L’Illustre Maurin

Chapitre 20CHAPITRE XX D’une conversation, substantielle et brève qu’eurentensemble M. de Siblas et Maurin.

Le lendemain, Maurin crut devoir rendre visiteà M. de Siblas. Il y alla… sans arme.

« Ah ! vous voilà, monsieurMaurin ?

– Oui, monsieur le comte, j’ai cru quec’était de mon devoir de venir vous dire les choses comme ellessont.

– Les choses politiques ?

– Oui, monsieur le comte.

– Eh bien, qu’y a-t-il ?

– Les journaux vous l’expliqueront mieuxque moi, mais je peux toujours vous dire que le congrès a adopté lacandidature multiple. Celle de Vérignon a été saluée par desacclamations. »

Ils causèrent un moment etM. de Siblas finit par dire :

« Vous le voyez, monsieur Maurin, nous nesommes pas loin de nous entendre. Ce ne sont ni les Vérignon ni lesMaurin qui me troublent, ce sont les Caboufigue.

– Ils sont aplatis, ceux-là ! »dit Maurin.

Et il conta à M. de Siblas, quiriait follement, d’abord son duel au bâton avec le fils Caboufigue,puis la harangue de Pastouré contre le père du baron romain.

« M. Caboufigue père est venu mevoir ; il ne m’a rien dit de tout cela, fit malicieusementM. de Siblas.

– Il n’en parlera pas souvent, jecrois », répliqua Maurin.

Et comme il se retirait, il revint brusquementsur ses pas :

« Alors ?… vous y tenez beaucoup, àavoir un roi ?… Quel malheur !… vous me plairiez tantsans ça ! dit-il au comte charmé de sa familière candeur.

– Mon Dieu ! déclaraM. de Siblas, je me passerais encore de roi si tous lescitoyens en étaient dignes.

– Dignes de quoi ?

– Dignes qu’on s’en passât, c’est-à-diredignes de la liberté. Un peuple honnête et intelligent. Or,beaucoup d’intelligences et d’honnêtetés, ce n’est pas facile àtrouver ; il serait plus aisé de trouver un bon roi ; ilest plus difficile en un mot de trouver vingt millions d’honnêtetéset d’intelligences, qu’une seule intelligence et qu’une seulehonnêteté.

– Bon, dit Maurin, quiréfléchissait ; il ne faut qu’une bonne loi.

– Qui la fera ? répliqua vivementM. de Siblas, si vous ne savez pas choisir voslégislateurs ? Hélas ! ce qui manque, ce sont de bonnesmœurs, de l’honnêteté, des caractères.

– Nous avons des enfants », ditMaurin devenu grave.

Le comte soupira ; puis, après unsilence :

« Vous pouvez être sûr que je neretirerai pas ma candidature. »

Il tendit la main à Maurin.

« À propos, monsieur le comte, ditMaurin, depuis que je ne vous ai vu, il s’est passé des événementsqui vous regardent. Je suis allé, venu, j’ai vu, j’ai écouté. Etj’ai quelque chose à vous dire qu’un peu plus j’allais oublier… ilm’aurait fallu revenir.

« Vous avez chez vous, dans vos bois deBrégançon…

– Des bohémiens qui m’ennuient,interrompit M. de Siblas. On leur a enjoint de s’enaller, ils refusent. Ils traitent mes bois en pays conquis, enforêts vierges d’Amérique. Je finirais par les déloger, avec de lagendarmerie…

– Gardez-vous-en pour l’heure, monsieurde Siblas ! dit Maurin. Si vous prenez ce moyen, ils sevengeront…

– Et comment ?

– Ils mettront le feu à vos bois, il n’enfaut pas douter… Et à vos bois, dit Maurin gaiement, j’y tiens,monsieur le comte, plus que vous, puisque vous n’y chassez pas, etque moi j’y chasse !… oh ! la bécasse seulement et lelapin… le perdreau aussi, mais pas les faisans ; d’ailleurs iln’y en a pas. »

Le comte se mit à rire.

« Attendez encore quelque temps,poursuivit Maurin. Ces bohémiens ont, pour être là, une raison queje ne peux pas dire et qui peut d’un moment à l’autredisparaître ; j’y travaillerai. Mieux vaut pour vous, danscette affaire, agir, avec de la patience ; je parlerai à depauvres diables de ma connaissance qui les excitent à rester où ilssont, et nous arriverons à les faire partir. Mais il faut un peu detemps.

– Au fait, dit le comte, je m’en remets àvous. Ces gens-là, après tout, ne me gênent guère, et pourvu qu’ilsne déboisent pas plus d’un hectare !… »

Il ajouta :

« Mais vous semblez moins gai, Maurin,qu’à l’ordinaire ?

– Tout lasse, monsieur. Les gendarmesm’ont beaucoup amusé d’abord, ils m’ennuient maintenant. Je croisque je me fais vieux. Et puis je vais des fois entendre les leçonsqu’un saint homme donne à mon fils et j’en rapporte des pensées…Ainsi, par exemple, depuis quelques jours, je serais incapable derevenir vous tuer un faisan. Ça me ferait l’effet d’un volvéritable. Je me semblerais un contrebandier. Tout ça parce que monpetit garçon a récité une leçon devant moi sur la contrebande.

– Nous finirons par nous entendre tout àfait. Vous êtes, mon ami Maurin, un bien honnête cœur d’homme.Revenez me voir au temps de la chasse. Nous ferons ensemble le tourde mon île.

– Avec plaisir, monsieur le comte… À vousrevoir. »

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