L’Illustre Maurin

Chapitre 51CHAPITRE LI Pastouré raconte l’histoire des Merlates qui étaientdes merles.

« Voici donc l’histoire desMerlates. Il est bon qu’on te la rabâche, ô Môourin !pour le bas où, malgré mes bons conseils, tu prendrais femme, etsurtout si la femme est une de ces Tonia qui tirent la carabinecomme des hommes…

« Un cultivateur de chez nous, nomméSanplan, avait épousé une jeune fille de la famille Charpinois(hargneux). Des gens de cette famille, on en trouve partout.

« Sanplan un jour tua deux merles aucimeau. Le rôti étant cuit, les époux se mirent à table, dans lasalle de d’en bas de leur bastide.

« Tout en se pourléchant les lèvres,Sanplan s’écria tout à coup :

« – Voilà un fameux merle !

« – Tu veux dire : une fameusemerlate ?

« – Je dis : un fameuxmerle !

« – Eh bien, tu as tort, répliqua lafemme, car c’étaient des femelles. Les mâles ne sont pas sibons !

« – Merlates, si tu veux,alors ! répondit Sanplan qui était d’humeur facile.

« – Il n’y a pas de si jeveux ! lui répéta la Charpinois ; je ne veux pas quetu aies l’air de me faire « une grâce ! »

« Sanplan était marié depuis peu dejours, et d’ailleurs son caractère n’était pas pénible, mais aucontraire tout à fait tranquille. C’est pourquoi d’un airaimable :

« – Et si je suis de ton avis,dit-il, à seule fin de te faire plaisir, où est le mal ?

« – Alors, cria-t-elle, tu t’entêtesà dire et à répéter que c’étaient des merles ?

« – Je m’en garderais bien !…c’étaient peut-être bien des bécasses.

« – Bécasses, bécasses ! Tu disbécasses pour te moquer de moi !

« – Mettons, si tu y tiens, que tuas mangé une merlate et moi un merle. La preuve,d’ailleurs, a disparu et tu n’as pas goûté du mien.

« – Je l’ai senti ; c’était unemerlate.

« – N’en parlons plus, c’est commetu voudras.

« – Comme tu voudras ! comme tuvoudras ! grogna l’insupportable femelle. Les choses ne sontpas comme on les veut. Elles sont comme elles sont !

« – Hélas ! soupira le mari,tranquille comme Baptiste, hélas ! oui, elles sont comme ellessont ! »

« Mais, à l’ordinaire, plus Sanplan étaitcalme, plus sa femme s’exaspérait, et comme elle n’était pas bête,elle comprit trop le soupir du mal marié :

« – Aï ! las !cria-t-elle, c’est à moi de soupirer !… Ma mère me l’avaitbien dit que je ne tarderais pas à être malheureuse avectoi !

« – Peuh ! ta mère ! tamère !

« – Eh bien, quoi, ma mère ? Tun’as pas de mal à dire de ma mère, à présent ! »

« Et prenant à témoin le monde entier quin’était pas là :

« – Vous l’entendez ? Vousl’entendez tous ? il me dit du mal de ma mère, àprésent ! il ne manquait plus que cela ! O ma brave, mapauvre mère ! Pourquoi ne suis-je pas restée dans la maison dema mère ! »

« Sanplan ne peut s’empêcher dedire :

« – Plût Dieu, carogne, que tufusses restée en galère !

« – C’est ça, insulte-moi !hurla misé Sanplan, née Charpinois… Va dire à tout le monde que tum’as prise en galère ! Et menace-moi de m’y envoyer !… Engalère, bon Dieu ! m’envoyer en galère ! et pourquoi jevous le demande, pourquoi ? parce que, tout bonnement, je neveux pas dire qu’une merlate est un merle ! N’est-il pas justede soutenir qu’une merlate n’est pas un merle ? N’est-ce pasla vérité même ?… Il faut être fou pour vouloir faire dire àune honnête femme une chose qui est l’opposé de tout bon sens et detoute vérité !… On ne m’a pas appris à mentir, chez mesparents… En galère !… Et je ne commencerai pas, non, pas mêmepour faire plaisir à mon homme. Non, non je ne mentirai pas !…c’étaient des merlates, des MERLATES ! desMERLATES !… Et l’on me pilerait dans un mortierplutôt que de me faire dire le contraire ! »

« Le repas fini, elle continua ainsi àgrognasser durant une heure, tout en tricotant des bas. Son mari nesoufflait plus mot. Elle tricotait sous la lampe, en grognassanttoujours :

« – De sûr, c’étaient desmerlates ! Il n’y a que des sots et des imbéciles, designorants, pour soutenir que des merlates sont des merles !…Oui, oui, c’étaient des merlates ! et au moment des derniersbadàous (bâillements d’agonie), je le répéteraiencore : « C’étaient des merlates ! desmerlates ! »

« – Ces merlates-là, dit Sanplan,que Dieu alors en préserve les merles, car c’est plus affaire auxmerles qu’à moi !

« – Cependant, riposta la Charpinoishors d’elle, cependant tu n’es toi-même qu’un sot merle ! unvilain merle ! »

« Sur cette dernière parole, Sanplantoujours tranquille, sortit de la cuisine, ferma la porte et montase coucher.

« Demeurée seule, la Charpinois continuade tricoter, tirant à elle, par petits coups, son fil de coton…

« Quand la Charpinois tricotait, ellelaissait courir son peloton à terre, de-ci, de-là – car ellen’avait ni chat ni chatte, ne pouvant pas souffrir les bêtes, quile lui rendaient bien.

« Maintenant elle continuait à jargouinertoute seule :

« – Devant le bourreau, je ledirais ! Le bourreau ne me ferait pas dire autre chose :c’étaient des merlates ! Au jour du dernier jugement, je ledirai encore au Bon Dieu, en personne : c’étaient desmerlates !… Il est en train de se coucher, ce grandlâche ! Il a peur de la vérité !… mais quand je vivraiscent ans, il ne m’entendra plus dire autre chose : c’étaientdes merlates ! et même de grossesmerlates ! »

« Et malgré son pégin (humeurmaligne), c’était bien doucement qu’elle tirait de temps à autreson mince fil de coton, précautionneuse à ne pas le rompre, car lesvrais Charpinois ne perdent jamais la tête, même au plus fort deleur charpin.

« Tout à coup, le fil résista. Elle tiraencore ; le fil se tendit. Intriguée, elle le suivit de l’œil.Le fil passait là-bas, sous la porte fermée.

« – Mon homme aura poussé lecabedèou (le peloton) du pied, le maladroit, en s’en allant…Ah ! les hommes ! ça ne fait attention à rien ! queferait-il, celui-là, s’il ne m’avait pas ! mais il m’a !et – j’en reçois tous les jours la preuve – il ne connaît pas sonbonheur, pauvre de moi ! »

« Elle se leva, prit la lampe, ouvrit laporte et, avec grande surprise, elle vit que le fil montait, parl’escalier, montait, montait, tendu tout le long des marches,contre le mur de la rampe.

« – Ah ! par exemple ! queveut dire ceci ? Il y a là-dessous quelque manigance… Monpeloton n’est pas monté tout seul, peut-être ! »

« Elle ne pensait plus aux merlates, ellen’en parlait plus du moins, car la curiosité des femmes a une telleforce que, pour apprendre un secret, les plus bavardes seraientcapables de se taire un petit moment.

« Le fil la conduisit au haut del’escalier… Là, elle vit qu’il entrait, en passant encore sous laporte, dans leur chambre à coucher.

« Elle y pénétra, sa lampe à la main.Elle suivit le fil du regard… Il grimpait sur le lit, où son marine dormait que d’un œil. L’œil qui ne dormait pas riait. Et le filconduisit le regard de la femme jusqu’au lit. Le fil disparaissaitsous la couverture. Elle le souleva et vit alors que le fil étaitattaché avec le peloton à un petit bâton, un joli petitmartin-bâton, pas trop noueux mais bien solide, avec lequel Sanplancaressait d’ordinaire le dos de son âne, et qui pour l’heurefaisait, comme son maître, semblant de dormir. Misé Sanplan nesoufflait mot, et pour cause : elle était occupée à regarderle gourdin.

« – Femme, dit alors le mari, ceciest un premier avertissement. Si tu t’amuses à me rompre la tête,je te romprai, moi, les échines. Mais, crois-moi, ceci ne vautrien, et des coups de bâton n’ont jamais rien accommodé… Je suisbon comme un imbécile, mais j’entends être respecté comme sij’étais un peu méchant, tiens-le-toi pour dit. Je vois avec plaisirque tu sais, à l’occasion, ne pas tirer sur un fil jusqu’à lerompre.

« – Quand je t’ai résisté, moi, sidoucement, sur la question de tes merlates, que le diableemporte ! pourquoi as-tu tiré si fort sur le fil ? Le filqui attache l’un avec l’autre un mari et une femme est plus finencore et pas tant solide que ton fil de coton, ma mie, et une foisrompu, il n’y a ni nœud ni épissure qui puisse le rendre neuf etjoli comme devant ! Si tu tires trop fort sur le fil que je tedis, il pétera, pechère ! et je te planterai là, toiavec tes merlates, car je tiens le bon bout – celui du peloton, –autour de ce bâton qui te représente ma volonté d’homme. Là-dessuscouche-toi, si c’est ton bon plaisir, et me laisse en paix jusqu’aujour ! »

« Que l’endiablée femelle se soit décidéeà porter dignement par la suite le nom de Sanplan et à faireoublier son nom de Charpinois, je n’en jurerais pas, dit Pastouréen terminant son histoire, mais du moins, de toute cette nuit-là,elle ne parla plus de merles ni de merlates, et Sanplan put dormirà poings fermés.

« Or, six ou sept heures de sommeiltranquille, quand on est marié, du moins comme il l’était, c’esttoujours un peu de bon temps de gagné.

– Tu me l’avais déjà contée toi-même,celle-là comme les autres, dit Maurin.

– Et tu avais oublié que tu l’avaisentendue de ma bouche, ô sans mémoire ?

– Non ! mais tu avais, toi, oubliéque tu me l’avais dite… Allons, allons, à tant parler avec un ami,toi qui jamais ne parles que seul, tu t’excites.

– On n’est pas tous les jours au fondd’un puits !

– Fais un somme, et après nous essaieronsde sortir d’ici. »

Pastouré ne répondit pas. Il s’était tout d’uncoup endormi comme une bûche. Ce sommeil, sans doute, sauva lesdeux compagnons car, maintenant, ils se taisaient tous deux,couchés côte à côte dans la galerie. La vérité dormait au fond dupuits et ainsi elle trompa les plus malins, les Sandri et lesGrondard.

Quand ils se penchèrent au-dessus du puits,ces deux-là et d’autres qui cherchaient Maurin et Pastouré, ilsn’entendirent pas même un ronflement.

Et ils ne virent rien, au fond de la noriaabandonnée, qu’un miroitement d’eau sur lequel flottaient quelquesdébris de pignes tombées d’un arbre voisin et deux grandes perchescalcinées.

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