L’Illustre Maurin

Chapitre 52CHAPITRE LII Où Césariot est bien forcé de reconnaître qu’il doitla vie à son père.

Quand ils sortirent de leur cachette, ilsvirent venir à eux le berger qui était le maître de la porcherie etqui, sans le savoir, leur avait prêté deux pains.

« Oou ! c’est toi,Maurin ? »

Maurin s’expliqua et conclut :

« Voici ce qui nous reste de tes deuxpains. Le reste est mangé. Je te les rendrai à l’occasion.

– Je vous les offre de bon cœur, dit leberger. Mais filez vite vous mettre en sûreté, quoique à vrai direon vous croit morts tous deux, et c’est vos cadavres qu’on cherche.Où voulez-vous aller présentement ?

– À Bormes, où j’ai quelqu’un à voir, ditMaurin qui pensait à Tonia.

– Passons par la Garde-Freïnet ; desamis que nous avons là nous prêteront deux chevaux. »

Il se trouva qu’un curieux spectacle lesattendait à la Garde-Freïnet. On y célébrait, pour la fêtepatronale, le jeu antique des Bouffés.

Tous les jeunes gens du pays, armés d’unsoufflet, se poursuivaient l’un l’autre en chantant :

Sian uno bando

De bravo jouventùro.

Aven un grand fué qué nou brûlo.

Si sian immagina,

Per si lou fa passa,

Dé prendré leis bouffés,

Au cùon dé si bouffa.

Et tandis qu’ils poursuivaient aussi lesfillettes accourues pour les voir – tout à coup surgissaientd’autres jeunes hommes de troupe, et déguisés en pirates mauresqueset nègres qui mettaient les premiers en déroute et leur enlevaientles belles filles !…

Mais Maurin et Pastouré avaient bien d’autresaffaires. Ils quittèrent au plus vite la Garde-Freïnet, sur lesdeux bons chevaux qu’ils avaient empruntés, et ils résolurentd’aller passer par le bord de la mer pour dépister leurspoursuivants. Ils comptaient prendre le chemin en corniche quimonte et descend, au flanc des Maures, sur les pentes méridionales,au-dessus et le long de la mer ; en cas d’alerte laisser làleurs montures et gagner les bois familiers.

Le mistral terrible avait repris vers quatreheures, et bien qu’il contrariât leur marche, ce vent favorisaitleur fuite parce qu’il n’engageait personne à la promenade. Leschemins étaient déserts. La bourrasque ronflait en tempête. Dans legolfe de Cavalaire, pareil à un lac large d’une lieue, la mer, parmistral, ne vient pas de loin – la côte, qu’ils suivaient, étantprotégée par la pointe de Camara. Là-bas, à Saint-Tropez,cependant, les vagues se précipitaient sur le quai avec une fureurtelle qu’elles le couvraient par instants tout entier, ettrempaient d’embruns la statue du bailli de Suffren.

Quand ils furent en vue de la plage deCavalaire, Pastouré et Maurin assistèrent à un véritable ouragan.Tous les arbres de la plaine devant eux semblaient se coucher, prisd’épouvante. La mer fuyait les rivages du nord-est, et se ruaitvers le sud-est. C’était la tempête bleue. Les énormes lamesazurées se dressaient, portant, au faîte, des écumes, telles desmontagnes dressant au ciel leurs neiges ; et le vent magistralarrachait aux vagues ces blancheurs bouillonnantes, les emportaitau-devant d’elles, et c’était partout sur l’eau bouleversée un telarrachement de ces écumes envolées que sur la mer semblaient roulerdes nuages qu’elle suivait en hurlant, comme pour les rattraper.Aucune barque… Si, pourtant ! un bateau pêcheur en détresselà-bas !… Il s’efforçait de lutter contre la lame. Il espéraitpouvoir se mettre à l’abri sous la pointe ouest de la baie deCavalaire, et peut-être alors arriverait-il, avec ses quatreavirons, à gagner la terre… Un bateau de Saint-Tropez sansdoute !… Maurin, sans rien dire, pressa son cheval del’éperon ; Pastouré imita le mouvement. Dix minutes plus tard,les cavaliers couraient le long de la courbe immense de laplage.

Le bateau pêcheur paraissait avoir réussi samanœuvre. Il était parvenu à se mettre sous le relatif abri de laterre, mais le mistral qui courbe jusqu’au sol les cimes des pinschasse les vagues devant lui comme des troupeaux affolés ; et,au milieu de cette fuite des lames prises d’épouvante, le bateau,malgré l’abri de la terre, se sentait emporté loin d’elle. Lesarbres eux-mêmes paraissaient fuir devant le gros temps ;courbés, ployés, baissés, ils semblaient une armée en déroute,saisie de panique, éperdument ; et ils imitaient la fuitefolle des lames. Entraîné dans cet affolement de choses échevelées,le bateau perdait de plus en plus la terre… Les forces des hommes àbord, sans doute étaient à bout… Une lame prit tout à coup lapauvre embarcation par le travers. Elle chavira.

Au fond de la baie, la caserne des douaniersavait aperçu le bateau, et ces braves gens s’efforçaient de mettreune chaloupe à flot ; mais l’opération était difficile etsemblait devoir être longue.

Le roi des Maures, dressé sur ses étriers,ferme sous le vent qui faisait claqueter ses vêtements, regardaitles naufragés… Ils étaient deux qui tentaient de saisir l’épave.Ils apparaissaient à la pointe des vagues pour disparaître aussitôtentre des montagnes d’eau. Et la forêt des Maures jetait sesgrondements sur ceux des grandes eaux. Dans ce fracas Maurin cria àPastouré :

« Attends-moi, j’y vais ! »

Alors, le rude homme, le petit-fils despirates sarrasins et des pêcheurs tropéziens – chargea lamer !… Par assauts, elle venait contre lui, mais à chaquereflux elle semblait le fuir.

Dans le sable mou, les quatre pieds de soncheval entraient, cerclés d’eau et d’écumes rageuses.

« Je te suis ! » criaPastouré.

Mais le cheval de Pastouré se déroba, et entrois bonds, désarçonnant son lourd cavalier, le jeta dans lesécumes du bord. Pastouré, se cramponnant à la queue de sa bête, futramené par elle vers la terre où les douaniers le relevèrent sanstrop de mal.

Il se remit aussitôt sur ses pieds et voulutremonter à cheval, mais sa bête était devenue folle, elle luiéchappa et s’enfuit d’un galop épouvanté. Pastouré dut se résignerà laisser Maurin tenter seul l’aventure… Et comme il souffrait unpeu de sa chute, il permit qu’un jeune douanier courût après soncheval.

Et tous, alors, regardèrent, saisis d’uneadmiration terrifiée, le cavalier qui entrait dans la tempête. Lecheval de Maurin se déroba dix fois, brusquement maté tout deboutdans les sables du bord que par moments découvrait la mer. Il secabrait, et sur son ventre les vagues déferlaient comme sur unrocher mouvant. Il pivotait sur ses jambes de derrière, etobstinément tournait la tête vers le rivage, mais à chacune de cesvoltes, son cavalier, plus obstiné que lui, gagnait un peu dans lamer, vers le naufrage. Une dernière fois le cheval se dressa, mais,cette fois, au moment où il retombait sur ses pieds, il fut soulevétout entier par une lame énorme… et il se mit à la nage… Maurinl’enveloppa dans ses jambes nerveuses, l’étreignit dans l’étau deses genoux, lui tordit le col avec la bride ; les éperonsmordaient les flancs de l’animal, dans ces eaux furieuses oùpeut-être il croyait sentir la dent d’on ne sait quel monstreinconnu. De hautes vagues passaient par-dessus la tête du cheval etparfois semblaient devoir renverser l’homme ; mais Maurinbaissait le front et les traversait… Et il s’éloignait de terre…Une angoisse avait pris au cœur les assistants. Ils étaient là, sixou sept douaniers, avec Pastouré, tous changés en statues inutiles,immobilisés par l’angoisse…

Les naufragés, cramponnés à leur barquechavirée, étaient poussés obliquement, par le vent et les lames,vers la pointe sud-est du golfe ; ils virent enfin s’avancervers eux le sauveur intrépide… Mais Maurin les dépassa. Il jugeaitne pouvoir les prendre qu’en revenant vers la terre… Il tournabride enfin, saisit un des hommes par les cheveux et hurla dans latempête :

« Croche-toi ! »

Il avait ramené contre son genou l’homme qui,obéissant d’instinct, s’y accrocha.

L’autre avait compris. Sachant un peu nager,il s’élança et saisit l’autre genou du sauveteur.

Plus rien ne paraissait sur l’eau que laquille, bientôt disparue, du bateau chaviré, là-bas, roulé, emportédans les rafales… Le cheval, revoyant la terre devant lui,désespérément se sauvait de l’eau, de la tempête, de la mort…

« Tiens bon ! » clamait Maurinplus haut que le vent et la mer, chaque fois qu’apparaissaient horsde l’eau les visages hagards des deux hommes. Le cheval, livré àlui-même, s’en alla prendre terre assez loin du point dedépart ; il avait tourné à demi la croupe au vent, ilnaviguait à la lame… Pastouré et les douaniers couraient sur laplage pour les recevoir…

Le lieutenant des douanes était là… Ontransporta les demi-noyés dans la caserne où Maurin et Pastouréacceptèrent de se réchauffer un moment. Puis, lorsque à leur tourils s’approchèrent des deux naufragés qui, après avoir bu un boncoup d’aïguarden, revenaient à la vie :

« Té ! dit tout à coup Maurin d’unton jovial. Ah ! par exemple ! Celui-là, le jeune, c’estmon petit ! Césariot ! Ça me fait plaisir. En voilà unqui se peut vanter de me devoir la vie… hé !… petit ?qu’en penses-tu ?

– Monsieur, interrogea le lieutenant,dites-moi, s’il vous plaît, votre nom pour que je l’inscrive dansmon rapport.

– Mon nom ? dit Maurin. Ce petit quej’ai sauvé vous le dira… Quand je serai parti ! »

Le douanier ramenait à ce moment la monture dePastouré.

« Viens-tu, Pastouré ? Au revoir,messieurs ! Il fait un mistral et un soleil à nous sécher enun quart d’heure, nous et nos bêtes ! Voyez-vous, nous necraignons ni le feu ni l’eau, nous autres !… »

Les deux hommes remontèrent à cheval ets’éloignèrent au grand galop.

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