L’Illustre Maurin

Chapitre 56CHAPITRE LVI La Corsoise.

Ce Puits des Arbouses est sur un petit sommetdes Maures séparé de presque toutes les hauteurs voisines par desravins escarpés, embroussaillés, profonds de plus de cinquantemètres, mais très étroits, en sorte que, des collinesenvironnantes, on voit le puits comme tout proche, tandis que pourl’atteindre il faut descendre et remonter cinq cent mètres dechemin, à cause des lacets des sentiers qui serpentent parmi lesgenêts épineux et s’attardent dans la broussaille.

Maurin, sous la caresse de son chien, s’étaitressaisi tout à coup. Il s’était mis sur son séant et s’étaitdit :

« Allons, allons ! C’est un mauvaisrêve. On me connaît. On ne la croira pas… Il faut prendre desforces. Je vois que j’en aurai besoin… »

Et ouvrant son carnier, il fit son repas,donnant à son chien, pour remerciement de l’avoir un peu consolé,mieux que du pain tout sec.

« Pas moins, se disait-il, c’est unechose abominable… Enfin, on verra ! »

Maintenant, Tonia cherchait Maurin, maisd’abord elle était retournée jusqu’à sa maison… Et, s’exaltanttoujours davantage, elle y avait pris une arme.

Amoureuse jusqu’à la haine de jalousie, ellene voyait rien de la route qu’elle faisait. Elle avait jeté sur sonépaule sa petite carabine et elle montait la colline en s’aidant àchaque pas, pour écarter les épines, de ses deux mains qu’elleensanglantait. Les choses qui étaient sous ses yeux, les rochersfixes, les pierres roulantes, les noueuses branches, elle lesvoyait sans les voir. Cela passait sur le miroir de ses yeux sanslaisser de trace dans sa pensée, comme le nuage reflété par la meret qui reste indifférent au grand fond d’herbe ou de sable.

Dans son cerveau, il n’y avait qu’uneimage : Maurin embrassant Fanfarnette !

« Ah ! le gueux ! ah ! lementeur ! ah ! le bandit ! gibier de potence !Ah ! ils ont raison, gardes et gendarmes, de vouloir arrêterce gueux pour le livrer aux juges ! Mais ils ne l’auront pas,il est à moi, à moi seule ! C’est ma vendetta. Il est à moi.Il a fini de mettre à mal des filles, de laisser traîner desbâtards au coin des rues de tous les villages et jusqu’au fond destrous où sont les renards et les martres ! il a fini !C’est moi qui le dis. Je leur rends service à toutes, à toutes cesfilles stupides, qui le suivraient encore où il veut, quand ilveut, comme il veut. Il en aura trouvé une du moins qui lui réglerason compte ! Il comprendra, à la fin, qu’on ne joue pas avecun amour de Corsoise. Nous allons voir ! Il va vouloirm’ensorceler encore, en me parlant… que dira-t-il ?… Que jesuis sotte ! il ne faut pas l’approcher. Il faut l’apercevoirde loin… Oh !… et si, même de loin, à le voir, le cœur allaitme manquer !… On est ainsi. On se croit forte et puis on sesent tourner l’esprit dans la tête, et tout change, on dit :« Je suis tienne », tout le contraire de ce qu’onvoulait… C’est ainsi que devant le saint Pilon, àNotre-Dame-des-Anges, je me suis donnée à l’heure même où jevoulais le plus me défendre contre ce voleur… Il ne faut donc pasl’approcher. Il faut le guetter de loin et tirer sur lui, comme surun chien fou !… »

Elle s’arrêta. Tirer sur Maurin… letuer ! Cela, tout à coup, lui parut impossible. Voilà qu’ellene comprenait plus comment cette idée avait pu lui passer par latête !

Elle prit sur son épaule la carabine et laposa contre un buisson, se demandant si elle n’allait pas lalaisser là. Oui… Elle la laisserait là… elle la retrouverait auretour. Maintenant, elle allait courir à Maurin et chercher seslèvres… ses lèvres ! qu’il donnait à toutes… à toutes !Et cette Fanfarnette qu’il avait embrassée de force ! lapauvre innocente !… Ah ! oui, elle la vengerait, elleferait justice… La Fanfarnette !…

Tonia eut un vertige, elle ferma les yeux… etelle vit comme s’ils étaient là, Maurin et Fanfarnetteembrassés !… Sa haine d’amour la reprit. Elle étendit la mainvers l’arme qu’elle venait de déposer… Là-bas, de l’autre côté duravin, sur la colline du Puits des Arbouses, elle avait aperçu, àtravers des branches, Maurin qui, debout, regardait de son côté… Lavoyait-il ? Avec un flot de sang, un coup de rage lui monta aucœur… Elle avait saisi son arme… elle épaula. Elle tremblaittellement qu’elle dut appuyer le bout du canon dans une fourche debranche. Elle tremblait toujours. Elle visait et ne tiraitpoint.

Son doigt sur la détente croyait sentir le ferbattre comme un cœur ! Elle ne tirait pas… « C’estlui ! C’est bien lui !… Je te tiens, bandit !…Ah ! si je voulais, mais je ne veux pas !… Ah ! sije t’avais vu avec elle, comme – alors – je t’aurais tué !…avec elle ! avec la Fanfarnette ou même avec toute autre, maisavec celle-là surtout, avec celle-là que tu as cherchée, cherchéeet prise malgré elle, lâche, voleur ! traître, voleur etlâche !… »

Maurin là-bas, fit un mouvement. Il allaitdisparaître… Quand elle ne le vit plus, malgré elle à la fois etvolontairement, par l’effet d’une succession si rapide de vouloiret de non-vouloir que les deux étaient mêlés, elle pressa ladétente… Il ne lui semblait d’ailleurs plus qu’elle tirât surMaurin, puisqu’elle ne l’apercevait plus… Il sentirait du moinssiffler la balle. Il s’en souviendrait ! Et puis, comme ellene le voyait plus, elle n’éprouvait plus que la haine… Et enfin,elle était bien sûre de le manquer, quoique – si elle eût eu lepouvoir de faire les choses à sa guise – elle eût voulu le frapper,le blesser, non pas dangereusement sans doute, non pas pour qu’ilmourût, mais pour le punir… cruellement… à la manière corse !…Oh ! voir son sang !… et puis, s’il en mourait, aprèstout, pourquoi pas ?… il la faisait trop souffrir, à lafin ; il l’humiliait bien trop !…

Et son doigt convulsif avait pressé ladétente.

Maurin, invisible, mais qui, de là-haut,regardait dans la direction de Tonia, vit le nuage rond d’une fumées’élever au-dessus des broussailles qui lui cachaient sa sauvageamoureuse, et aussitôt, une balle dans la poitrine, il s’affaissa,en silence, comme un sanglier…

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