L’Illustre Maurin

Chapitre 48CHAPITRE XLVIII Maurin l’Incendiaire.

« Maurin ! grondait un forestier,c’est lui l’incendiaire, et il est là ! Sans doute fait-ilsemblant de combattre le feu tandis qu’au contraire, il aidel’incendie !… Le mistral souffle aujourd’hui, mais hier, il nesoufflait pas ; à de certains moments, où même on ne sentaitpas le moindre souffle de brise, on a vu de nouveaux foyerss’allumer instantanément de divers côtés, en arrière des flammes,si bien que – voyez – l’incendie a décrit un grand cercle. Il agagné en arrière de sa marche, et même à contresens du vent.

– Maurin !… Ce n’est paspossible ! disait le préfet.

– Maurin n’a pas mis le feu à samontagne, pas même par inadvertance », affirmait énergiquementCabissol.

Mais Sandri interrogé eut l’air si précis enses accusations qu’on se mit à rechercher Maurin.

Plusieurs escouades furent chargées del’amener devant le préfet. Sandri prit dix hommes avec lui, pas unde moins !

Grondard le vit passer et lui cria :

« Je vais avec toi ! je sais où ilest ! »

Ils suivirent un vieux chemin forestier où lamarche, en pleine nuit, était parfois difficile. À droite et àgauche, le bois.

« Vois ! » dit Grondard.

Devant eux, à cent cinquante pas, aussi prèsdes flammes que possible, Pastouré et Maurin, entourés dequelques-uns de leurs amis accourus de Bormes, coupaient,taillaient, abattaient… Ils préparaient un contre-feu.

Une rafale parfois couchait les flammes, lesprolongeait jusqu’à eux et alors les travailleurs reculaient,détournant la face et la protégeant de leurs bras. Dans leurs mainsnoircies, quelques-uns avaient des chiffons mouillés, dont ilsabritaient leurs visages. Plusieurs ruisselaient d’eau comme s’ilssortaient de la mer. Seulement cette eau était fumante. Çà et làdes gens emportaient les ferrats (seaux) vides et en rapportaientde pleins qu’ils déposaient à portée des travailleurs. Ceux-cicouraient y tremper de temps à autre leur visage, leurschiffons ; puis, la hache en main, ils retournaient à leurbesogne de fourmis patientes, en lutte avec un ennemi dont lasupériorité dépasse un milliard de fois leur courage. Maurin, touten travaillant, excitait, guidait, menait à lui seul toute uneéquipe.

« Il joue un rôle ! » murmuraSandri.

Et il donna des ordres à voix basse. Son planétait très simple : disposer ses hommes en un demi-cercle quiirait en se rétrécissant, la corde de l’arc étant la ligne defeu.

Par-dessus le chemin qui s’engouffrait dans lefoyer, les flammes se mêlaient, voûte de feu et de mort… l’hommeinfailliblement allait être pris !

L’ordre donné par Sandri fut exécutéponctuellement.

Sur Maurin, absorbé par sa besogne, ledemi-cercle lentement se resserrait. Les hommes se rapprochaient,Sandri occupait le milieu de l’arc de cercle ; il était dansle chemin. La chaleur de plus en plus devenait intolérable. Lessoldats s’arrêtèrent. Les travailleurs obstinés, entêtés, à deminus, mouillant de minute en minute leur face, leurs bras, leurpoitrine velue, s’agitaient comme des diables attisant ou éteignantl’enfer. Parmi eux Sandri reconnut Lagarrigue : Pastouré,s’étant retourné, aperçut le gendarme. Tout en travaillant il serapprocha de Maurin : « Attention ! ton gendarme estlà… File, Maurin, je te suivrai… Partons-nous par la droite ou parla gauche ?

– Ni par la droite ni par la gauche, ditMaurin. Ils sont trop ! regarde bien.

– Bougre ! les soldats !

– Prends un ferrât, dit Maurin, et moi unautre ; puis imite-moi en tout sans hésiter. Aieconfiance. »

Pastouré fit signe qu’il obéirait.

Maurin se retourna :

« Il fait chaud, hein, Sandri ?

– Un peu ! » dit l’autre ens’assurant d’un regard que ses hommes formaient un cercle étroit…Entre chacun d’eux il n’y avait plus assez d’espace pour que sonassiégé pût tenter de fuir.

Les autres travailleurs s’arrêtèrent… Ilsétaient là dix ou douze, à regarder, stupides d’étonnement, sereculant du feu, et formant, eux aussi, sans y songer, un obstacleà la fuite, encore possible peut-être, de Maurin.

« Allons, rends-toi, Maurin ! criatout à coup Sandri d’un ton triomphant.

– Viens me prendre ! » ditMaurin, qui baigna l’un après l’autre dans un seau ses piedschaussés d’espadrilles… Puis, écrasant plusieurs fois sur sa têteavec sa main droite son torchon ruisselant, trempé coup sur coupdans le seau qu’il portait de sa main gauche, il entra, par lechemin creux, sous la voûte formée de flammes ronflantes. Ils’engouffrait dans la fournaise par un portique de feu.

On entendit ce cri de Pastouré quiintrépidement le suivait avec les mêmes manœuvres :

« Coquin dé pas Diou ! qué cãou,raoun ami ! »

Sandri n’en crut pas ses yeux. « Ce sontdeux hommes morts !. » pensa-t-il. Les soldats revinrentbredouilles.

Le préfet fut étonné… Personne necomprenait.

« Serait-ce un suicide ? dit avecinsistance M. Cabissol. Un suicide double ! PauvreMaurin ! on l’a affolé… »

M. Cabissol pensait avec raison servirMaurin en accréditant l’hypothèse d’un suicide…

Toutes les issues du cercle immense dévastépar le feu furent rigoureusement gardées.

De Toulon, on avait appelé de nouveauxbataillons de ligne. Un cordon infranchissable de soldats veillaitsur l’infranchissable bordure du champ d’incendie mal éteint.

« Je savais bien, disait Sandri, que,d’une manière ou d’une autre, je débarrasserais les Maures de cebrigand-là !… Nous le trouverons à la fin, que diable !…rôti comme un sanglier, noir comme un charbon, cuit et recuit, biencuit… On va donc pouvoir respirer tranquille !… »

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