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2.

– Monsieur le juge d’instruction, c’est aujourd’hui que j’ai leregret de vous faire mes adieux.

– Comment, monsieur Lupin, vous auriez donc l’intention de nousquitter ?

– À contrecœur, monsieur le juge d’instruction, soyez-en sûr,car nos relations étaient d’une cordialité charmante. Mais il n’y apas de plaisir sans fin. Ma cure à Santé-Palace est terminée.D’autres devoirs me réclament. Il faut que je m’évade cettenuit.

– Bonne chance donc, monsieur Lupin.

– Je vous remercie, monsieur le juge d’instruction.

Arsène Lupin attendit alors patiemment l’heure de son évasion,non sans se demander comment elle s’effectuerait, et par quelsmoyens la France et l’Allemagne, réunies pour cette œuvreméritoire, arriveraient à la réaliser sans trop de scandale.

Au milieu de l’après-midi, le gardien lui enjoignit de se rendredans la cour d’entrée. Il y alla vivement et trouva le directeurqui le remit entre les mains de M. Weber, lequel M. Weber le fitmonter dans une automobile où quelqu’un déjà avait pris place.

Tout de suite, Lupin eut un accès de fou rire.

– Comment ! c’est toi, mon pauvre Weber, c’est toi quiécopes de la corvée ! C’est toi qui seras responsable de monévasion ? Avoue que tu n’as pas de veine ! Ah ! monpauvre vieux, quelle tuile ! Illustré par mon arrestation, tevoilà immortel maintenant par mon évasion.

Il regarda l’autre personnage.

– Allons, bon, monsieur le Préfet de police, vous êtes aussidans l’affaire ? Fichu cadeau qu’on vous a fait là,hein ? Si j’ai un conseil à vous donner, c’est de rester dansla coulisse. À Weber tout l’honneur ! Ça lui revient de droit.Il est solide, le bougre !

On filait vite, le long de la Seine et par Boulogne. ÀSaint-Cloud on traversa.

– Parfait, s’écria Lupin, nous allons à Garches ! On abesoin de moi pour reconstituer la mort d’Altenheim. Nousdescendrons dans les souterrains, je disparaîtrai, et l’on dira queje me suis évanoui par une autre issue, connue de moi seul.Dieu ! que c’est idiot !

Il semblait désolé.

– Idiot, du dernier idiot ! je rougis de honte… Et voilàles gens qui nous gouvernent !… Quelle époque ! Maismalheureux, il fallait vous adresser à moi. Je vous auraisconfectionné une petite évasion de choix, genre miracle. J’ai çadans mes cartons ! Le public aurait hurlé au prodige et seserait trémoussé de contentement. Au lieu de cela… Enfin, il estvrai que vous avez été pris un peu de court Mais tout de même…

Le programme était bien tel que Lupin l’avait prévu. On pénétrapar la maison de retraite jusqu’au pavillon Hortense. Lupin et sesdeux compagnons descendirent et traversèrent le souterrain. Àl’extrémité, le sous-chef lui dit :

– Vous êtes libre.

– Et voilà ! dit Lupin, ce n’est pas plus malin queça ! Tous mes remerciements, mon cher Weber, et mes excusespour le dérangement. Monsieur le Préfet, mes hommages à votredame.

Il remonta l’escalier qui conduisait à la villa des Glycines,souleva la trappe et sauta dans la pièce.

Une main s’abattit sur son épaule. En face de lui se trouvaitson premier visiteur de la veille, celui qui accompagnaitl’Empereur. Quatre hommes le flanquaient de droite et degauche.

– Ah ! ça mais, dit Lupin, qu’est-ce que c’est que cetteplaisanterie ?

Je ne suis donc pas libre ?

– Si, si, grogna l’Allemand de sa voix rude, vous êtes libre…libre de voyager avec nous cinq si ça vous va.

Lupin le contempla une seconde avec l’envie folle de luiapprendre la valeur d’un coup de poing sur le nez.

Mais les cinq hommes semblaient diablement résolus. Leur chefn’avait pas pour lui une tendresse exagérée, et il pensa que legaillard serait trop heureux d’employer les moyens extrêmes. Etpuis, après tout, que lui importait ?

Il ricana :

– Si ça me va ! Mais c’était mon rêve ! Dans la cour,une forte limousine attendait. Deux hommes montèrent en avant, deuxautres à l’intérieur. Lupin et l’étranger s’installèrent sur labanquette du fond.

– En route, s’écria Lupin en allemand, en route pourVeldenz.

Le comte lui dit :

– Silence ! ces gens-là ne doivent rien savoir. Parlezfrançais. Ils ne comprennent pas. Mais pourquoi parler ?

– Au fait, se dit Lupin, pourquoi parler ?

Tout le soir et toute la nuit on roula, sans aucun incident.Deux fois on fit de l’essence dans de petites villes endormies.

À tour de rôle, les Allemands veillèrent leur prisonnier qui,lui, n’ouvrit les yeux qu’au petit matin.

On s’arrêta pour le premier repas, dans une auberge située surune colline, près de laquelle il y avait un poteau indicateur.Lupin vit qu’on se trouvait à égale distance de Metz et deLuxembourg. Là on prit une route qui obliquait vers le nord-est ducôté de Trêves.

Lupin dit à son compagnon de voyage :

– C’est bien au comte de Waldemar que j’ai l’honneur de parler,au confident de l’Empereur, à celui qui fouilla la maison d’HermannIII à Dresde ?

L’étranger demeura muet.

« Toi, mon petit, pensa Lupin, tu as une tête qui ne me revientpas. Je me la paierai un jour ou l’autre. Tu es laid, tu es gros,tu es massif ; bref, tu me déplais. »

Et il ajouta à haute voix :

– Monsieur le comte a tort de ne pas me répondre. Je parlaisdans son intérêt : j’ai vu, au moment où nous remontions, uneautomobile qui débouchait derrière nous à l’horizon. Vous l’avezvue ?

– Non, pourquoi ?

– Pour rien.

– Cependant…

– Mais non, rien du tout, une simple remarque… D’ailleurs, nousavons dix minutes d’avance et notre voiture est pour le moins unequarante chevaux.

– Une soixante, fit l’Allemand, qui l’observa du coin de l’œilavec inquiétude.

– Oh ! alors, nous sommes tranquilles.

On escalada une petite rampe. Tout en haut, le comte se pencha àla portière.

– Sacré nom ! jura-t-il.

– Quoi ? fit Lupin.

Le comte se retourna vers lui, et d’une voix menaçante :

– Gare à vous… S’il arrive quelque chose, tant pis.

– Eh ! eh ! il paraît que l’autre approche… Mais quecraignez-vous, mon cher comte ? C’est sans doute un voyageur…peut-être même du secours qu’on vous envoie.

– Je n’ai pas besoin de secours, grogna l’Allemand.

Il se pencha de nouveau. L’auto n’était plus qu’à deux ou troiscents mètres. Il dit à ses hommes en leur désignant Lupin :

– Qu’on l’attache ! Et s’il résiste… Il tira sonrevolver.

– Pourquoi résisterais-je, doux Teuton ? ricana Lupin.

Et il ajouta tandis qu’on lui liait les mains :

– Il est vraiment curieux de voir comme les gens prennent desprécautions quand c’est inutile, et n’en prennent pas quand il lefaut. Que diable peut vous faire cette auto ? Des complices àmoi ? Quelle idée !

Sans répondre, l’Allemand donnait des ordres au mécanicien :

– À droite ! Ralentis… Laisse-les passer… S’ilsralentissent aussi, halte !

Mais à son grand étonnement, l’auto semblait au contraireredoubler de vitesse. Comme une trombe elle passa devant lavoiture, dans un nuage de poussière.

Debout, à l’arrière de la voiture qui était en partiedécouverte, on distingua la forme d’un homme vêtu de noir.

Il leva le bras.

Deux coups de feu retentirent.

Le comte, qui masquait toute la portière gauche, s’affaissa dansla voiture.

Avant même de s’occuper de lui, les deux compagnons sautèrentsur Lupin et achevèrent de le ligoter.

– Gourdes ! Butors ! cria Lupin qui tremblait de rage.Lâchez-moi au contraire ! Allons, bon, voilà qu’onarrête ! Mais triples idiots, courez donc dessus…Rattrapez-le ! C’est l’homme noir… l’assassin… Ah ! lesimbéciles…

On le bâillonna. Puis on s’occupa du comte. La blessure neparaissait pas grave et l’on eût vite fait de la panser. Mais lemalade, très surexcité, fut pris d’un accès de fièvre et se mit àdélirer.

Il était huit heures du matin. On se trouvait en rase campagne,loin de tout village. Les hommes n’avaient aucune indication sur lebut exact du voyage. Où aller ? Qui prévenir ?

On rangea l’auto le long d’un bois et l’on attendit.

Toute la journée s’écoula de la sorte. Ce n’est qu’au soir qu’unpeloton de cavalerie arriva, envoyé de Trêves à la recherche del’automobile. Deux heures plus tard, Lupin descendait de lalimousine, et, toujours escorté de ses deux Allemands, montait, àla lueur d’une lanterne, les marches d’un escalier qui conduisaitdans une petite chambre aux fenêtres barrées de fer.

Il y passa la nuit.

Le lendemain matin un officier le mena, à travers une courencombrée de soldats, jusqu’au centre d’une longue série debâtiments qui s’arrondissaient au pied d’un monticule où l’onapercevait des ruines monumentales.

On l’introduisit dans une vaste pièce sommairement meublée.Assis devant un bureau, son visiteur de l’avant-veille lisait desjournaux et des rapports qu’il biffait à gros traits de crayonrouge.

– Qu’on nous laisse, dit-il à l’officier.

Et s’approchant de Lupin :

– Les papiers.

Le ton n’était plus le même. C’était maintenant le ton impérieuxet sec du maître qui est chez lui, et qui s’adresse à un inférieur– et quel inférieur ! un escroc, un aventurier de la pireespèce, devant lequel il avait été contraint des’humilier !

– Les papiers, répéta-t-il.

Lupin ne se démonta pas. Il dit calmement :

– Ils sont dans le château de Veldenz.

– Nous sommes dans les communs du château de Veldenz.

– Les papiers sont dans ces ruines.

– Allons-y. Conduisez-moi.

Lupin ne bougea pas.

– Eh bien ?

– Eh bien ! Sire, ce n’est pas aussi simple que vous lecroyez. Il faut un certain temps pour mettre en jeu les élémentsnécessaires à l’ouverture de cette cachette.

– Combien d’heures vous faut-il ?

– Vingt-quatre.

Un geste de colère, vite réprimé.

– Ah ! il n’avait pas été question de cela entre nous.

– Rien n’a été précisé, Sire cela pas plus que le petit voyageque Sa Majesté m’a fait faire entre six gardes du corps. Je doisremettre les papiers, voilà tout.

– Et moi je ne dois vous donner la liberté que contre la remisede ces papiers.

– Question de confiance, Sire. Je me serais cru tout aussiengagé à rendre ces papiers si j’avais été libre, au sortir deprison, et Votre Majesté peut être sûre que je ne les aurais pasemportés sous mon bras. L’unique différence, c’est qu’ils seraientdéjà en votre possession. Sire. Car nous avons perdu un jour. Et unjour, dans cette affaire c’est un jour de trop… Seulement, voilà,il fallait avoir confiance.

L’Empereur regardait avec une certaine stupeur ce déclassé, cebandit qui semblait vexé qu’on se méfiât de sa parole.

Sans répondre, il sonna.

– L’officier de service, ordonna-t-il.

Le comte de Waldemar apparut, très pâle.

– Ah ! c’est toi, Waldemar ? Tu es remis ?

– À vos ordres. Sire.

– Prends cinq hommes avec toi, les mêmes puisque tu es sûrd’eux. Tu ne quitteras pas ce monsieur jusqu’à demain matin. Ilregarda sa montre.

– Jusqu’à demain matin, dix heures… Non, je lui donne jusqu’àmidi. Tu iras où il lui plaira d’aller, tu feras ce qu’il te dirade faire. Enfin, tu es à sa disposition. À midi, je te rejoindrai.Si, au dernier coup de midi, il ne m’a pas remis le paquet delettres, tu le remonteras dans ton auto, et, sans perdre uneseconde, tu le ramèneras droit à la prison de la Santé.

– S’il cherche à s’évader

– Arrange-toi.

Il sortit.

Lupin prit un cigare sur la table et se jeta dans unfauteuil.

– À la bonne heure ! J’aime mieux cette façon d’agir. C’estfranc et catégorique.

Le comte avait fait entrer ses hommes. Il dit à Lupin :

– En marche !

Lupin alluma son cigare et ne bougea pas.

– Liez-lui les mains ! fit le comte.

Et lorsque l’ordre fut exécuté, il répéta :

– Allons en marche !

– Non.

– Comment, non ?

– Je réfléchis.

– À quoi ?

– À l’endroit où peut se trouver cette cachette.

Le comte sursauta.

– Comment ! vous ignorez ?

– Parbleu ! ricana Lupin, et c’est ce qu’il y a de plusjoli dans l’aventure, je n’ai pas la plus petite idée sur cettefameuse cachette, ni les moyens de la découvrir. Hein, qu’endites-vous, mon cher Waldemar ? Elle est drôle, celle-là… pasla plus petite idée…

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