L’Illustre Maurin

Chapitre 29Où l’on verra l’illustre bravadeur Maurin des Maures reconnaîtrel’Espagne comme l’ennemie héréditaire de ses aïeux maures ettropéziens.

Porter, avec le tromblon et l’épée, un costumequi vient de vos ancêtres, et cela dans un jour de fêtesolennelle ; être subventionné par l’État, pour célébrer unfait d’armes national ; – puis, malgré une victoire comiqueremportée sur un seul gendarme, sonner la retraite et s’enfuir –cette attitude en somme n’était pas très glorieuse pour unmousquetaire aussi brave que l’était Maurin…

Il est hors de doute que, à l’homme qui en estrevêtu, le costume quel qu’il soit suggère des pensées conformesaux traditions qu’il évoque.

Maurin, confusément, souffrait… Dans les vieuxplis de son pourpoint reprisé, tout un passé de gloire frémissaitde honte et lui reprochait de n’être qu’un mousquetaire demascarade, bien qu’il eût protesté du contraire quand Tonia avaittant ri, la veille, en recousant les boutons de la vénérabledéfroque.

Tonia, après tout, venait d’assister à lafuite du héros ! Elle avait, il est vrai, assisté également àla ridicule baignade de Sandri ; n’importe, Maurin n’était pascontent !

Il se disait bien qu’en fuyant il avait prisle seul parti raisonnable ; que toute autre conduite eût étéde sa part une fanfaronnade absurde… N’importe ! il fuyait,une trompe de chasse dans une main, un tromblon dans l’autre, ilfuyait, lui Maurin ! et, sans qu’il raisonnât ses impressionsde regret et de honte, il les éprouvait fortement, il se sentaitdécidément un mousquetaire pour rire, indigne de sa ville natale,indigne du magnifique passé qu’elle affiche tous les ans sur lesmurs de la maison commune.

Il n’y eut pas bientôt jusqu’à la présence deson fidèle écuyer Parlo-Soulet, galopant derrière lui, qui ne fûtcomme un reproche dont il était talonné. Quoi ! ils avaient, àeux deux, deux chevaux, deux tromblons, une trompe ! ilsétaient grisés du spectacle d’une bataille et de l’odeur de millekilos de poudre !… et ils fuyaient !

Dans sa colère, Maurin éperonnait son cheval,et le gros Pastouré, dont le poids écrasait la monture, avait peineà le suivre !

Maurin, qui avait « une grosseavance », s’arrêta sous le pin Berthaud, témoin naguère de savictoire contre Césariot. Pastouré le rejoignit.

« O Parlo-Soulet, dit Maurin, si nousretournions à Saint-Tropez ? si nous flanquions une tripotéeaux gendarmes ? L’occasion est belle. Nous filons comme deuxpéteux. Fuir, toujours fuir, ça m’ennuie à la fin ! Il y a unmoment où les sangliers traqués se retournent et font tête auxchiens. Je ne veux pas passer ma vie à être pourchassé. Si nousleur donnions, à notre tour, la chasse, aux gendarmes ?

« Sandri, si je calcule bien, doit, àcette heure, ou bien être arrivé à Sainte-Maxime ou bien, comme unplomb, être au fond de la mer ! Un des autres« brasse-carré » est tombé sur la place avec son cheval,je l’ai vu et il n’a pas pu se relever à temps pour nous suivre…Celui-là doit avoir les côtes malades. Allons jouer un bon tour àses collègues… Ils n’étaient en tout que quatre ou cinq.

– Et quel tour ? interrogeaPastouré, soucieux et prudent.

– Je n’en sais rien, réplique Maurin,mais ayant pour nous deux chevaux, deux tromblons et unetrompe ! et contre nous seulement trois gendarmes, nous avonsbien sûr de quoi nous amuser un peu, quoi qu’à vrai dire je ne voiepas au juste comment. »

Parlo-Soulet secoua la tête :

« C’est l’odeur de la poudre qui te rendfou. Rappelle-toi, Maurin, que c’est bien assez d’avoir affaire àla gendarmerie quand elle vous cherche… Ne la cherchons jamais denotre sicar (de notre propre mouvement). Enavant ! »

Et Pastouré donna du talon à son cheval.

« Tu dis : « En avant »mais tu tournes le dos à l’ennemi ! » lui criaMaurin.

Et il exhala un gros soupir.

Il comprenait cependant que Parlo-Soulet avaitraison, et quoique à contrecœur il le rattrapa au galop.

« Je dis « en avant », luiexpliqua alors Pastouré, parce que des gendarmes, si tu en veuxabsolument, pour sûr nous en trouverons à la Foux. Il n’y a pas debonne fête sans gendarme. Des gendarmes et des gardes, il y en auraà la Foux, sur le champ de courses, où l’on a construit cesjours-ci des arènes de bois et où courent aujourd’hui des taureauxet des toréadors espagnols. »

Maurin redressa l’oreille :

« Comment, s’écria-t-il… espagnols ?Tu es sûr qu’ils sont espagnols ?

– Espagnols du moins ils s’appellent, surles affiches que j’ai lues.

– Espagnols ! » répéta Maurinconsterné.

Et, dans un grand élan d’indignationsincère :

« Voilà donc les Espagnols à la porte deSaint-Tropez ! à la Foux ! à Cogolin ! le jour mêmede cette bravade qui nous renouvelle à tous comment, il y a dessiècles, nous avons mis en fuite, après trois heures de combat,vingt et une galères espagnoles ! Voilà donc maintenant queles barbiers espagnols viennent nous faire la barbe, le jour mêmede la bravade ! Des Espagnols faire leur fête à côté de lanôtre ! Ils versent sous nos yeux le sang des bêtesinnocentes, pendant que nos tromblons ne tirent qu’à poudre et fontles vantards !… Les Espagnols, je pense, se foutent denous ! »

Il serra son tromblon avec colère dans sa mainqui frémissait.

Il éperonna son cheval. Un enthousiasmemontait dans sa cervelle surexcitée. Il ne fuyait plus, il allait àun péril nouveau, inconnu. Il tournait un dos méprisant à la guerrecivile et courait sus à l’étranger !

« Je crois, dit Pastouré gravement, quenous n’avons rien à craindre, présentement, de cesEspagnols !

– Et qui te l’a dit ? ripostavivement le mousquetaire. Tu sais bien, Parlo-Soulet, que j’ai menéplusieurs fois des étalons du Golfe jusqu’en Camargue, chez ungrand propriétaire de là-bas qui voulait essayer de faire descroisements de nos chevaux de Grimaud avec les camarguais, quidescendent, comme les nôtres, des chevaux sarrasinois oumauresques… Je connais donc les Espagnols !

– Je ne savais pas, dit humblementPastouré, que la Camargue fût en pays d’Espagne.

– Elle est France, la Camargue !reprit l’autre ; mais depuis quelques années, apprends que lesCamarguais veulent être espagnols.

– Tiens ! Je ne savais pascela ! Et comment ? Et pourquoi veulent-ils êtreespagnols ? se récria Pastouré.

– Voilà l’affaire, dit Maurin qui mit soncheval au pas, mouvement aussitôt imité par son compagnon fidèle…Voilà l’affaire : Dans la Camargue, qui est une île dans leRhône et dans la mer…

– Elle est dans la mer ou dans le Rhône,cette île ? questionna le précis Pastouré.

– Dans tous les deux, vu qu’elle est dansle Rhône à l’endroit où il entre dans la mer.

– Et comment est cette île ?

– Il y a du sable, des marécages, dessiagnes, des ajoncs, des enganes ; – tiens, ça ressemble auxmarais des salins d’Hyères et un peu à la plage d’ici, au fond dugolfe.

– Je la vois, ta Camargue, dit Pastouré.Et qu’y a-t-il dans cette île ?

– Des gardians de chevaux et de taureauxsauvages.

– On y chasse ?

– De sûr ! tous les gibiers, lesanglier excepté… Pour t’en revenir à l’Espagne, dit Maurin, lesgens de Camargue, chaque année, marquent leurs jeunes taureaux avecun fer rouge, afin de les pouvoir reconnaître et de savoir à quiils appartiennent. On fait à cette occasion des jeux publics. Ons’amuse avec les taureaux. Les gardiens montrent leur adresse etleur force en se faisant poursuivre par les bêtes ; des fois,au moment d’être atteints, ils les évitent en sautant par-dessus, àla perche ; d’autres fois en posant le pied sur la tête dutaureau, juste à l’instant où il baisse le front pour les embrocheravec ses cornes…

– Ils ont un fameux courage ! ditPastouré.

– Peuh ! fit Maurin, j’ai essayélà-bas : j’ai réussi comme eux. Il faut être leste et ne pasperdre le sang-froid, voilà tout. Le taureau se retournedifficilement et un homme adroit l’évite sans trop de peine.

– Voilà un travail, interrompitParlo-Soulet, qui me serait impossible à moi, gros comme je suis.Sais-tu que je pèse deux cent cinquante livres ?… je feraispéter toutes les perches, et, pour l’heure, le cheval que je montedoit regretter son gendarme !

– Pour t’en revenir aux Espagnols, repritMaurin, on joue aussi en Espagne avec les taureaux, mais un jeutout différent et qui n’est pas beau ! et que je n’aimeguère !

– Je sais, dit Pastouré. On tue lestaureaux devant tout le monde.

– Parfétemein ! On tourmente lesbêtes ; on leur plante des flèches par tout le corps, comme onplante des épingles dans des pelotes. J’ai vu ça en Arles, où lesEspagnols sont venus gagner beaucoup d’argent, pensant que leursamusements de sauvages plairaient aux gens de notre Camargue. Ilfaut croire qu’en effet ils ont plu à ce peuple du Rhône puisqu’ils’est mis à réclamer le droit de donner de ces spectacles que lesEspagnols appellent des courses de mort. En Provence, en fin decompte, comprends-tu, Pastouré ? les courses de taureauxétaient des jeux où il y avait bien du péril pour l’homme, mais oùil n’y avait ni danger pour la bête ni cruauté contre elle. On nela torturait pas.

– J’ai entendu raconter que la torture,dit Pastouré savant, a été abolie par la Grande Révolution.

– Tout justement. Eh bien, les Espagnolsnous apportent en Provence la torture contre les bêtes. C’estdégoûtant ! Et tu vois ! d’après ce que tu m’annonces,les voilà maintenant aux portes de Saint-Tropez, lesEspagnols ! Ah ! si je pouvais les empêcher, cescourses !

– En attendant que nous les empêchions,moi, je les verrais volontiers, dit Pastouré, pourquoi je ne saispas ce que c’est.

– Eh bien, allons-y,alors ! »

Ils poussèrent leurs chevaux vivement.

Les arènes de la Foux se trouvaient sur lechemin que devait suivre Maurin pour regagner sa cabane, où ilcomptait reprendre ses vêtements habituels.

Les chevaux galopaient.

Les deux amis ne tardèrent pas à arriver surle champ de courses de Cogolin, en vue des arènes de bois dont lesplanches étaient couvertes d’affiches mi-partie jaunes etrouge.

Jaune, rouge, c’étaient les couleurs del’Espagne, le ruisseau d’or entre des rives de sang.

Ces affiches pullulaient ; on en avaitcollé sur le tronc de tous les pins parasols environnants.

« Tu vois ! dit Maurin, c’est lepavillon d’Espagne ! ils l’ont planté partout en terretropézienne !… Eh bien, nous allons voir ! »

L’en-tête de ces affiches était rédigéainsi :

Courses nationales du Midi

dites

GRANDES COURSES ESPAGNOLES

ou

COURSES DE MORT

Primera espada.

GONZALÈS TORTILLADOS EL FUEGO BARDILLAS

Le célèbre matador de Séville

ESPAGNE

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer