L’Illustre Maurin

Chapitre 8Le citoyen Marlusse, natif de Bandol, raconte le Plan del’Exposition.

À ce moment M. Cigalous aperçut, àtravers la vitre, le brigadier Cantoni, de la gendarmerie deBormes :

« Halbran, dites au brigadier, qui sepromène sur la terrasse, d’entrer un peu, que j’ai à luiparler. »

Halbran sortit.

« Celui-là, c’est, dit M. Cigalous,la fine fleur des bons, des vrais gendarmes, un serviteur horsligne. »

Cantoni entra.

« Prenez un siège et demeurez un instantavec nous, Cantoni. J’ai voulu vous présenter à ces messieurs. Jeleur ai fait votre éloge simplement, en disant sur vous lavérité. »

On échangea des politesses, le verre enmain.

« Ah ! vous voilà, monsieurMaurin ? dit Cantoni d’un air aimable.

– C’est bien moi, dit Mauringaillardement. Il y a quelque temps que je n’osais plus tropparaître ici.

– Eh ! fit Cantoni… je sais, jesais… Que voulez-vous, nous avons des ordres parfois et nous devonsobéir ; mais tout le monde sait qu’on n’a rien de grave à vousreprocher. Au contraire même ! puisque aujourd’hui vous êtesreçu avec honneur, comme de juste. La vraie justice finit toujourspar avoir le dessus… je vous félicite… Les poursuites sontabandonnées. J’étais en congé quand vous avez fait ici cette battueoù vous avez eu un homme tué…

– Vous en avez vu d’autres !répliqua galamment Maurin, et vous avez plus d’une fois donné etreçu de mauvais coups en arrêtant des coquins.

– Ce que je voulais dire, continuaCantoni, c’est que, cette fois-là, vous avez un peumécontenté les gendarmes, à ce que j’ai appris, en les plaisantantun peu mal à propos… Celui qui attend le sanglier qu’onchasse à l’espère ne peut l’arrêter que s’il passe à saportée et non pas hors de vue et près des autres chasseurs.

– Mais, dit Maurin avec noblesse,croyez-vous donc, brigadier, que j’en veuille aux gendarmes ?Il y a une affaire entre Alessandri et moi, une affaire d’homme àhomme, et si les autres gendarmes se croient touchés, ils onttort.

– Vous savez bien, Maurin, qu’en vouspoursuivant lorsqu’ils en ont l’ordre, ils font leur devoir.

– Entendu ! dit Maurin ; maisalors je fais le mien en leur échappant quand je peux et comme jepeux. Ce n’est pas d’être arrêté par eux que j’ai peur, mais d’êtregardé par d’autres. Mon grand-père me disait que si on l’accusaitd’avoir volé Coudon et Faron, les deux montagnes toulonnaises,quoique tout le monde continuerait à voir à leur place les deuxmontagnes, il aimerait mieux ne pas avoir à faire en justice lapreuve du contraire.

– Ce n’est plus un mystère pour personne– dit Cigalous, qui voulait convaincre Cantoni de l’innocence deMaurin – ce n’est aujourd’hui un mystère pour personne que Maurin aété accusé de meurtre… tout simplement ! »

Mme Labarterie eut un petitfrisson. M. Cigalous continua :

« Oui, accusé de meurtre par Alessandri,sur la foi d’un Grondard ! Les Grondard sont des canaillesau-dessous de tout, et celui qui a tué le père a délivré le paysd’un véritable fléau. Voilà ce qu’aurait dû se dire Alessandri,pour laisser Maurin tranquille. Mais Alessandri est amoureux etjaloux, et le pauvre Maurin a payé un peu cher quelques mauvaisesplaisanteries ! Pour moi, je n’avais pas songé à accuserMaurin lorsqu’on a trouvé Grondard dans le bois avec sa balle dansle corps. Mais quand il serait l’auteur de cette mort,j’applaudirais en bon maire, sachant sur ce Grondard des choses àfaire dresser les cheveux sur la tête.

« Et le fils Grondard, il y a quelquesjours, n’a-t-il pas essayé de tuer Maurin ? mais cela s’estpassé sans témoin, la nuit, et sur ce qu’on ne peut prouver, lemieux est de se taire !…

« D’où je conclus qu’avant d’envoyer leurmandat d’arrêt, MM. les juges pourraient souvent mieuxapprofondir les choses et tâter mieux l’opinion publique.

– Je n’ai appris, dit Cabissol, qu’avectout le monde l’accusation portée par Grondard fils, et je partagel’avis du maire. Je pourrais dire d’étranges choses sur votreGrondard et je le dirai quand il faudra.

– Mais, affirma M. Rinal, par-dessusle marché, Maurin n’a pas commis l’acte qui pourrait bien êtreméritoire et qu’on lui reproche… Allons, allons, nous l’ennuyons denos bavardages inopportuns. Nous avons mieux à faire que de luirappeler les mauvaises heures.

– Oh ! mauvaises ! fit Maurin.Je n’en ai passé qu’une de mauvaise, c’est lorsque j’eus les mainsliées… Ça, par exemple, ne me plut guère… mais vous avez raison,parlons d’autre chose. A tu, Marlusso ! »

Cigalous avait engagé une conversationparticulière avec M. Rinal :

« Allons donc ! disait celui-ci.

– C’est comme je vous l’affirme.Ah ! si vous croyez que tout est pour le mieux dans lameilleure des républiques ! Il y a des routines qui n’ontpeut-être jamais eu de sens et qui en ont aujourd’hui moins quejamais. Oui, monsieur. Je suppose qu’un meurtre soit commis ici, àBormes, par un chemineau : il prend la route de Cogolin àDraguignan. Croyez-vous que moi, maire, je puisse télégraphier àCogolin ? pas du tout. L’assassin file vers l’est : ilfaut que je télégraphie à l’ouest, c’est-à-dire au parquet deToulon. Voilà ce que je suis forcé de faire en ce temps de cheminde fer, d’automobiles et de bicyclettes ! Vous voyez comme ilest aisé de faire la police dans nos campagnes !… Mais neparlons pas de ces absurdités… À toi, Marlusse ! »

L’assemblée, qui s’était tue pour écouterparler le maire, cria unanime :

« À toi, Marlusse !

– Eh ! dit Marlusse, en faisant lemouvement de repousser avec son coude l’importunité de la demande,comme si elle eût été une main posée sur lui, eh ! vous me lademandez toujours ! Elle m’ennuie à la fin ! C’est pourvous ficher de moi !

– A tu, Marlusso ! fit Pastouréd’une voix de contrebasse.

– Pastouré a parlé, remarqua Novarre,miracle !

– Allons, Marlusse, implora BenoniSoufflarès, dis-la sans te faire prier, que d’ordinaire tu nousromps la tête avec cette même histoire ! et qu’aujourd’hui,devant tout ce monde qui te la demande, tu ne la dirais pas ?Voyons, cause, bestiasse !

– Tu nous la diras, cette histoire ?la diras, aquell’histoiro ? insista Mascurel.

– Il la dira, l’histoire ;l’histoire, il la dira ! » compléta Lacroustade.

Marlusse avait une cinquantaine d’années. Onlui voyait aux deux tempes, une patte-d’oie pleine de gaieté et degaillardise. Il était coiffé d’un immense faux manille l’été,l’hiver d’un feutre de mêmes dimensions, dont il abaissait le bordavant sur son nez en visière de casquette et dont il relevait lebord arrière au-dessus de sa nuque ; conspirateur par-devant,mousquetaire par-derrière moqueur tant derrière que devant, simoqueur que sa pipe au tuyau de roseau avait l’air de prolongerdans l’espace son ironie devenue fumée !

Marlusse, patron bouchonnier, avait un aircossu et heureux de vivre.

« Allons, dit-il, ze la conterai,puisqu’il la faut conter, mais ce n’est pas un conte comme lescaphandrier, vu que c’est bien arrivé. C’est le souvenir de notrevoyage à Paris, où nous allâmes voir l’EsspositionUniversel. Il faut vous dire que, depuis quelque temps, nousmettions d’arzent de côté en jouant à la quadrette, M. leMaire, Novarre, Soufflarès et moi, dans l’idée d’aller àl’Essposition, pour l’anniversaire de Quatre-vingt-neuf,en l’honneur des principes, comme de zuste ! »

Ici Marlusse s’interrompit. Novarre,Soufflarès et M. Cigalous le regardaient comme il lesregardait, de l’air de quatre augures qui savent le fin du fin.Toutes les pattes-d’oie étaient rayonnantes. Il semblait qu’il yeût entre ces quatre hommes un mystère extravagant, un monde degaieté, un formidable sous-entendu… qui échappait à tous lesprofanes. Évidemment, c’est ce qui n’était pas dit qui était leplus drôle.

Après un silence, Marlusse reprit, d’un tonplaintif et vexé :

« Si c’est possible, ça !Voyez-vous, madame et messiés, ils se préparent déjà à rire, mescamarades de voyage, et ils savent bien pourquoi. Ce n’est pas monhistoire elle-même qui les fait tant rire, c’est de savoir que jene sais pas la bien conter… Enfin, je n’en prends mon parti, parrespect pour la compagnie. »

Marlusse tira une bouffée de sa consolantepipe et poursuivit :

« L’Essposition arrive. On part… Nousnous « carrons » dans un bon « vogon » detroisième classe… »

Ici la figure de Marlusse exprime lasatisfaction qu’on éprouve à se trouver dans le paradis même.

« Nous allumons une bonne pipette.Et : faï tira, Mariu !… C’était un train deplaisir. Nous passons par Marseille comme de juste et nous arrivonsà Paris. »

Ici, voyant qu’on riait, Marlusses’interrompit de nouveau :

« Si vous riez de moi déjà, monsieur lemaire, ze ne pourrai pas continuer. Faut que z’y renonce !Allons, zou ! Novarre, m’aregarde pas comme ça. Soufflarès, tume souffleras, qué ?

– Va de l’avant, Marlusse, les Parisienst’écoutent.

– La première idée qui nous vint, àParis, c’est que c’est une ville comme toutes les autres, un peuplus grande seulemein, mais pas plus belle. C’est tout des maisons,comme à Bormes ; toute la différence, c’est qu’il y a un peuplus de voitures !… Pour vous le faire court, nous allâmesloger en un hôtel qui est au coin de la rueNotre-Dame-des-Victoires et de la place Notre-Dame-des-Victoireségalemein… ici, tenez ! »

Marlusse posa sa pipe sur un coin de table,rapprocha ses deux index tendus et, du médius de la main droitechevauchant l’index, il s’efforça de mettre sous les yeux de sesauditeurs l’angle de la place et de la rueNotre-Dame-des-Victoires, à Paris.

Tout le monde regardait avec un sourireamusé.

« L’hôtel est là, là, voyez ! disaitMarlusse.

– Je le vois, fit M. Rinal.

– Bon ! poursuivit Marlusse, quireprit sa pipe. On dit que les zens du Midi, ça zesticule. Mais ilest clair comme le zour que le zeste il aide la comprenure.

– Nous voyons l’hôtel, dit Labarterie queMarlusse regardait attentivement.

– Nous habitâmes là, et dès le lendemainnous y allâmes, à leur essposition… Quand z’y pense !… nousentrons, et qu’est-ce que ze vois ? des boutigues avec encoredes boutigues ; il y en avait d’orfèvres, il y en avait demarçands de soie, avec leurs marçandises sous des vitres. Té !ze dis, nous sommes venus de si loin pour voir la Canebière ou larue Saint-Ferréol ? Cependant, ze tourne, ze vire, ze regarde,puisque nous étions venus là pour ça. Tout en coup : « Véze me dis, que ze me suis perdu ! Où est M. lemaire ? Où sont tous mes collègues ? » C’étaitvrai ; ze les avais perdus… coquin de bon sort ! Ze lescerce, ze les cerce trois ou quatre heures, ze revire, ze tourne,puis à la fin ze me dis : « Tu sais l’hôtel :retournes-y. » Je sors, messiés, ma belle dame – en bé !croyez-vous que ze m’aperçois que z’avais tourné sur place, depuisquatre heures, povre moi ! Z’avais tourné aux alentours d’uneporte, celle par où z’étais entré et par où ze sortis, couyouncoumo la luno, parlant par respect. Alors, ze me dis :« Marlusse, ça ne t’arrivera plus. « Pour plus te perdre,il faut aceter… »

Ici, Marlusse s’interrompit encorebrusquement. Il regarda d’un air d’inexprimable malice ses quatrecompagnons de voyage qui recommençaient à rire tout haut, etdéclara :

« Nous y sommes ! les voilà qui semettent à se ficher de moi ! Ze vous l’avais pas dit,madame ? La comédie n’est pas dans mon histoire, mais dansleur malice. Ils me la font dire, l’histoire, pour en arriverlà ! Et ce n’est pas à m’écouter que vous prendrez du plaisir,c’est à les voir, euss ! »

À ces mots, Soufflarès et Novarre, n’y tenantplus, levèrent un bras au ciel et laissèrent retomber leur poingsur leur cuisse en criant :

« De ce Marlusse !

– D’aqueoù Marlusso ! traduisitvivement Mascurel.

– Il est bon ce Marlusse ! ceMarlusse il est bon ! »

Et le rire du canard Lacroustade dominait tousles autres.

M. le maire souriait finement, enjouissant de voir les Parisiens ne rien comprendre. Il fit observerseulement :

« Vous voyez bien : il n’y a que lesmocos pour savoir rire d’eux-mêmes. »

Marlusse reprit :

« Riez, riez, collègues ; allez,allez, ze sais de quoi ze vais parler !… Ze ne l’ai pasoublié, cette fois, et vous serez bien attrapés !… Ze l’ainoté, noté dans ma cervelle, le mot principal… il est gravé, là… Zele tiens. »

Il se touchait le front du doigt, d’un airgénial.

Il reprit, après un silence durant lequel ilavait toisé ses amis avec dédain :

« Pour vous le faire court, le lendemainmatin, ze m’éveille de bonne heure, et pendant que les camaradesdorment, ze mets mon pantalon, ma veste, ze m’habille… quoi !ze me débarbouille… enfin ze fais comme tous les matins àl’habitude et ze sors… « Té ! « zed me dis dans larue, pour plus te perdre à l’essposition, tu vas aceter de cepas… »

Ici, Soufflarès, Novarre et le mairelaissèrent échapper un formidable éclat de rire. Et Lacroustadeimita le canard, éperdument.

Marlusse leur jeta un coup d’œil furieux, puisil prit un air d’attention profonde sur lui-même, le regard tournéen dedans, comme absorbé dans la recherche d’une pensée subtile etfugace. Enfin, tout à coup, comme en détresse :

« Noum dé pas Diou ! Ze l’ai encoreoublié !… Eh bé, ze vous l’avais pas dit ? Voilà,messiés, pour ces bougres-là, le plus beau de mon histoire !Voilà pourquoi ils me la font conter à tous les banquets, pour sefice de moi à leur aise. C’est que – c’est pourtantvrai ! – toutes les fois que ze la conte, z’oublie un mot, lemot principal, je vous dis ! Z’ai beau le savoir quand zecommence, z’ai beau me le répéter à table le jour, au lit la nuit,touzours ze l’oublie encore ! C’est comme une petiteinfirmité, et euss ça les amuse… Un peu de çarité, monsieur lemaire, que vous savez ce que ze veux dire… Digavo mi !…Dis-le-moi, Novarro… ou toi, Soufflarès… As féni, Lacroustado, défaïre lou canar ? De faire le canard, tu as fini,Lacroustade ? Ze te dirai en français que tu es-t-un âne,Mascurel, et ze te le traduirai en bon provençal : siès qu’uncouyoun ! Zou, vite, souffle-moi, Soufflarès… un, un… que zevoulais l’aceter parce que z’en avais un besoin énorme… un çoze, unmaçin, une histoire… ze l’ai au bout de la langue !… Ils me lediront pas, que tout le plaisir, madame, c’est de me le fairecercer… un Arman, un prospectus, un papetoun… »

Tout à coup, sa figure, crispée par l’effortet la douleur d’une recherche inutile et si longue, se détendit, lajoie parut sur son visage, celle du naufragé qui entre au port desalut, et doucement, bien doucement, dans l’ivresse d’un triomphesavouré :

« Un plan de l’essposition… murmura-t-il…Vous avez bien fait de ne pas me le dire, que, comme ça, ze l’aitrouvé tout seul. Pas trop tôt !… Pour vous le faire court, ily avait, dans la même rue que notre hôtel, un libraire qui ouvraitsa boutique… Ze m’approche et ze lui dis :« Bonzour. » Celui-là y me dit :« Bonzour ; que vous voulez ? » Ze lui dis,comme ça, ze lui dis, ze lui dis, dis : « Il mefaudrait… » hum, hum ! « Je voudrais avoir »hum ! broum !… Cette fois, ze le tiens !« Donnez-moi un peu, s’il vous « plaît, monsieur lelibraire, un… »

Le visage de Marlusse s’injecta ; lesyeux lui sortaient de la tête.

Une colère le prit. Il regarda ses amis d’unair de haine franche et frappant du poing la table oùtressaillirent les verres :

« Noum dé pas Diou ! vous le croirezou non, cria-t-il d’une voix de stentor, ze l’ai encoreoublié ! »

Le maire, Novarre, Soufflarès étouffaient àprésent de rire. L’hilarité gagnait tout le monde. Cantoni n’y tintpas.

À son tour, il leva un bras et se frappa surla cuisse, ce qui est, comme on sait, surtout pour un gendarme,l’indice de la joie effrénée inspirée par une chose impayable. Cegeste veut dire : « Non ! il n’y a rien depareil ! Je n’aurais jamais cru ça possible ! »

Lacroustade imitait à lui seul plusieurscanards.

Marlusse parut se calmer et prononça, souriantavec un regard circulaire :

« C’est égal, si zamais on me laredemande, zamais plus ze ne la dirai. Ze me fais trop f… ice demoi. Aussi, c’est pas ridicule de touzours oublier ce mot, un motsi simple, dites un peu : le plan de l’essposition, troisplans de l’essposition, cent plans de l’essposition… Ze le diraisjusqu’à demain maintenant, sans le manquer une fois : un plan,deux plans, mille plans ! plan, plan, plan, plan ! rantan plan ! plan ! plan !

– Achève, Marlusse !

– Ze dis donc au libraire :« Ze voudrais un… plan « de l’essposition. »Celui-là il me répond comme ça : « En voilà plus d’un,vous pouvez çosir ! (choisir) » Il y en avait une pile…Je n’en prends un, puis deuss… puis dix, je les regarde un aprèsl’otre… »

Ici, Marlusse pouffa de rire lui-même, etfrappant à son tour sa cuisse de sa main :

« Oh ! coquin de sort !c’étaient tous les mêmes !

– L’édition ! dit Labarterie,intelligent et explicatif.

– Quand j’ai puis bien çosi, continuaMarlusse, ze prends le premier venu et je dis comme ça aulibraire : « Combien ? » Celui-là merépond : « C’est « tant. » Z’envoie la main àla posse, et je lui donne tant. »

Marlusse, ce disant, faisait le geste deprendre de la monnaie dans son gousset et de la compterattentivement dans la main du libraire.

« Et pendant que ze le paie, ilm’aregarde bien et me dit tout en coup, il me dit comme ça,dit :

« – Vous vous êtes deBandol ! »

« Oh ! noum dé pas Diou ! jerestai là, moi !

Et Marlusse, la main ouverte comme pour faireun pied de nez, se planta le pouce sous le menton. Cela signifiaitle crochet où se prend la tête étonnée d’une morue tirée du fond deson élément par un pêcheur de Terre-Neuve.

« Eh ! que ze lui dis, comment quevous le savez ? » Il se mit à rire.

« – Vé ! » que ze luidis…

Et Marlusse mettait le bout de son index sousson œil droit, dont il tirait la paupière inférieure, ce quisignifie partout : « J’ai l’œil ! vous ne metromperez pas ! »

« Vé, que je lui dis, ou Novarre, ouM. le Maire, ou Soufflarès, l’un ou l’otre est ici, cacé dansvotre boutique, et il vous a dit de me dire ça. Vous ne l’avez pasdevigné !…

« Alors, messiés, pour cercer mescollègues de voyaze, je lui dévirai tout dans sa boutique, qu’il enriait comme un bossu… Eh bien… il n’y avait personne de cacé.Alors, ze lui dis comme ça :

« Oh ! tron d’un goï !(tonnerre d’un Vulcain !) comment vous l’avez pu comprendreque ze suis de Bandol ? car z’en suis ! z’abite Bormesdepuis la nourrice, mais c’est Bandol qui m’a vu naître. »

« Que croyez-vous ? » qu’il merépond. Il me fait comme ça, d’un air tranquille avec son assentparisien :

« – Un peu à vote assan, un peu àvote çapo, j’ai devigné que vous étiez d’entre-mitanToulon-Marseille ! »

« Et z’emportai, ze gardai de Paris,le…

– Le plan, dit Labarterie charitable.

– Merci bien, monsieur, fit Marlusserailleur, ça n’est pas ça que ze voulais dire. Z’emportai de Paris,par-dessus tous les autres, le souvenir de cette parole.Voyez-vous, on dit touzours : l’Essposition universel !l’Essposition universel !… On en a plein la bouche ! Tantque vous voudrez, mais essposition ou pas essposition, Paris,voyez-vous, z’ai compris, par ce libraire, que c’est la capitale,la reine, le flambeau des villes !… Une ville, mon ami, où tun’as qu’à entrer dans la première boutigue venue, on te dit zusquede qué pays tu es ! Ça, non, ze l’ai pas oublié ! Aussi,qu’on en fasse une autre, d’essposition, et z’y retourne. Z’aigardé le plan ! »

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