L’Illustre Maurin

Chapitre 57CHAPITRE LVII Une agonie de sanglier.

Tonia avait jeté son arme et aussitôt crié àtue-tête : « Maurin !… »

Elle voulut le rejoindre au plus vite, et touten courant de son mieux : « Il rira bien, quand je luidirai que j’ai voulu le tuer ! »

Cependant, nul cri n’avait répondu ausien.

« Il veut me troubler, pensa-t-elle, ilfait le mort ! il a compris, il se venge à sontour ! »

Elle s’arrêta, essoufflée, mit la main sur soncœur, qui battait à faire éclater son corsage, – puis se reprit àcourir. Elle allait ainsi, forcée de faire un long détour pour nepas se perdre aux ravins, remontant des mamelons, à travers lesgenêts épineux, se déchirant les jupes, s’ensanglantant les jambes,les bras, le visage fouetté de branches élastiques… s’arrêtantparfois une seconde pour écouter et repartant de nouveau…

« Mon Dieu ! pensa-t-elle tout àcoup, si je l’avais tué ! »

L’épouvante alors la prit et elle se hâtadavantage.

Puis elle s’arrêta, plus terrifiée encore àl’idée qu’elle trouverait tombé à terre, sanglant, mort, défigurépeut-être… Elle croyait le voir, là, à ses pieds, dans labroussaille et les pierres…

Enfin le sentiment simple et net de lasituation lui revint. Elle avait essayé de tuer son amant parcequ’elle l’aimait. Mort ou vivant, elle devait le rejoindre, et lesoigner… ou l’ensevelir ! Alors, elle alla droit son chemin,jusqu’au Puits des Arbouses.

Maurin, tout pâle, les yeux clos, haletait,couché sur le dos ; son chien léchait son visage ; dusang, il n’en paraissait guère. Le chasseur avait reçu une balleau-dessous de l’épaule droite ; sans doute l’épanchement étaitintérieur.

Tonia ouvrit le carnier du chasseur, y prit lagourde d’eau-de-vie, lui en mit quelques gouttes sur les lèvres, etlui mouilla les tempes.

« Maurin ! Maurin ! criait-elleen sanglotant !… Mon Dieu, Maurin ! qu’ai-je fait !reviens à toi, mon pauvre Maurin !… Maurin !… MonDieu !… Maurin !… pourvu que tu vives, le reste ne mefait plus rien !… Tu prendras toutes celles que tu voudras,Maurin ! je ne serai plus jalouse !… ah ! misère demoi ! qu’ai-je fait de toi ! tu n’étais pas parjure,n’ayant rien promis !… Je n’étais pas ta femme ! tum’avais prise, mais je peux bien le dire à présent, je t’avaisdésiré, voulu, je t’avais cherché !… Reviens à toi,Maurin ! Maurin ! »

Elle le souleva légèrement, mit le carnier enoreiller sous sa tête, lui fit boire encore un peu d’aïguarden.

Il ouvrit les yeux.

« Ah ! c’est toi, Tonia ? jecomprends, dit-il… c’était ton caractère. Je ne suis pasétonné !… c’était mon destin. »

Elle se mit à sangloter en silence :

« Pardonne-moi, Maurin !

– Eh bé, oui, pardi, que je tepardonne ! ce qui est dans notre destin ne nous regarde pas…je devais mourir de cette manière !

– Mourir ! Mourir ! cria Toniaéperdue ! ne meurs pas, mon Maurin, mon homme ! je seraitienne comme tu voudras… Ce que tu voudras, je le dirai, je leferai, – je le serai.

– Il est un peu tard ! dit Maurindoucement.

– Oh ! par pitié !pardonne-moi », gémit Tonia.

Et elle se pencha, lui prit la tête à deuxmains et l’embrassa à pleines lèvres, sur le front, sur les joues…sur les lèvres.

« Brigand de sort ! dit-il, tu esune belle fille et tu m’aimais, je le vois, mais ça fait bougrementmal ! »

Là-dessus il s’évanouit de nouveau.

Quand il revint à lui :

« À présent, dit-il lentement et parpetites phrases courtes, mon compte est bon… Comment vas-tufaire ? Il faut me tirer d’ici… Il faut quatre hommes aumoins… et qu’on ne sache rien… je dirai que mon fusil est partitout seul… brûle une cartouche… bon. À présent, va-t’en… Ça seradur, la nuit. Je calcule qu’avant le jour tu ne peux pas êtreici… »

Elle retira son cotillon, lui en enveloppa lesjambes, mit son foulard autour de son cou, fixa son feutre sur satête, mit la gourde auprès de lui, l’arrangea enfin pour le mieux.Au-dessus de sa tête elle fit un toit de branchages.

« Tu m’as pardonné, Maurin ?…

– Oui, dit-il, mais ne me tourmenteplus. »

Elle l’embrassa. Il se disait :« C’est bien le dernier baiser que je reçois ! » Ettout haut :

« Il y a un homme, Tonia, à qui tupourras tout dire, c’est M. Rinal, à Bormes, avec bien desremerciements de ma part parce qu’il a instruit un de mes enfants,mon petit Bernard… À présent, va-t’en au plus vite, pour plus viterevenir… »

Elle s’éloigna, il la rappela.

« Que veux-tu, Maurin ?

– N’oublie pas de dire à M. Rinalbien des remerciements de ma part… et que le Bon Dieu tebénisse ! »

Elle dut le laisser seul. Il lui fallutplusieurs heures pour trouver du secours.

La nuit était venue.

Seul, là-bas, Maurin était à terre, brûlé defièvre. Un lourd sommeil l’écrasa, et son esprit excité sedémenait, tout en visions, sous le poids de plomb du sommeil.

Une sensation plus nette que toutes les autresrevenait sans cesse. Il se croyait transformé en porc sauvage,selon son expression habituelle, en sanglier blessé. Et tantôt ilsentait couler le sang de sa hure déchirée et le long de sesdéfenses. Alors il fonçait sur un chasseur, et parvenu près de cechasseur, il reconnaissait avec épouvante que c’était lui-même…Mais il était lancé et il enfonçait un de ses crocs de sanglierdans sa propre cuisse d’homme, puis il s’enfuyait, à grands bonds,cassant sous lui les bruyères sèches.

Alors le chasseur, qui était Maurin, le visaitet lui brisait la jambe. Et il tombait sur son train de derrière etse traînait dans la broussaille, tandis qu’au loin on criait :« À la barre ! » Par-dessus tous les autres cris, ilreconnaissait la voix de Tonia… puis celle de Pastouré :« À la barre ! »

Les chasseurs accouraient tous… et parmi euxMaurin, le plus acharné ! – Et lui-même il sautait sur lesanglier, c’est-à-dire sur un autre lui-même !

Alors il ressentait une double douleurhorrible, dans sa jambe de sanglier et dans sa jambe d’homme, et lechasseur Maurin frappait sur le crâne du sanglier Maurin, à grandscoups d’une pierre aiguë qu’il avait ramassée.

Et entrouvrant les yeux sous la lune, leblessé murmura :

« C’est la fièvre. Je suis à demi mort.Tout ça, c’est des mauvais rêves…

« Pourquoi, dans le rêve, ai-je souffertde la jambe, puisque je suis blessé à la poitrine ?… c’estdrôle, les songes !…

« Tonia va revenir… Onm’emportera. »

La nuit était sereine. À travers lesbranchages, il pouvait voir le fourmillement des étoiles… Et lemurmure des grandes vagues s’entendait, ressemblant à celui du ventdans les pinèdes, mais rythmé à temps égaux…

« Qui regretterai-je, si je dois quitterce monde ? se demanda-t-il un moment, à travers son délire…Les gendarmes ? les préfets ? les braconniers ? lesdéputés ? les femmes ? le gibier ? ou Tonia ?mon fils ? Mon fils, M. Rinal l’instruit : tout vabien… M. Rinal ? celui-là oui, et pas d’autre… je n’enregretterai aucun autre, pas un… ah ! si !… PauvrePastouré !… »

Tout à coup, dans son cauchemar, il reconnutFanfarnette, son corps jeune, blanc frais, tout nu, sortait d’unejarre… Mais il la regarda au visage, elle avait un bec detardarasse et elle lui répétait : « Tout le déshonneursera pour toi ! » Alors une sourde terreur s’engouffra enlui ; toutes les douleurs de sa chair le mordirent à la foiscomme des chiens enragés et, calme, il dit tout haut, à la manièrede Pastouré : « C’est bon de mourir – pour ne plus rienvoir de tout ça. Les choses vont bien ainsi… »

Une douleur contracta sa jambe… il se raiditet parvint à se mettre sur son séant. Il s’aperçut qu’il était dansune flaque de son sang. Il eut la volonté d’en sortir. Il se tournasur le ventre, appuya son menton dans ses mains et, marchant surses coudes, il se traîna un peu… comme le sanglier, dont on a casséles reins, se traîne encore sur ses pattes de devant. À cemoment-là, une lueur de lanterne apparut sur la colline, en face delui à travers les chênes-lièges aux troncs écorchés et commesanglants. Il s’étendit sur le dos en soupirant et perditconnaissance.

Un train sifflant et ronflant passait là-bas,au bord de la mer. La voix de fer du siècle couvrait la plainte dumoribond.

Son chien, couché à ses pieds, gémissaitinconsolablement.

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