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3.

Le lendemain matin, à l’heure exacte qui lui avait été fixée, lebrigadier Gourel se présenta au Palace-Hôtel. Sans s’arrêter, etdédaigneux de l’ascenseur, il monta les escaliers. Au quatrièmeétage il tourna à droite, suivit le couloir, et vint sonner à laporte du 415.

Aucun bruit ne se faisant entendre, il recommença. Après unedemi-douzaine de tentatives infructueuses, il se dirigea vers lebureau de l’étage. Un maître d’hôtel s’y trouvait.

– M. Kesselbach, s’il vous plaît ? Voilà dix fois que jesonne.

– M. Kesselbach n’a pas couché là. Nous ne l’avons pas vu depuishier après-midi.

– Mais son domestique, son secrétaire ?

– Nous ne les avons pas vus non plus.

– Alors, eux non plus n’auraient pas couché à l’hôtel ?

– Sans doute.

– Sans doute ! Mais vous devriez avoir une certitude.

– Pourquoi ? M. Kesselbach n’est pas à l’hôtel ici, il estchez lui, dans son appartement particulier. Son service n’est pasfait par nous, mais par son domestique, et nous ne savons rien dece qui se passe chez lui.

– En effet… en effet…

Gourel semblait fort embarrassé. Il était venu avec des ordresformels, une mission précise, dans les limites de laquelle sonintelligence pouvait s’exercer. En dehors de ces limites, il nesavait trop comment agir.

– Si le Chef était là, murmura-t-il, si le Chef était là…

Il montra sa carte et déclina ses titres. Puis il demanda, àtout hasard ;

– Donc, vous ne les avez pas vus rentrer ?

– Non.

– Mais vous les avez vus sortir ?

– Non plus.

– En ce cas, comment savez-vous qu’ils sont sortis ?

– Par un monsieur qui est venu hier après-midi au 415.

– Un monsieur à moustaches brunes ?

– Oui. Je l’ai rencontré comme il s’en allait vers trois heures.Il m’a dit : « Les personnes du 415 viennent de sortir. M.Kesselbach couchera ce soir à Versailles, aux Réservoirs, où vouspouvez lui envoyer son courrier. »

– Mais quel était ce monsieur ? À quel titreparlait-il ?

– Je l’ignore.

Gourel était inquiet. Tout cela lui paraissait assezbizarre.

– Vous avez la clef ?

– Non. M. Kesselbach avait fait faire des clefs spéciales.

– Allons voir.

Gourel sonna de nouveau furieusement. Rien. Il se disposait àpartir quand, soudain, il se baissa et appliqua vivement sonoreille contre le trou de la serrure.

– Ecoutez… on dirait… mais oui c’est très net… des plaintes… desgémissements…

Il donna dans la porte un véritable coup de poing.

– Mais, monsieur, vous n’avez pas le droit…

– Je n’ai pas le droit !

Il frappait à coups redoublés, mais si vainement qu’il y renonçaaussitôt.

– Vite, vite, un serrurier.

Un des garçons d’hôtel s’éloigna en courant. Gourel allait dedroite et de gauche, bruyant et indécis. Les domestiques des autresétages formaient des groupes. Les gens du bureau, de la direction,arrivaient. Gourel s’écria :

– Mais pourquoi n’entrerait-on pas par les chambrescontiguës ? Elles communiquent avec l’appartement ?

– Oui, mais les portes de communication sont toujoursverrouillées des deux côtés.

– Alors, je téléphone à la Sûreté, dit Gourel, pour qui,visiblement, il n’existait point de salut en dehors de sonchef.

– Et au commissariat, observa-t-on.

– Oui, si ça vous plaît, répondit-il du ton d’un monsieur quecette formalité intéresse peu.

Quand il revint du téléphone, le serrurier achevait d’essayerses clefs. La dernière fit jouer la serrure. Gourel entravivement.

Aussitôt il courut à l’endroit d’où venaient les plaintes, et seheurta aux deux corps du secrétaire Chapman et du domestiqueEdwards. L’un d’eux, Chapman, à force de patience, avait réussi àdétendre un peu son bâillon, et poussait de petits grognementssourds. L’autre semblait dormir.

On les délivra. Gourel s’inquiétait.

– Et M. Kesselbach ?

Il passa dans le salon. M. Kesselbach était assis et attaché audossier du fauteuil, près de la table. Sa tête était inclinée sursa poitrine.

– Il est évanoui, dit Gourel en s’approchant de lui. Il a dûfaire des efforts qui l’ont exténué.

Rapidement, il coupa les cordes qui liaient les épaules. D’unbloc, le buste s’écroula en avant. Gourel l’empoigna àbras-le-corps, et recula en poussant un cri d’effroi :

– Mais il est mort ! Tâtez… les mains sont glacées, etregardez les yeux ! Quelqu’un hasarda :

– Une congestion, sans doute ou une rupture d’anévrisme.

– En effet, il n’y a pas de trace de blessure, c’est une mortnaturelle.

On étendit le cadavre sur le canapé, et l’on défit sesvêtements. Mais, tout de suite, sur la chemise blanche, des tachesrouges apparurent, et, dès qu’on l’eut écartée, on s’aperçut que, àl’endroit du cœur, la poitrine était trouée d’une petite fente paroù coulait un mince filet de sang.

Et sur la chemise était épinglée une carte.

Gourel se pencha. C’était la carte d’Arsène Lupin, toutesanglante elle aussi.

Alors Gourel se redressa, autoritaire et brusque :

– Un crime ! Arsène Lupin ! Sortez… Sortez tous… Quepersonne ne reste dans ce salon ni dans la chambre… Qu’ontransporte et qu’on soigne ces messieurs dans une autrepièce ! Sortez tous… Et qu’on ne touche à rien… Le Chef vavenir !

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