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2.

Il s’élança dans le couloir, dégringola l’escalier, et, aumilieu d’un groupe de personnes qui le soignaient, il trouva Dieuzyétendu sur le palier du premier étage.

Il aperçut Gourel qui remontait.

– Ah ! Gourel, tu viens d’en bas ? Tu as rencontréquelqu’un ?

– Non, chef…

Mais Dieuzy se ranimait, et tout de suite, les yeux à peineouverts, il marmotta :

– Ici, sur le palier, la petite porte…

– Ah ! bon sang, la porte de la septième chambre !s’écria le chef de la Sûreté. J’avais pourtant bien dit qu’on laferme à clef… Il était certain qu’un jour ou l’autre…

Il se rua sur la poignée.

– Eh parbleu ! Le verrou est poussé de l’autre côté,maintenant. La porte était vitrée en partie. Avec la crosse de sonrevolver, il brisa un carreau, puis tira le verrou et dit à Gourel:

– Galope par là jusqu’à la sortie de la place Dauphine…

Et, revenant à Dieuzy :

– Allons, Dieuzy, cause. Comment t’es-tu laissé mettre dans cetétat ?

– Un coup de poing, chef

– Un coup de poing de ce vieux ? mais il ne tient pasdebout !

– Pas du vieux, chef, mais d’un autre qui se promenait dans lecouloir pendant que Steinweg était avec vous, et qui nous a suiviscomme s’il s’en allait, lui aussi… Arrivé là, il m’a demandé sij’avais du feu… J’ai cherché ma boîte d’allumettes… Alors il en aprofité pour m’allonger son poing dans l’estomac. Je suis tombé,et, en tombant, j’ai eu l’impression qu’il ouvrait cette porte etqu’il entraînait le vieux…

– Tu pourrais le reconnaître ?

– Ah ! oui, chef… un gaillard solide, la peau noire… untype du Midi, pour sûr…

– Ribeira, grinça M. Lenormand, toujours lui ! Ribeira,alias Parbury. Ah ! le forban, quelle audace ! Il avaitpeur du vieux Steinweg… il est venu le cueillir, ici même, à mabarbe !

Et, frappant du pied avec colère :

– Mais, cristi, comment a-t-il su que Steinweg était là, lebandit ! Il n’y a pas quatre heures, je le pourchassais dansles bois de Saint-Cucufa et maintenant le voici ! Commenta-t-il su ? Il vit donc dans ma peau ?

Il fut pris d’un de ces accès de rêverie où il semblait ne plusrien entendre et ne plus rien voir. Mme Kesselbach, qui passait àce moment, le salua sans qu’il répondît. Mais un bruit de pas dansle couloir secoua sa torpeur.

– Enfin, c’est toi, Gourel ?

– C’est bien ça, chef, dit Gourel, tout essoufflé. Ils étaientdeux. Ils ont suivi ce chemin, et ils sont sortis par la placeDauphine. Une automobile les attendait. Il y avait dedans deuxpersonnes, un homme vêtu de noir avec un chapeau mou rabattu surles yeux

– C’est lui, murmura M. Lenormand, c’est l’assassin, le complicede Ribeira-Parbury. Et l’autre personne ?

– Une femme, une femme sans chapeau, comme qui dirait une bonneet jolie, paraît-il, rousse.

– Hein ? quoi ! tu dis qu’elle était rousse ?

– Oui.

Monsieur Lenormand se retourna d’un élan, descendit l’escalierquatre à quatre, franchit les cours et déboucha sur le quai desOrfèvres.

– Halte ! cria-t-il.

Une Victoria à deux chevaux s’éloignait. C’était la voiture deMme Kesselbach Le cocher entendit et arrêta. Déjà M. Lenormandavait bondi sur le marchepied :

– Mille pardons, madame, votre aide m’est indispensable. Je vousdemanderai la permission de vous accompagner Mais il nous faut agirrapidement. Gourel, mon auto Tu l’as renvoyée ? Une autrealors, n’importe laquelle.

Chacun courut de son côté. Mais il s’écoula une dizaine deminutes avant qu’on ramenât une auto de louage. M. Lenormandbouillait d’impatience. Mme Kesselbach, debout sur le trottoir,chancelait, son flacon de sels à la main.

Enfin ils s’installèrent.

– Gourel, monte à côté du chauffeur et droit sur Garches.

– Chez moi ! fit Dolorès stupéfaite.

Il ne répondit pas. Il se montrait à la portière, agitait soncoupe-file, se nommait aux agents qui réglaient la circulation desrues. Enfin, quand on parvint au Cours-la-Reine, il se rassit etprononça :

– Je vous en supplie, madame, répondez nettement à mesquestions. Vous avez vu Mlle Geneviève Ernemont, tantôt vers quatreheures ?

– Geneviève… oui… je m’habillais pour sortir.

– C’est elle qui vous a parlé de l’insertion du Journal,relative à Steinweg ?

– En effet.

– Et c’est là-dessus que vous êtes venue me voir ?

– Oui.

– Vous étiez seule pendant la visite de Mlle Ernemont ?

– Ma foi, je ne sais pas… Pourquoi ?

– Rappelez-vous. L’une de vos femmes de chambre étaitlà ?

– Peut-être… comme je m’habillais…

– Quel est leur nom ?

– Suzanne et Gertrude.

– L’une d’elles est rousse, n’est-ce pas ?

– Oui, Gertrude.

– Vous la connaissez depuis longtemps ?

– Sa sœur m’a toujours servie et Gertrude est chez moi depuisdes années. C’est le dévouement en personne, la probité…

– Bref, vous répondez d’elle ?

– Oh ! absolument.

– Tant mieux, tant mieux !

Il était sept heures et demie, et la lumière du jour commençaità s’atténuer quand l’automobile arriva devant la maison deretraite. Sans s’occuper de sa compagne, le chef de la Sûreté seprécipita chez le concierge.

– La bonne de Mme Kesselbach vient de rentrer, n’est-cepas ?

– Qui ça, la bonne ?

– Oui, Gertrude, une des deux sœurs.

– Mais Gertrude n’a pas dû sortir, monsieur, nous ne l’avons pasvue sortir.

– Cependant quelqu’un vient de rentrer.

– Oh ! non, monsieur, nous n’avons ouvert la porte àpersonne, depuis… depuis six heures du soir.

– Il n’y a pas d’autre issue que cette porte ?

– Aucune. Les murs entourent le domaine de toutes parts, et ilssont hauts.

– Madame Kesselbach, dit M. Lenormand à sa compagne, nous ironsjusqu’à votre pavillon.

Ils s’en allèrent tous les trois. Mme Kesselbach, qui n’avaitpas la clef, sonna. Ce fut Suzanne, l’autre sœur, qui apparut.

– Gertrude est ici ? demanda Mme Kesselbach.

– Mais oui, madame, dans sa chambre.

– Faites-la venir, mademoiselle, ordonna le chef de la Sûreté.Au bout d’un instant, Gertrude descendit, avenante et gracieuseavec son tablier blanc orné de broderies. Elle avait une figureassez jolie, en effet, encadrée de cheveux roux. M. Lenormand laregarda longtemps sans rien dire, comme s’il cherchait à pénétrerau-delà de ces yeux innocents. Il ne l’interrogea pas. Au boutd’une minute, il dit simplement :

– C’est bien, mademoiselle, je vous remercie. Tu viens,Gourel ? Il sortit avec le brigadier et, tout de suite, ensuivant les allées sombres du jardin, il dit :

– C’est elle.

– Vous croyez, chef ? Elle a l’air si tranquille !

– Beaucoup trop tranquille. Une autre se serait étonnée,m’aurait demandé pourquoi je la faisais venir. Elle, rien. Rien quel’application d’un visage qui veut sourire à tout prix. Seulement,de sa tempe, j’ai vu une goutte de sueur qui coulait le long de sonoreille.

– Et alors ?

– Alors, tout cela est clair. Gertrude est complice des deuxbandits qui manœuvrent autour de l’affaire Kesselbach, soit poursurprendre et pour exécuter le fameux projet, soit pour capter lesmillions de la veuve. Sans doute l’autre sœur est-elle aussi ducomplot. Vers quatre heures, Gertrude, prévenue que je connaisl’annonce du Journal et qu’en outre j’ai rendez-vous avec Steinweg,profite du départ de sa maîtresse, court à Paris, retrouve Ribeiraet l’homme au chapeau mou, et les entraîne au Palais de Justice oùRibeira confisque à son profit le sieur Steinweg.

Il réfléchit et conclut :

– Tout cela nous prouve : 1° l’importance qu’ils attachent àSteinweg et la frayeur que leur inspirent ses révélations ; 2°qu’une véritable conspiration est ourdie autour de MmeKesselbach ; 3° que je n’ai pas de temps à perdre, car laconspiration est mûre.

– Soit, dit Gourel, mais il y a une chose inexplicable. CommentGertrude a-t-elle pu sortir du jardin où nous sommes et y entrer àl’insu des concierges ?

– Par un passage secret que les bandits ont dû pratiquerrécemment.

– Et qui aboutirait sans doute, fit Gourel, au pavillon de MmeKesselbach ?

– Oui, peut-être, dit M. Lenormand, peut-être… Mais j’ai uneautre idée…

Ils suivirent l’enceinte des murs. La nuit était claire, et sil’on ne pouvait guère discerner leurs deux silhouettes, ilsvoyaient suffisamment, eux, pour examiner les pierres des murailleset pour s’assurer qu’aucune brèche, si habile qu’elle fût, n’avaitété pratiquée.

– Une échelle, sans doute ? insinua Gourel.

– Non, puisque Gertrude passe en plein jour. Une communicationde ce genre ne peut évidemment pas aboutir dehors. Il faut quel’orifice en soit caché par quelque construction déjàexistante.

– Il n’y a que les quatre pavillons, objecta Gourel, et ils sonttous habités.

– Pardon, le troisième pavillon, le pavillon Hortense, n’est pashabité.

– Qui vous l’a dit ?

– Le concierge. Par peur du bruit, Mme Kesselbach a loué cepavillon, lequel est proche du sien. Qui sait si, en agissantainsi, elle n’a pas subi l’influence de Gertrude ?

Il fit le tour de la maison. Les volets étaient fermés. À touthasard, il souleva le loquet de la porte : la porte s’ouvrit.

– Ah ! Gourel, je crois que nous y sommes. Entrons. Allumeta lanterne Oh ! le vestibule, le salon, la salle à mangerc’est bien inutile. Il doit y avoir un sous-sol, puisque la cuisinen’est pas à cet étage.

– Par ici, chef, voici l’escalier de service.

Ils descendirent, en effet, dans une cuisine assez vaste etencombrée de chaises de jardin et de guérites en jonc. Unebuanderie, servant aussi de cellier, y attenait et présentait lemême désordre d’objets entassés les uns par-dessus les autres.

– Qu’est-ce qui brille, là, chef ?

Gourel, s’étant baissé, ramassa une épingle de cuivre à tête deperle fausse.

– La perle est toute brillante encore, dit Lenormand, ce qui neserait point, si elle avait séjourné longtemps dans cette cave.Gertrude a passé ici, Gourel.

Gourel se mit à démolir un amoncellement de fûts vides, decasiers et de vieilles tables boiteuses.

– Tu perds ton temps, Gourel. Si le passage est là, commentaurait-on le loisir, d’abord de déplacer tous ces objets, etensuite de les replacer derrière soi ? Tiens, voici un volethors d’usage qui n’a aucune raison sérieuse d’être accroché au murpar ce clou. Ecarte-le.

Gourel obéit.

Derrière le volet, le mur était creusé. À la clarté de lalanterne, ils virent un souterrain qui s’enfonçait.

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