Chapitre 55CHAPITRE LV La délicieuse petite bergère.
Maurin avait à peine quitté Fanfarnette, queGrondard parut devant elle. Une chose ignorée de Maurin, c’est queFanfarnette était la propre nièce de Grondard, la fille de sonfrère aîné, mort depuis longtemps.
« Eh bien, petite ? »
Elle lui conta tout.
« C’est bon, dit Grondard, il en tient.Qu’il consente à se marier avec toi, je n’y ai jamais trop compté,bien que, s’il le faisait, j’en serais satisfait. Cela medébarrasserait du souci que j’ai de toi.
– Vous n’en avez guère, l’oncle.
– J’en ai tout de même… Mais l’essentielc’est qu’il ait peur. Un moment viendra où je paraîtrai devant lui,et il faudra bien qu’il paie d’une manière ou d’une autre, enargent ou autrement.
« Et puis surtout – je veux me revengerde lui… Et pour cela, écoute. Reste ici à présent. Tu as de quoidéjeuner, dans ta musette ?
– Oui, dit-elle.
– Reste ici. Tu connais la Tonia ?j’avais espéré qu’elle vous trouverait encore ensemble, ce gueux deMaurin et toi !… Enfin, rien n’est perdu : elle va venir…Conte-lui comment, de vrai, il t’a prise de force et ensuite promisle mariage.
– Soyez tranquille, je ferai tout commevous m’avez dit. »
Grondard regagna sa bauge.
La mignonnette bergère déjeuna gentiment.Plusieurs de ses chèvres, qui étaient familières, vinrent manger dusel dans sa main.
Quand elle eut déjeuné, elle s’amusa à tresserdes couronnes avec des feuillages. Elle se les posait sur la têteet se regardait dans son petit miroir. Et puis avec des branchettesde romarin elle se fit une cage à cigales et tout en travaillantelle chantait à tue-tête :
« Fille, tu te veux marier ?
N’ai point d’argent à te donner.
Qu’est cela l’argent ? Qu’est-ce quel’argent ?
Emprunterons à nos parents !
L’Antoine,
Je le veux…
Mariez-moi au bout de l’an :
Je ne peux plus espérer tant. »
« Fille, tu te veux marier ?
N’ai point d’argent à te donner.
Qu’est cela un lit ?
Pas besoin de lit !
Se coucheront dans l’escalier…
L’Antoine,
Je le veux…
Mariez-moi au bout de l’an :
Je ne veux plus espérer tant. »
Elle pensa que Tonia pourrait l’entendre et,très bas entre ses dents, fredonna une autre chanson :
« Qui te suivait à la fontaine,
Morbleu, Marion ?
C’était une femme qui lavait,
Mon Dieu, mon ami !
– Les femmes ne portent pas d’épée,
Morbleu, Marion !
– C’était sa qu’nouille qu’elle avait,
Mon Dieu, mon ami ! »
Son ouïe fine lui fit percevoir un pas,lointain encore, qui écrasait les bruyères… Elle cessa de chanteret écouta… Quelqu’un venait…
Et lorsque Tonia arriva près d’elle et luidit : « Il y a longtemps que tu es là,Fanfarnette ? » Fanfarnette se mit à pleurer.
« Qu’as-tu, petite ? »
Fanfarnette ne répondit pas et cacha sa figuredans ses mains. Tonia essaya d’écarter ses bras pour la regarder enface, mais les mains de la petite à tout coup lui échappaient etrevenaient se coller sur son visage.
« Qu’as-tu ? qu’as-tu, petite ?dit Tonia qui tout à coup crut deviner.
– Moussu Môourin ! MoussuMôourin ! sanglota Fanfarnette…
– Eh bien, quoi ?… quoi ?…Pourquoi parles-tu de Maurin ?
– Je suis perdue ! gémissait-elle,je suis perdue, mademeïselle Tonia ! Il a passé par ici tout àl’heure… et m’a dit qu’il ne m’épouserait jamais ! Et alors,je sais bien, moi, ce qui peut arriver, car il faut que je vous leconfesse. Il m’a prise, malgré ma volonté, le marrias ! et ilme laissera là, qui sait ! et je ne serai plus qu’une de cesfilles dont personne ne veut parce qu’en allant à l’église, ellesseraient forcées d’y porter leur enfant, pechère ! »
Tonia fut atterrée.
Lui, lui, Maurin ! il avait faitcela ! lui, franc avec elle, toujours, au point d’en êtrebrutal ! Était-ce Dieu possible ? Et comment en douter,quand cette innocente, si jeunette, le lui disait en pleuranttoutes les larmes de son corps ! une enfant sans défense,pechère ! une orpheline !
« Adieu ! dit Tonia brusquement. LeBon Dieu te vengera ! adieu, que j’ai affaire… Mais ce Maurin,où est-il à présent ? par où est-il passé ? lesais-tu ? »
L’œil de la jolie enfant se leva sur laCorsoise. Il était sec, et le regard froid. Elle sut donner desrenseignements précis :
« Je l’ai épié d’ici, tant que j’ai pu, àtravers le bois. Il a traversé le Pas de la Masque. Il a remonté lamussugue en face ; voyez là-bas ; et il doitêtre là, sur le plateau où se trouve le Puits des Arbouses, voussavez bien ?
– Oui, dit Tonia haletante.
– Il m’a paru qu’il s’asseyait tout àcoup. Il aura déjeuné dans cet endroit. C’est là qu’il est… poursûr…
– Adieu ! adieu,petite ! »
Tonia, indignée, s’exaltait à l’idée de vengerla pastresse, mais, en réalité, une jalousie aux dents acérées luimordait le cœur.
Où allait-elle, courant ainsi, se déchirantaux ronces, sautant de roche en roche, tirant au plus court,laissant les chemins faire seuls leurs détours ?
Fanfarnette regardait Tonia s’éloigner. Quandelle la vit gravir la colline d’en face, elle se remit à tresser dejolies couronnes de feuillage et à fredonner gentiment :
« Les femmes ne portent pas moustache,
Morbleu, Marion !
Les femmes ne portent pas moustache !
– C’était des mûres qu’elle mangeait,
Mon Dieu, mon ami !
C’était des mûres qu’elle mangeait !
– N’y a plus de mûres en automne,
Morbleu, Marion !
N’y a plus de mûres en automne !
– C’était un’branch’qui automnait,
Mon Dieu, mon ami !
C’était un’branch’qui automnait !
–… Eh bien, j’te couperai la tête,
Morbleu, Marion !
Eh bien, j’te couperai la tête ! »