L’Illustre Maurin

Chapitre 40CHAPITRE XL Le merle des fanfares.

« À propos, dit M. Rinal,savez-vous, Maurin, ce qui s’est passé à Bourtoulaïgue, le 25juillet dernier ? On dit que vos deux fanfares, qui s’étaientsi bien gourmées à Saint-Tropez, le jour de la Bravade, se sontréconciliées avec un cérémonial extraordinaire.

– Ah ! ah ! s’écria Maurin,celle-là, voui, que c’en est une bonne, d’histoire !Figurez-vous que la veille du 14 de juillet, le maire fit appelerles deux chefs des deux musiques ennemies et leur dit comme ça« J’ai un merle ! »

– Bon début et qui promet ! »s’écria Cabissol, joyeux.

M. Rinal lui fit signe de ne pas troublerpar d’inutiles critiques le génie du narrateur.

« – J’ai un merle privé, dit lemaire. Et en le regardant, ce matin, à travers les barreaux de sacage, il m’est venu une idée… »

« La liberté est la meilleure de toutesles choses… mon merle en est privé… rendons-la-lui, maisrendons-la-lui d’une manière utile à la cause de la commune. Voicicomment. Ma fille, ce soir même, lui prendra mesure du tour de soncou, et lui préparera, avant de se coucher, une petite cravatefaite d’un ruban tricolore bleu, blanc, rouge. Et demain, 14 dejuillet, si vous êtes tous consentants, je réunirai les deuxfanfares, l’Harmonie et la Symphonie, dans la grande salle de lamaison commune. Nous fermerons les portes, nous ouvrirons lesfenêtres. Et nous apporterons mon merle dans sa cage, que nousmettrons sur la grande table du conseil.

« Tous les musiciens, avec leursinstruments entoureront la table.

« Sur un signe que je ferai, la porte dela cage sera ouverte solennellement. Aussitôt, les deux musiques semettront à jouer, bien d’accord, La Marseillaise, et lemerle s’envolera, aux sons de cette musique célèbre, emportant àjamais sur ses ailes le souvenir de toutes nosdiscordes ! »

« Les deux chefs de musique furententhousiasmés et répondirent :

« – Monsieur le maire, c’est uneidée sublime ! »

« L’idée fut trouvée, en effet, belle partout le monde à Bourtoulaïgue. Si on avait demandé aux deuxfanfares d’oublier tout bonnement leurs querelles, leurs rancunes,leurs colères passées, elles ne l’auraient pas pu ni voulu faire,mais la seule idée d’une si belle manifestation fit du coup uncommencement de paix dans le pays. Tout le monde voyait d’avance lemerle, décoré, s’envolant par la fenêtre, et emportant le souvenirdes discordes d’autrefois sur ses petites ailes noires. L’annoncede cette cérémonie transporta donc de joie tout le peuple deBourtoulaïgue. Elle eût enthousiasmé la France tout entière si lesjournaux en avaient parlé, mais il n’y a pas encore de journaux àBourtoulaïgue.

« Le 14 de juillet au matin, la cage dumerle, posée sur la table du conseil municipal, au beau milieu dutapis bleu marine où sont brodées en rouge les armes de la ville,fut entourée par les deux fanfares et par le conseil municipal,maire en tête.

« En bas, sur la place, devant la fenêtreouverte, la foule, tout Bourtoulaïgue, attendait.

« Trois jeunes fillettes, vêtues l’une debleu, l’autre de blanc, la troisième de rouge, entrèrent dans lasalle du conseil. La première ouvrit la cage dont elle attacha avecune ficelle la portette à ressort, de manière qu’elle restâtouverte, la seconde prit bien doucement le merle dans sa main, latroisième arrangea autour du cou de l’oiseau un petit rubantricolore.

« Puis le merle fut remis dans la cagedont la porte toute ouverte était bien en face de la fenêtre grandeouverte également. Il se fit un gros silence… Le maire alors parutau balcon et dit au peuple :

« – Citoyens, aujourd’hui, jourglorieux où fut renversée la prison d’État qu’on appelait laBastille, et pour honorer la naissance de nos libertés, mon merleva être rendu libre, lui aussi ! Déjà il porte les couleursnationales qui ont fait le tour du monde sur l’aile de laRévolution. Il est encore dans sa cage, dans sa prison ; iln’attend pour s’envoler par cette fenêtre que les premiers accordsde La Marseillaise… Répétez avec moi : « Vive lemerle ! vive l’union ! vive la liberté ! »

« Les acclamations de tout un peupleentrèrent par la fenêtre, mais il faut croire qu’elles firent peurau merle, car il se rencogna dans sa cage.

« Alors les deux chefs de musiquebattirent ensemble la musique et La Marseillaise éclataavec un bruit terrible dans la salle qui était beaucoupétroite.

« Chaque musicien, monsieur, regardait lemerle…

– Vous y étiez donc ? ditM. Cabissol.

– Chut ! dit M. Rinal, il croity avoir été : ça suffit. C’est l’artiste quicompose ! »

Maurin n’entendait plus rien… que LaMarseillaise et il voyait le merle.

« Et le merle, poursuivit-il, regardaitles musiciens, penchant sa tête, tantôt d’un côté, tantôt del’autre, mais pour ça, il était gêné par sa petite cravate,quoiqu’elle fût petite, parce qu’il n’en avait pas l’habitude,comme de juste. Il paraissait très étonné et, au lieu de le fairefuir, le tintamarre des instruments vous le clouait là ; oneût dit qu’il devenait empaillé !

« Le peuple, sur la place, ne voyaittoujours rien sortir par la fenêtre et chacun s’étonnait.

« – Qui sait ce qu’il y a ?Alors, il sort pas ? La musique pourtant lui devrait fairepeur… Oï ! que c’est drôle ! c’est « unaffaire » manqué ! »

« Que vous dirai-je, messiés ? Lemerle écouta La Marseillaise jusqu’au bout, mais quand lesfanfares eurent fini leur tapage… frutt ! tout en coup sansrien dire il s’envola de la cage et prit la fenêtre.

« Le peuple ne le vit pas ; ilpoussait des cris d’impatience à faire trembler lesmaisons !

« On chantait sur l’air des lampions« Le merle ! le merle ! le merle ! »

« Le maire se remit alors au balcon etdit :

« – Citoyens, il est parti ; ila emporté sur ses ailes le souvenir de toutes nos discordes. Vivela République !… Et surtout, citoyens, faites bien attention,quand vous irez à la chasse, à partir du 15 août, de ne pas letuer. Vous le reconnaîtrez à sa petite cravate ! Il est sousla protection des trois couleurs nationales ! »

« Alors la foule bien contente s’en alla.Elle gagna la place au bord de la mer et là tout le monde sepromenait, en se contant plus d’une fois la cérémonie.

« On remarquait que chacun des musiciensdu Triomphe de l’Harmonie donnait le bras à un musicien dela Victoire de la Symphonie.

« Tout à coup, un bruit courut dans lepeuple : « Le merle est revenu ! oui !oui ! il est revenu ! » C’était vrai ; il étaitlà, sur un des arbres de la place ; on le reconnaissaitfacilement, comme de juste, à sa petite cravate.

« Deux musiciens allèrent sous l’arbreet, le nez en l’air, ils l’appelaient d’une manière aimable.« Petit, petit ! »

« – Pechère ! disaient comme çales jeunes filles, il a perdu l’habitude de trouver sa nourrituretout seul dans les bois ! il revient à lamangeoire. »

« Un vieux retraité avait pour opinionque les musiciens devaient adopter ce pauvre oiseau qui ne savaitpas profiter de sa liberté.

« De ce temps, le merle était descendusur l’épaule de l’un des deux musiciens qui l’appelaient.

« Celui-là voulut le prendre, mais soncamarade, qui était de l’autre fanfare, l’avait vu avant lui et ilsse disputèrent. Premièrement vinrent les injures ; aprèsvinrent les coups de poing. Que vous dirai-je ? Tous lesmusiciens qui s’étaient faits amis depuis le matin, arrivèrent ausecours, chacun prit parti pour sa bandière (bannière), et unebataille épouvantable – comme celle du jour de la bravades’ensuivit, sous les yeux du maire, des adjoints et des gardes, quine pouvaient rien empêcher.

« À la fin des fins, le maire repritlui-même son merle et dit :

« – Citoyens ! nousrecommencerons au 14 juillet « de l’an qui vient. »

« Ah ! monsieur Rinal, conclutMaurin, je crois bien que leur cérémonie du merle, ils la referonttous les ans, à Bourtoulaïgue, et jusque dans les siècles dessiècles, pourquoi le merle des fanfares, voyez-vous, ça revienttoujours ! »

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