La Vie ambiguë

VI – Du même

(Reçue à Krasnia-Kriaslchy, 26 avril.)

Faut-il vous dire, charmante et chèrecomtesse, que la journée passée avec vous ne s’effacera jamais dema mémoire, que le repas lourd de Nadejda Vassilievna m’a semblé leplus délicat dîner, que les trois heures que j’ai passées ensuiteavec vous, en attendant les chevaux, sont les plus heureuses de mavie ? En me disant au revoir, vous m’avez demandé pourquoi jene vous avais pas proposé de passer cette journée à Gniezdilovka.Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi… pourquoi… mais toutsimplement parce que je n’ai pas osé. Pensez-vous que je ne ledésirais pas, ne voyez-vous pas que toute ma vie vous appartientsans retour ? Je ne vous demande rien, je n’espère rien, monbonheur est de me sentir votre esclave et d’avoir un but dans lavie. Vous n’avez pas oublié sans doute, chère comtesse, votrepromesse de dîner demain chez moi avec Nadejda Vassilievna.Imaginez-vous qu’il faudra ajourner ce dîner parce que votre amie adéclaré qu’elle ne peut venir chez moi sans son mari (quellepruderie provinciale !) et son mari doit voir un grandpersonnage quelconque qui passera à Slobotsk vers six heures.Nadejda Vassilievna me demande de remettre ce dîner à après-demain,et j’espère que cela ne vous contrariera pas. Mais, dans ce cas, ily a une complication : vous aviez décidé de vous servir deschevaux de Nadejda Vassilievna, et les rosses de la tante devaientse reposer à la ville ; mais comme Nadejda Vassilievna viendraavec son mari dans un phaéton à deux places, ne consentiriez-vouspas à venir directement chez moi par le chemin de traverse, sanspasser par la ville ? Votre itinéraire serait lesuivant : jusqu’au radeau, vous viendrez par la route que vousconnaissez ; là vous tournerez à gauche, par Selikhovo etOgarkovo, après, vous prendrez la grand’route et, à la septièmeverste, vous verrez à votre droite la vieille maison deGniezdilovka s’épanouir quand vous passerez sa porte, commes’épanouira mon cœur, non pas encore vieux, mais déjà fatigué de lavie.

Partez plus tôt, vers neuf heures ; nousdéjeunerons dans ce pavillon du jardin dont je vous ai parlé etavec patience nous attendrons la bonne, mais ennuyeuse NadejdaVassilievna et son indispensable mari !

Je me permets de vous envoyer cette lettre parmon domestique. J’attends à genoux la réponse favorable.

A.MOJAÏSKY.

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