813

4.

Comme les autres fois, dès sa rentrée en cellule. Lupin secoucha, et tout en bâillant il songeait :

« Au fond, rien n’est plus pratique pour la conduite de mesaffaires que cette existence. Chaque jour je donne le petit coup depouce qui met en branle toute la machine, et je n’ai qu’à patienterjusqu’au lendemain. Les événements se produisent d’eux-mêmes. Quelrepos pour un homme surmené ! »

Et, se tournant vers le mur :

« Steinweg, si tu tiens à la vie, ne meurs pasencore ! ! ! Je te demande un petit peu de bonnevolonté. Fais comme moi : dors. »

Sauf à l’heure du repas, il dormit de nouveau jusqu’au matin. Cene fut que le bruit des serrures et des verrous qui leréveilla.

– Debout, lui dit le gardien ; habillez-vous… C’estpressé.

M. Weber et ses hommes le reçurent dans le couloir etl’amenèrent jusqu’au fiacre.

– Cocher, 29, villa Dupont, dit Lupin en montant… Etrapidement.

– Ah ! vous savez donc que nous allons là ? dit lesous-chef.

– Evidemment, je le sais, puisque, hier, j’ai donné rendez-vousà M. Formerie, au 29 de la villa Dupont, sur le coup de dix heures.Quand Lupin dit une chose, cette chose s’accomplit. La preuve…

Dès la rue Pergolèse, les précautions multipliées par la policeexcitèrent la joie du prisonnier. Des escouades d’agentsencombraient la rue. Quant à la villa Dupont, elle était purementet simplement interdite à la circulation.

– L’état de siège, ricana Lupin. Weber, tu distribueras de mapart un louis à chacun de ces pauvres types que tu as dérangés sansraison. Tout de même, faut-il que vous ayez la venette ! Pourun peu, tu me passerais les menottes.

– Je n’attendais que ton désir, dit M. Weber.

– Vas-y donc, mon vieux. Faut bien rendre la partie égale entrenous ! Pense donc, tu n’es que trois centsaujourd’hui !

Les mains enchaînées, il descendit de voiture devant le perron,et tout de suite on le dirigea vers une pièce où se tenait M.Formerie. Les agents sortirent. M. Weber seul resta.

– Pardonnez-moi, monsieur le juge d’instruction, dit Lupin, j’aipeut-être une ou deux minutes de retard. Soyez sûr qu’une autrefois je m’arrangerai.

M. Formerie était blême. Un tremblement nerveux l’agitait. Ilbégaya :

– Monsieur, Mme Formerie…

Il dut s’interrompre, à bout de souffle, la gorge étranglée.

– Comment va-t-elle, cette bonne Mme Formerie ? demandaLupin avec intérêt. J’ai eu le plaisir de danser avec elle, cethiver, au bal de l’Hôtel de Ville, et ce souvenir…

– Monsieur, recommença le juge d’instruction, monsieur, MmeFormerie a reçu de sa mère, hier soir, un coup de téléphone luidisant de passer en hâte. Mme Formerie, aussitôt, est partie, sansmoi malheureusement, car j’étais en train d’étudier votredossier.

– Vous étudiez mon dossier ? Voilà bien la boulette,observa Lupin.

– Or, à minuit, continua le juge, ne voyant pas revenir MmeFormerie, assez inquiet, j’ai couru chez sa mère ; MmeFormerie n’y était pas. Sa mère ne lui avait point téléphoné. Toutcela n’était que la plus abominable des embûches. À l’heureactuelle, Mme Formerie n’est pas encore rentrée.

– Ah ! fit Lupin avec indignation.

Et, après avoir réfléchi :

– Autant que je m’en souvienne, Mme Formerie est très jolie,n’est-ce pas ?

Le juge ne parut pas comprendre. Il s’avança vers Lupin, etd’une voix anxieuse, l’attitude quelque peu théâtrale :

– Monsieur, j’ai été prévenu ce matin par une lettre que mafemme me serait rendue immédiatement après que le sieur Steinwegserait découvert. Voici cette lettre. Elle est signée Lupin.Est-elle de vous ?

Lupin examina la lettre et conclut gravement :

– Elle est de moi.

– Ce qui veut dire que vous voulez obtenir de moi, parcontrainte, la direction des recherches relatives au sieurSteinweg ?

– Je l’exige.

– Et que ma femme sera libre aussitôt après ?

– Elle sera libre.

– Même au cas où ces recherches seraientinfructueuses ?

– Ce cas n’est pas admissible.

– Et si je refuse ? s’écria M. Formerie, dans un accèsimprévu de révolte.

Lupin murmura :

– Un refus pourrait avoir des conséquences graves… Mme Formerieest jolie

– Soit. Cherchez, vous êtes le maître, grinça M. Formerie. Et M.Formerie se croisa les bras, en homme qui sait, à l’occasion, serésigner devant la force supérieure des événements.

M. Weber n’avait pas soufflé mot, mais il mordait rageusement samoustache, et l’on sentait tout ce qu’il devait éprouver de colèreà céder une fois de plus aux caprices de cet ennemi, vaincu ettoujours victorieux.

– Montons, dit Lupin.

On monta.

– Ouvrez la porte de cette chambre.

On l’ouvrit.

– Qu’on m’enlève mes menottes.

Il y eut une minute d’hésitation. M. Formerie et M. Weber seconsultèrent du regard.

– Qu’on m’enlève mes menottes, répéta Lupin.

– Je réponds de tout, assura le sous-chef.

Et, faisant signe aux huit hommes qui l’accompagnaient :

– L’arme au poing ! Au premier commandement, feu !

Les hommes sortirent leurs revolvers.

– Bas les armes, ordonna Lupin, et les mains dans lespoches.

Et, devant l’hésitation des agents, il déclara fortement :

– Je jure sur l’honneur que je suis ici pour sauver la vie d’unhomme qui agonise, et que je ne chercherai pas à m’évader.

– L’honneur de Lupin, marmotta l’un des agents.

Un coup de pied sec sur la jambe lui fit pousser un hurlement dedouleur. Tous les agents bondirent, secoués de haine.

– Halte ! cria M. Weber en s’interposant. Va, Lupin je tedonne une heure… Si, dans une heure…

– Je ne veux pas de conditions, objecta Lupin, intraitable.

– Eh ! fais donc à ta guise, animal ! grogna lesous-chef exaspéré.

Et il recula, entraînant ses hommes avec lui.

– À merveille, dit Lupin. Comme ça, on peut travaillertranquillement. Il s’assit dans un confortable fauteuil, demandaune cigarette, l’alluma, et se mit à lancer vers le plafond desanneaux de fumée, tandis que les autres attendaient avec unecuriosité qu’ils n’essayaient pas de dissimuler. Au bout d’uninstant :

– Weber, fais déplacer le lit. On déplaça le lit.

– Qu’on enlève tous les rideaux de l’alcôve. On enleva lesrideaux. Un long silence commença. On eût dit une de cesexpériences d’hypnotisme auxquelles on assiste avec une ironiemêlée d’angoisse, avec la peur obscure des choses mystérieuses quipeuvent se produire. On allait peut-être voir un moribond surgir del’espace, évoqué par l’incantation irrésistible du magicien. Onallait peut-être voir…

– Quoi, déjà ! s’écria M. Formerie.

– Ça y est, dit Lupin.

– Croyez-vous donc, monsieur le juge d’instruction, que je nepense à rien dans ma cellule, et que je me sois fait amener icisans avoir quelques idées précises sur la question ?

– Et alors ? dit M. Weber.

– Envoie l’un de tes hommes au tableau des sonneriesélectriques. Ça doit être accroché du côté des cuisines. Un desagents s’éloigna.

– Maintenant, appuie sur le bouton de la sonnerie électrique quise trouve ici, dans l’alcôve, à la hauteur du lit… Bien… Appuiefort… Ne lâche pas… Assez comme ça… Maintenant, rappelle le typequ’on a envoyé en bas.

Une minute après, l’agent remontait.

– Eh bien ! l’artiste, tu as entendu la sonnerie ?

– Non.

– Un des numéros du tableau s’est déclenché ?

– Non.

– Parfait. Je ne me suis pas trompé, dit Lupin. Weber, aiel’obligeance de dévisser cette sonnerie, qui est fausse, comme tule vois… C’est cela, commence par tourner la petite cloche deporcelaine qui entoure le bouton… Parfait… Et maintenant, qu’est-ceque tu aperçois ?

– Une sorte d’entonnoir, répliqua M. Weber, on diraitl’extrémité d’un tube.

– Penche-toi, applique ta bouche à ce tube, comme si c’était unporte-voix…

– Ça y est.

– Appelle… Appelle : « Steinweg ! Holà !Steinweg ! » Inutile de crier… Parle simplement… Ehbien ?

– On ne répond pas.

– Tu es sûr ? Ecoute… On ne répond pas ?

– Non.

– Tant pis, c’est qu’il est mort ou hors d’état de répondre. M.Formerie s’exclama :

– En ce cas, tout est perdu.

– Rien n’est perdu, dit Lupin, mais ce sera plus long. Ce tube adeux extrémités, comme tous les tubes ; il s’agit de le suivrejusqu’à la seconde extrémité.

– Mais il faudra démolir toute la maison.

– Mais non… mais non… vous allez voir Il s’était mis lui-même àla besogne, entouré par tous les agents qui pensaient, d’ailleurs,beaucoup plus à regarder ce qu’il faisait qu’à le surveiller.

Il passa dans l’autre chambre, et, tout de suite, ainsi qu’ill’avait prévu, il aperçut un tuyau de plomb qui émergeait d’uneencoignure et qui montait vers le plafond comme une conduited’eau.

– Ah ! ah ! dit Lupin, ça monte ! Pas bête…Généralement on cherche dans les caves…

Le fil était découvert ; il n’y avait qu’à se laisserguider. Ils gagnèrent ainsi le second étage, puis le troisième,puis les mansardes. Et ils virent ainsi que le plafond d’une de cesmansardes était crevé, et que le tuyau passait dans un grenier trèsbas, lequel était lui-même percé dans sa partie supérieure.

Or, au-dessus, c’était le toit.

Ils plantèrent une échelle et traversèrent une lucarne. Le toitétait formé de plaques de tôle.

– Mais vous ne voyez donc pas que la piste est mauvaise, déclaraM. Formerie.

Lupin haussa les épaules.

– Pas du tout.

– Cependant, puisque le tuyau aboutit sous les plaques detôle.

– Cela prouve simplement que, entre ces plaques de tôle et lapartie supérieure du grenier, il y a un espace libre où noustrouverons ce que nous cherchons.

– Impossible !

– Nous allons voir. Que l’on soulève les plaques Non, pas làC’est ici que le tuyau doit déboucher.

Trois agents exécutèrent l’ordre. L’un d’eux poussa uneexclamation :

– Ah ! nous y sommes !

On se pencha. Lupin avait raison. Sous les plaques que soutenaitun treillis de lattes de bois à demi pourries, un vide existait surune hauteur d’un mètre tout au plus, à l’endroit le plus élevé.

Le premier agent qui descendit creva le plancher et tomba dansle grenier.

Il fallut continuer sur le toit avec précaution, tout ensoulevant la tôle.

Un peu plus loin, il y avait une cheminée. Lupin, qui marchaiten tête et qui suivait le travail des agents, s’arrêta et dit :

– Voilà.

Un homme – un cadavre plutôt – gisait, dont ils virent, à lalueur éclatante du jour, la face livide et convulsée de douleur.Des chaînes le liaient à des anneaux de fer engagés dans le corpsde la cheminée. Il y avait deux écuelles auprès de lui.

– Il est mort, dit le juge d’instruction.

– Qu’en savez-vous ? riposta Lupin.

Il se laissa glisser, du pied tâta le parquet qui lui semblaplus solide à cet endroit, et s’approcha du cadavre. M. Formerie etle sous-chef imitèrent son exemple. Après un instant d’examen.Lupin prononça :

– Il respire encore.

– Oui, dit M. Formerie, le cœur bat faiblement, mais il bat.Croyez-vous qu’on puisse le sauver ?

– Evidemment ! puisqu’il n’est pas mort, déclara Lupin avecune belle assurance.

Et il ordonna :

– Du lait, tout de suite ! Du lait additionné d’eau deVichy. Au galop ! Et je réponds de tout.

Vingt minutes plus tard, le vieux Steinweg ouvrit les yeux.Lupin, qui était agenouillé près de lui, murmura lentement,nettement, de façon à graver ses paroles dans le cerveau du malade:

– Ecoute, Steinweg, ne révèle à personne le secret de PierreLeduc. Moi, Arsène Lupin, je te l’achète le prix que tu veux.Laisse-moi faire.

Le juge d’instruction prit Lupin par le bras et, gravement :

– Mme Formerie ?

– Mme Formerie est libre. Elle vous attend avec impatience.

– Comment cela ?

– Voyons, monsieur le juge d’instruction, je savais bien quevous consentiriez à la petite expédition que je vous proposais. Unrefus de votre part n’était pas admissible.

– Pourquoi ?

– Mme Formerie est trop jolie.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer