L’Illustre Maurin

Chapitre 7Deux histoires de Maurin : Le Scaphandre et l’Arrivée de l’Évêque,dont la seconde, étant véridique, est nécessairement plus vraie quela première, qui fut inventée par le roi des Maures.

« Je vous en dirai deux, d’histoires,déclara Maurin, à une condition, c’est que tu nous conteras, toi,Marlusse, ta visite à l’exposition de Paris.

– Oui ! oui ! dit Cigalous, illa contera… C’est de règle, ça va sans dire… Marche, Maurin, je nele connais pas, ton scaphandre.

– C’est une bien petite histoire,celle-là, dit Maurin. Vous n’en avez que pour une minute.

– On vous écoute, Maurin.

– C’était, commença Maurin, du temps queje servais à l’État comme matelot. À l’entrée du golfe deSaint-Tropez, un torpilleur qui venait de Saint-Raphaël et quiapprochait de Sainte-Maxime, longeant de trop près la côte, secreva contre un gros rocher et coula par huit mètres de fond àpeine. On fit venir de Toulon deux scaphandriers sur un remorqueur,et je fus, avec les autres hommes du bord, employé au sauvetage. Dela terre on voyait très bien ce qui se passait à bord, et du bord,conséquemment, ce qui se passait à terre. Un de ces scaphandriersavait une jolie femme qui l’avait suivi de Toulon, et qui, le soir,allait coucher avec lui à Sainte-Maxime. Comme de juste, ellen’allait jamais à bord du remorqueur, et, des fois, elle faisait àterre, entre deux rochers, la soupe à son homme. Un beau jour étantdescendu à terre moi-même pour aller faire à Sainte-Maxime unecommission, je rencontrai la femme au bord de l’eau, à peinehabillée après un bain. Le scaphandrier, sous l’eau, était en trainde visiter l’épave, et l’homme qui, là-bas, à bord du remorqueur,virait la roue de sa pompe pour lui donner de l’air, nous tournaitle dos. J’embrassai la femme qui ne disait pas trop non, et avectant de plaisir que je ne songeai pas à regarder le navire. Quandje le regardai, nom de nom ! le scaphandrier, à moitié hors del’eau, remontait par son échelle et, à travers la vitre et lesbarreaux croisés de son casque, il nous regardait. Sa tête descaphandrier me semblait un ballon. Il avait l’air d’unterrible. Il regardait et, de la surprise, j’oubliais delâcher la femme. Il soulevait ses deux bras vers son casque qu’oncommença à lui dévisser, mais on n’y parvenait pas.

« – Parbleu ! me dit alors safemme, il faudra bien qu’il le garde. Il va rester comme ça !Leïs bânos l’an poussa dins l’aïgo ! »

– Ce qui veut dire ? interrogeaMme Labarterie.

– Oh ! peu de chose, ditM. Rinal, cela veut dire : « Il y a des bois quipoussent sous l’eau. »

– Je ne comprends vraiment pas, ditM. Labarterie.

– Il y a bois et bois, dit M. Rinal,nous parlons ici de ceux qui empêchaient le cerf de courir dans lesautres.

– Ah ! je comprends ! cria laParisienne.

– Tu es bien heureuse ! dit sonmari… Ah ! je comprends aussi ! » fit-il tout à coupen portant les mains à son front.

Le geste parut si comique qu’il fit le succèsde l’histoire.

« Et pas plus ! dit Maurin, enregardant finement la dame.

– Tu nous en as promis une autre, ditCigalous.

– La voici, dit Maurin. Et elle estencore plus vraie.

– Comment, encore plus vraie ?

– Je veux dire qu’elle est vraie tout àfait. La première ne l’est pas du tout. C’est seulement unehistoire que je me suis imaginée un jour possible, en regardant lafemme du scaphandrier à terre et le scaphandrier qui sortait del’eau. « Tiens ! me dis-je – tiens ! à voir cecasque sur cette tête, on dirait qu’il l’estpar-dessous ! »

– Voilà les gens du Midi ! ditLabarterie. Quelles imaginations !

– À ton service ! pensa Maurin.

– L’autre histoire ! l’autrehistoire !

– Vous y verrez comment, tout simplematelot que j’étais, j’ai fait sonner, moi, les cloches d’uneville, battre les tambours et hisser le grand pavois…

– Eh bien, mais… c’est ce qui t’estarrivé aujourd’hui.

– Oh ! mais, dit Maurin, aujourd’huije suis un autre homme ; je suis passé roi !… Voilà doncl’histoire : Nous revenions d’Agay sur notre torpilleur etnous avions, par jeu, cueilli au bord de la rivière beaucoup debranches de lauriers-roses ; et avec la permission ducommandant, nous les avions amarrées bien droites tout autour denotre bateau.

« Ça faisait de notre bateau une petiteîle fleurie, et nous allions à Saint-Tropez.

« C’était vers la fin juin, à la veilledes grandes fêtes et des bravades de la ville. Nous étions aumilieu du golfe, allant, venant, virant, jouant sur l’eau comme desmarsouins, faisant les beaux, avant de rallier le port, lorsquetout près de nous s’avance, dans sa petite barque, un pêcheur deSaint-Tropez qui rentrait doucement à la voile et que jeconnaissais.

« – Bonjour, Maurin ! qu’il mefait, vous êtes bien « fleuris ? »

« Par badinage et sans réflexion jeréponds :

« – C’est que nous amenonsl’évêque ! »

« Justement Saint-Tropez attendait d’unjour à l’autre l’évêque de Fréjus et, voyant marcher sur l’eau nosbranches en fleur, les promeneurs du quai déjà se disaient entreeux : « Peut-être il est à bord, l’évêque ! »Mais j’ignorais cela.

« Une heure après, en approchant deSaint-Tropez, nous apercevons sur le quai, devant la statue dubailli de Suffren, tout un monde qui nous fait des signes, leshommes avec les chapeaux, les filles avec les ombrelles et lesmouchoirs ; et c’était des cris ! et des vivats ! etdes fanfares qui jouent ! Le curé et toutes ses congrégations,en grande tenue, sortaient de l’église avec les bannières. Et notrecommandant disait : « Voilà des gens bienpolis ! » La ville avait mis drapeaux et tapis auxfenêtres. Les femmes s’étaient pimparées. Les petits enfantsdansaient. Le maire avait son écharpe. On accosta bord à quai. Lecommandant descendit à terre :

« – Où est l’évêque ? luidit-on.

« – L’évêque ! Quelévêque ? »

« Il me fallut expliquer la chose. Lecommandant voulut en rire. Mais le curé ne riait pas, d’avoir faitsortir, pour des matelots, son saint de bois, et la croix et labannière. Et, voilà comment j’ai fait, moi, Maurin, avant même lejour d’aujourd’hui, sonner les cloches, et battre les tambours, etse pavoiser une ville, le maire et les adjoints compris. Je n’ensuis pas plus fier pour ça… A tu, Marlusso !

– Vous nous avez habitués, monsieurMaurin, à entendre des histoires plus piquantes, ditM. Labarterie…

– Je vous comprends votre genre, àvous ! riposta vivement Maurin, il vous en faut toujours dedrôles. Celle que je viens de dire n’est jolie, selon mon idée, queparce qu’on voit avancer ce bateau comme une île de fleursau-devant de cette ville qui se pavoise et se fleurit de son côtépour lui répondre : si vous ne voyez pas ça comme si vous yétiez, alors vous êtes perdu pour l’intelligence de mon histoire…Pardine ! il faut voir le tableau, tout est là…

– Maurin est un artiste, ditM. Rinal.

– Nous sommes un peuple comme ça »,dit Maurin.

Et se tournant versM. Labarterie :

« Je vois qu’à vous il vous faudrait toutle temps rien que des histoires comme celle du capitaine Cougourdandu port des Martigues. En pleine mer, il regardait sa carte,celui-là, et ayant reconnu l’endroit où se trouvait son bateau, quifilait bon vent vers le côté de son papier où il n’y avait plus quela marge sans dessin ni écriture : « Vire de bord, n. d.D. ! et la barre toute !… ou nous se foutons en bas de lacarte ! »

« Celle-là, oui, elle vous plaît,qué ? continua Maurin. Et nous savons bien pourquoi !C’est qu’elle est une occasion pour vous de rire de nous autres envous faisant accroire à vous-même que nous sommes un peuple deCougourdans, pourquoi votre grosse bêtise c’est de vous imaginer,quand nous le faisons, que nous le sommes…

– Quoi donc ? interrogeaM. Labarterie.

– Couyoun ! » dit le laconiquePastouré qui connaissait apparemment le fameux versproverbial :

Le latin dans ses mots brave l’honnêteté.

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