La Vie ambiguë

XXXIX – De Vassilisa IvanovnaMédiachkina

(Reçue 15 décembre.)

Excellence !

La mort de mon inoubliable bienfaitrice a étéune si grande douleur pour moi que je pensais que, du moins, ceserait la dernière ; mais votre lettre m’a prouvé qu’il n’y apas de limite aux tourments quand telle est la volonté de Dieu.Vous me demandez ce que sont devenus les diamants ! Mais,Excellence, comment le pourrais-je savoir ? La clef desdiamants était toujours dans la poche de votre tante ; ladéfunte pouvait les donner a qui elle voulait, et les amis, parentset connaissances étaient toujours très nombreux chez elle ; etil se peut aussi que quelqu’un ait volé les diamants, mais ce n’estpas moi. Pendant plus de trente ans, j’ai servi honnêtement etloyalement Anna Ivanovna, et ne l’ai jamais volée ; mais, pourme nuire, quelqu’un m’aura calomniée auprès de vous, car un passagede votre lettre fait allusion à une plainte que vous pourriezdéposer contre moi. Déposez, si vous voulez : je n’ai pas peurdu tribunal ; pour prouver mon innocence j’appellerai à témointoute la province, en commençant par votre ami AlexandreVassilievitch Mojaïsky, chez qui, comme je l’ai su il n’y a paslongtemps, vous alliez quelquefois à la campagne.

Sans doute, je garde le silence à ce sujet,car je suis convaincue que vous n’êtes pas capable de fairemal ; mais, devant la Cour, je ne me tairai pas, parce que,d’après la loi, je suis obligée de dire toute la vérité. Maispeut-être n’y avait-il aucune menace dans votre lettre, et meserais-je méprise en pensant que vous faisiez une allusion à laCour. En ce cas, je vous demande de me pardonner avecbienveillance : que ne doit-on pardonner à un cœurblessé ?

Je comprends très bien, Excellence, qu’il voussoit très désagréable de perdre l’héritage sur lequel vous aveztant compté ; mais moi, je n’y suis pour rien. Vous pourrezpuiser une grande consolation dans cette idée que Dieu a envoyé àvotre tante une belle mort, une mort vraiment chrétienne. AnnaIvanovna a prononcé plusieurs fois votre nom et vous a bénie :il est vrai qu’on ne pouvait bien distinguer les mots ; maisje connaissais trop la défunte pour me tromper. Le dernier motqu’elle ait prononcé est : « pruneau ». La princesseaînée se précipita vers la fenêtre et apporta une boîte, encoreintacte. Anna Ivanovna prit un pruneau, mais elle ne pouvait déjàplus manger : elle le pétrit entre ses doigts et le laissatomber. Sans doute, elle voulait montrer ainsi combien elle vousétait reconnaissante des pruneaux que vous avez envoyés siexactement. Mais le Dr Vietroff, que nous avons faitvenir de Moscou, a dit que les pruneaux ont fait le plus grand malà la défunte.

Avec le plus grand respect, j’ai l’honneurd’être, de Votre Excellence,

La servante,

V.MÉDIACHKINA.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer