XLIV – De la Princesse Krivobokaia
Je reçois à l’instant, chère Comtesse, votrenote sur les changements que vous comptez apporter aufonctionnement de notre Société, et je suis très touchée que vouscroyiez nécessaire de prendre conseil d’une vieille bête comme moi.Tout ce que vous proposez est admirable et je regrette seulementque cela ne me soit pas venu à l’esprit. Pourtant, moi aussi avaispensé que le secrétaire ne devait pas être rétribué et devait êtrede notre monde. Malheureusement cet Optine est venu avec ses septenfants, et, par pitié, j’ai décidé de lui donner 1500 par an. Etvoilà comment il m’a montré sa reconnaissance !
Ma grande amie Anna Mikhailovna seraabsolument folle à la fin de l’hiver ; chaque jour on apprendquelque chose de nouveau sur elle. Hier, la baronne Vizen est alléelui faire une visite matinale. Dans l’escalier, elle entend desgémissements. Selon son habitude, elle se précipite au salon sansse faire annoncer et voit Anna Mikhailovna couchée sur le tapis etqui hurlait hystériquement. À ce moment Varia, tout en larmes, estentrée. « Imaginez-vous, lui explique-t-elle, que nous nesommes pas invitées aujourd’hui au petit bal ; maman en a ététrès impressionnée : c’est la première fois de sa vie quepareille chose lui arrive. » Mais le mieux, c’est que toutesces larmes étaient inopportunes : il y avait eu erreur, toutsimplement. Avant le dîner l’invitation est venue, et quelquesheures plus tard toutes ces malades sont arrivées au bal avec desyeux gonflés. Comme je connais bien la comtesse Anna Mikhailovna,je crois absolument à cette histoire ; mais je ne puism’empêcher de dire que la baronne a bien de la chance de tombertoujours à pic dans des scènes de cette sorte : elle peutensuite jaser toute la semaine. Pourquoi cela ne m’arrive-t-iljamais ?