L’Illustre Maurin

Chapitre 16Césariot a trouvé quelque chose.

Césariot lui ayant été rendu par Lagarrigue,Maurin le conduisit chez M. Rinal :

« Expliquez-lui un peu la vie, monsieurRinal. Dites-lui ce que vous jugez à propos, tout ce que vousvoudrez sans exception, tout ce qui pourra lui faire dubien. »

Mis au courant de la situation d’esprit deCésariot, M. Rinal entre autres choses lui dit :

« Il y a beaucoup d’orphelins qui n’ontni père ni mère, mon garçon. Vous, vous avez du moins un père, etun brave homme de père qui n’était pas forcé d’aller vous reprendredans le mauvais endroit où vous étiez en péril. Tournez-vous versce brave homme et mettez-vous à l’aimer. Suivez ses conseils et lesmiens. S’il avait pu vous avoir auprès de lui quand vous étiez toutpetit, il vous aurait donné d’autres idées, mais il n’a pas pu etil n’y a pas de sa faute. Vous cherchez, comme tout homme sur laterre, un peu de bonheur. Il y en a plus, mon garçon, dans letravail que dans la paresse, dans l’estime des autres hommes quedans leur mépris ; il y en a plus à être pêcheur pauvre sur laplage, aux regards de tout le monde, que contrebandier dans unecaverne. Il vaut mieux mourir en mer par un coup de mistral quedans une infirmerie de prison. Misère pour misère, préférez cellequi vous permet de vivre au soleil, lequel n’est pas plus beau,plus chaud, plus réjouissant pour M. Caboufigue le riche, quepour le dernier des pêcheurs d’arapèdes. »

Et s’adressant à Maurin :

« Connaît-il Bernard ?

– Il n’en a jamais entendu parler.Parlez-lui-en, si vous voulez, monsieur Rinal.

– Allez chercher Bernard,Maurin. »

Comme Maurin allait sortir :

« C’est inutile. Le voici qui vient poursa leçon. »

L’enfant entra.

« Bernard, lui dit brusquementM. Rinal, je vais te faire passer un examen… Qu’est-ce quec’est qu’un contrebandier, le sais-tu ?

– Oui, monsieur Rinal. »

Et d’un ton un peu monotone, comme s’il eûtrécité sa leçon :

« C’est quelqu’un qui se procure desmarchandises soumises à l’impôt de la douane et qui les fait entrerpar fraude. Un contrebandier vole ainsi l’État, l’épargne commune.Il est comme serait un fils qui s’imaginerait ne pas être un voleurparce que, dans sa propre maison, il prendrait le bien de son pèreet de ses frères. Ce qui excuse un peu sa faute, c’est le couragequ’il montre à courir de grands périls ; mais ce qui l’aggravec’est que, pour n’être pas pris, il s’expose journellement àtuer ; il en arrive presque toujours à supprimer desexistences humaines, pour défendre sa liberté ; il fait desveuves et des orphelins.

– Et peux-tu me dire, Bernard, pourquelle raison l’enfant doit obéir à son père ?

– Je dois obéir à mon père parce qu’ilveut naturellement mon bien, et parce que je sais qu’ayant del’expérience, il connaît mieux que moi ce qui est mon bien.

– Si on te disait tout à coup que tu asun grand frère, que dirais-tu, toi-même ?

– Oh ! dit Bernard, je serais biencontent.

– Tu l’aimerais ?

– Oui.

– Même s’il était méchant ?

– Même s’il était méchant !

– Même s’il voulait devenircontrebandier ?

– Je l’en empêcherais bien !… dansson intérêt dit l’enfant d’un ton résolu.

– Eh bien, tu as un frère, que voici. Ilveut être pêcheur au Lavandou, avec le patron Antiboul. Il viendrate voir quelquefois ici. Il veillera sur toi. Comme il est tonfrère aîné, tu lui obéiras. Il remplacera ton père ; il neveut que ton bien… Et toi, Césariot, dis-moi, veux-tu que ton petitfrère que voilà soit contrebandier ou pêcheur ? »

Depuis un moment le jeune homme au front bascourbait de plus en plus la tête : son menton s’écrasait sursa poitrine ; un inexprimable sentiment de malaise, de honte,de dépit, l’enveloppait ; il eût voulu se révolter, frapperquelqu’un, crier une injure ; mais toutes ses volontésmauvaises demeuraient en lui comme nouées, tordues sur elles-mêmeset douloureusement impuissantes. Il se sentait sous l’influence dequelque chose de nouveau pour lui, et de plus fort, de plus grandque tout ce qui était lui-même ; et ce quelque chosel’intimidait, l’effrayait ; il eût voulu s’y dérober, fuir…mais ses pieds étaient cloués au sol. Il se heurtait à la Bonté età la Sympathie comme à des obstacles matériels, inconnus,brusquement dressés devant ses volontés pernicieuses ; cesforces-là l’étonnaient, lui étaient pénibles, insupportables.

Elles contrariaient tout en lui. Qu’était-ceque ces puissances qu’il n’avait jamais rencontrées ? De queldroit le prenaient-elles, voulaient-elles le lier et le conduire àleur guise ? Il frappa du pied ; il se détourna unpeu…

« Embrasse ton grand frère, mon petitBernard. »

L’enfant alla vers Césariot… qui éclata ensanglots…

Un bien-être entra soudainement en lui ;il ne lutta plus contre tout cet inconnu qui l’assaillait ; deson cœur, qui crevait, sortaient à flots, avec des larmes, lahaine, la rancune, l’envie… Et l’amour s’y engouffrait…

« Il est sauvé, dit le vieux docteur,mais qu’il pleure, qu’il pleure tout son soûl et de toutes sesforces. Embrasse-le bien, petit. »

Bernard étreignait Césariot le plus fort qu’ilpouvait.

« Embrasse-le, répétait M. Rinal,ton grand frère, qui sera toujours un honnête homme, car il achoisi, il choisit en ce moment, pour toujours, d’être un honnêtehomme.

– Assez ! assez ! sanglotaCésariot, assez ! »

Et on l’entendit qui disait à travers leshoquets convulsifs de sa douleur d’enfant •

« Jamais, jamais encore je n’avaispleuré… c’est le premier coup, le premier coup… (la premièrefois) ; ne me dites plus rien, monsieur… je ferai ce que vousvoudrez. Et j’obéirai à mon frère… et je leprotégerai ! »

Et, se baissant, il prit le petit à pleinsbras et le serra contre lui.

Je le protégerai ! C’était lemot de la régénération ! Il a tout à la fois la conscience desa force, la fierté de soi-même, le sentiment de la dignité humaine– l’être qui en protège un autre.

Maurin, ne sachant plus où il en était, sortitbrusquement pour aller regarder, du haut de la terrasse, si l’îledu Levant était toujours à la même place sur le bleu de la mer.

Le lendemain Césariot déclarait au patronAntiboul :

« Pêcheur sur la mer, patron, c’est leplus beau des métiers ! Je commence à lecomprendre. »

Et à quelque temps de là M. Rinal luidit :

« Enfin que voulais-tu ? quecherchais-tu ? Tâche de me l’expliquer ? Quedemandais-tu, mon garçon ?

– Ce que j’ai trouvé, monsieurRinal. »

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