grignotant, à raison de quelques miettes envingt-quatre heures, tu en as tout au plus pour une semaine…Mettons dix jours ! Dans dix jours, couic, il n’y aura plus depère Steinweg. À moins que d’ici là tu aies consenti à parler.Non ? On verra ça demain… Dors, mon vieux.

Le lendemain, à une heure, après une nuit et une matinée sansincident, le prince Sernine sortait paisiblement de la villa Dupontet, la tête faible, les jambes molles, tout en se dirigeant vers leplus proche restaurant, il résumait la situation :

« Ainsi, mardi prochain, Altenheim et l’assassin du Palace Hôtelont rendez-vous à Garches dans une maison dont le téléphone portele numéro 38. C’est donc mardi que je livrerai les deux coupableset que je délivrerai M. Lenormand. Le soir même, ce sera le tour duvieux Steinweg, et j’apprendrai enfin si Pierre Leduc est, oui ounon, le fils d’un charcutier, et si je peux dignement en faire lemari de Geneviève. Ainsi soit-il ! »

Le mardi matin, vers onze heures, Valenglay, président duConseil, faisait venir le préfet de Police, le sous-préfet de laSûreté, M. Weber, et leur montrait un pneumatique, signé princeSernine, qu’il venait de recevoir.

« Monsieur le Président du Conseil,

« Sachant tout l’intérêt que vous portiez à M. Lenormand, jeviens vous mettre au courant des faits que le hasard m’arévélés.

« M. Lenormand est enfermé dans les caves de la villa desGlycines, à Garches, auprès de la maison de retraite.

« Les bandits du Palace-Hôtel ont résolu de l’assassineraujourd’hui à deux heures.

« Si la police a besoin de mon concours, je serai à une heure etdemie dans le jardin de la maison de retraite, ou chez MmeKesselbach, dont j’ai l’honneur d’être l’ami.

« Recevez, Monsieur le Président du Conseil, etc.

« Signé : Prince SERNINE. »

– Voilà qui est extrêmement grave, mon cher monsieur Weber, fitValenglay. J’ajouterai que nous devons avoir toute confiance dansles affirmations du prince Paul Sernine. J’ai dîné plusieurs foisavec lui. C’est un homme sérieux, intelligent…

– Voulez-vous me permettre, monsieur le Président, dit lesous-chef de la Sûreté, de vous communiquer une autre lettre quej’ai reçue également ce matin ?

– Sur la même affaire ?

– Oui.

– Voyons.

Il prit la lettre et lut :

« Monsieur,

« Vous êtes averti que le prince Paul Sernine, qui se dit l’amide Mme Kesselbach, n’est autre qu’Arsène Lupin.

« Une seule preuve suffira : Paul Sernine est l’anagrammed’Arsène Lupin. Ce sont les mêmes lettres. Il n’y en a pas une deplus, pas une de moins.

« Signé : L.M. »

Et M. Weber ajouta, tandis que Valenglay restait confondu :

– Pour cette fois, notre ami Lupin trouve un adversaire à sataille. Pendant qu’il le dénonce, l’autre nous le livre. Et voilàle renard pris au piège.

– Et alors ? dit Valenglay.

– Et alors, monsieur le Président, nous allons tâcher de lesmettre d’accord tous les deux Et, pour cela, j’emmène deux centshommes.

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